souvenez-vous

souvenez-vous que le malheur
ne porte pas de nom
c’est à peine si l’on peut
lui donner un visage
car qu’est-ce qu’un visage
qui ne nous dit pas

aime-moi

souvenez-vous que le malheur
a beaucoup de souvenirs
mais finit par nous oublier
Parfois il nous conduit
à oublier nous-même
qu’autrefois
nous et les autres
avions un visage
un prénom
un pas léger
un regard pour aimer
et des mots pour appeler le malheur
malheur

poèmes

je suis ombrume

je suis ombrume de nuit sur les sexes troubles
le rideau des théastres brillant de mille jeux
est tombé
pour ne plus laisser qu’un flottement
une floraison de silence
adieu clarté
il faut un nouveau mot
si je dois qualifier
ce qu’il y a dans mon cœur le plus proche
je ne suis ni une femme ni un homme ni autre chose
ni jour ni nuit
mais l’empreinte que laisse
une vague un bug à l’âme
dans l’enferthéâtre de jadis
j’ai menti avec un masque vide
le nid de ma mort parmi les regards
mon genre m’échappe en jeu follet
comme le reflet glauque et le miroir froissé
je suis ombrume mais mon genre est fracas fragment
toujours comme une eau qui danse
jamais saisissable
et ne tends vers rien je ne fais que me perdre
peut-être ai-je approché
l’arc-en-ciel né de mes pleurs échoués
dans un brin de soleil
(son pied descend jusque dans nos enfers les plus lourds)
pour troubler un trésor

poèmes

au chat Orphée

Orphée aux yeux plus doux que l’olivier
il fait nuit
ton pelage un rayon de lune
a désormais le parfum de mes larmes
j’aimerais que le jardin
garde la trace de ton ombre comme une cicatrice
ton ombre qui bondissait pour attraper les oiseaux
autrefois
joue aujourd’hui avec les filets amers et salés
du temps qui passe et qui coule sur mes joues
prendras-tu encore des oiseaux dans le ciel où tu es
pour les mettre devant notre porte
sur le seuil de nos yeux rouillés
verrouillés de silence
si tu te caches encore sous mon lit sans que je m’y attende
s’il te plaît
parle-moi dans mes rêves le langage du printemps
du camélia aux mille joues roses
des oiseaux aux ailes remplies de soleil
si tu traverses le gué
du dernier rivage
ronronne comme la tourterelle
comme le feu sombre dans l’âtre
comme le vent qui répand la pluie fraîche et les grelots au son trouble
du souvenir
je répandrai tes cendres lointaines et la braise encore chaude
de ton nom et partout où mon cœur
continuera de se rappeler les neiges fanées
les tessons tendres de mes rires
et éclats de larmes
les couleurs légères et profondes de ma jeunesse
Orphée tu seras là
avec les chemins enneigés de ton pelage
dans les bords de nuit laiteuse
et les étoiles voilées
si je touche la rosée au matin
c’est que que les sanglots d’hier coulent sur nos joues blêmes
comme le jasmin
et que les étoiles de jadis
sont tombées sur nos roses d’aujourd’hui
nos jardins sont tristes
comme ta présence qui brille brindille en feu
comme le dernier baiser violent arraché à la vie
Orphée maintenant c’est moi qui chasserai
les couvées endeuillées de brume
les oiseaux qui supportent sur leurs ailes
un peu du paradis
ou un peu du néant peut-être
les petites souris qui courent comme des rires
sur les lèvres chaudes de l’aurore
je les chasserai pour toi et nous déposerons
sur le seuil de ta petite maison
aux quatre murs de vent
aux fenêtres de ciel ouvert
la pelote écoulée déliée comme ta liberté ta langue de silence
et ma langue nouée d’énigme
face à la nuit
langue de chat

poèmes

où sont-elles les étoiles

à A.

où sont-elles les étoiles
nous les avons mangées

où est-elle l’aurore
elle se cache dans notre étreinte

et les hirondelles où sont-elles
elles sont dans tes yeux

si le soleil roule
c’est que nos soupirs l’ont fait venir
brûler jusqu’à nous

si les feuilles des arbres frémissent
n’est-ce pas parce qu’ils ont froid
de ton absence

j’ai la poitrine remplie de miel sauvage
tu m’as visée d’une flèche aux plumes douces
vibrantes
et mon cœur brûle
comme une forêt profonde et écarlate
sans survivant

je t’aime
demain et dans les siècles et jadis
maintenant

où sont-elles les étoiles
nous les avons mangées

où est-elle l’aurore
elle se cache dans notre étreinte

et les hirondelles où sont-elles
elles sont dans tes yeux

poèmes

automne

quand l’automne ses feuilles un peu lourdes comme des paupières
un peu tristes
est revenu
je me suis souvenue que la mort elle aussi
a l’odeur de l’herbe sous la pluie
des vignes
et des immensités bleues d’octobre
le soir

et l’au-delà
un peu de terre dans la bouche
âpre comme un secret

un ver de terre gît sur mon chemin entre les graviers
cambré
un demi-sourire

il n’y a pas d’explication
pas d’extase
mais le grand vent de l’extérieur qui nous chevauche
avec un peu d’amertume
et qui fait remuer les rideaux quasi opaques de nos corps
il n’y a pas de lumière
pas de feu divin
pas d’amour
juste le froid le calme
rien
presque rien

poèmes
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