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Le sens de la vie

Il était une fois ane jeune lumme qui cherchait le sens de la vie : iel décida donc de se rendre auprès d’ane sage réputae de son pays.

Lorsque lae jeune lumme fut devant la maison de lae sage, iel frappa à la porte ; une voix lui répondit : « Lae sage que tu viens voir est absentx pour le moment. Attends-lae sur le seuil, iel ne manquera pas d’arriver. »

Lae jeune lumme resta sur le seuil de la porte une heure, deux heures, trois heures : à la fin, iel s’impatienta. Iel frappa à la porte et on lui répondit : « Attends encore un peu, lae sage va bientôt arriver. »

Iel attendit encore une heure, deux heures, trois heures. Iel finit par tant s’impatienter qu’iel cria : « Quand arrivera lae sage ? » Une voix lui répondit : « Bientôt. »

Iel attendit encore un peu, mais à la fin, iel fut si impatientx qu’iel ouvrit la porte de la maison sans plus demander l’avis de personne, et là que vit-iel à l’intérieur ? Un vaste miroir qui lae reflétait, et la voix lui dit alors : « C’était ellui que tu attendais depuis le début. — Et toi qui parles, où es-tu ? demanda lae jeune lumme. — Derrière le miroir. »

Lae jeune lumme se débarrassa du miroir… Iel cessa dès lors de chercher le sens de la vie.

Qu’y avait-il derrière le miroir ? Toi qui me lis ou qui m’écoutes, sache que mon conte est ce miroir : il te faut t’en débarrasser maintenant pour voir au-delà de mes mots.

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Cloche

Dans un lointain pays, il y avait en lisière de forêt une petite maison dans laquelle vivaient une femme, son mari et leurs trois filles.

L’aînée avait deux yeux, la cadette deux yeux aussi et la benjamine trois yeux. L’aînée avait deux oreilles, la cadette deux oreilles aussi et la benjamine trois oreilles.
L’aînée avait un cœur, la cadette un cœur aussi et la benjamine deux cœurs.

Tout cela en plus faisait que la benjamine marchait péniblement et avait le corps lourd. Elle était lente dans ses mouvements et on disait d’elle qu’il y avait du vent vide dans sa tête. On l’appelait

« Cloche » à cause de l’épaisseur de son corps.

Le père et la mère ne cessaient de se moquer d’elle et de l’humilier.

Quand vint le temps du printemps blanc, les trois filles dirent à leurs parentz : « Laissez-nous partir découvrir le monde. »

Et les parentz n’eurent pas le temps d’avoir ne serait-ce qu’entendu leur requête qu’elles étaient déjà parties loin, très loin dans la forêt.

Elles virent au bout de quelques heures de marche une clairière parsemée de fleurs dans un rayon de soleil. Les deux premières sœurs sourirent, s’amusèrent dans la clairière, mais Cloche leur dit alors :

« Qu’avez-vous donc à rire ? » Et ses sœurs répondaient : « Cloche, Cloche, qu’est-ce qui cloche chez toi ? »

Elles continuèrent leur chemin longtemps ; leurs cheveux blanchirent, tandis que Cloche avançait péniblement, et bientôt elles entendirent pour la première fois le chant du rossignol, et les deux premières sœurs s’émerveillèrent. Quant à Cloche, elle leur demandait : « Qu’avez-vous donc à trouver cela si beau ? » Et ses sœurs répondaient : « Cloche, Cloche, qu’est-ce qui cloche chez toi ? »

Elles avancèrent encore jusqu’à la lisière de la nuit. Et leurs mains n’étaient plus que squelette. « Il fait froid, dirent les deux premières sœurs. Quand donc rentrerons-nous ? » Cloche leur dit alors :

« Je connais un chemin pour traverser la nuit. Quant à revenir en arrière, cela est impossible. »

Les sœurs refusèrent de traverser la nuit disant entre leurs pleurs « Encore un petit moment ! » et elles tombèrent en poussières.

Quant à Cloche, elle avança, avança et se retrouva bientôt face à la femme qui garde le royaume des mortz.

Cloche lui demanda : « Pourquoi n’ai-je pas ri avec mes sœurs dans les clairières ensoleillées ? »

La gardienne du royaume des mortz, qui connaissait toute vérité, lui répondit : « Tu n’as pas ri avec tes sœurs dans les clairières ensoleillées car tu avais trois yeux, ce qui t’empêchait de voir la lumière de ce monde. »

Cloche lui demanda encore : « Pourquoi n’ai-je pas été émue avec mes sœurs quand le rossignol chantait ? »

La gardienne du royaume des mortz lui répondit alors : « Tu n’as pas été émue avec tes sœurs quand le rossignol chantait car tu avais trois oreilles, ce qui t’empêchait d’entendre la beauté de ce monde. »

Cloche lui demanda, la voix remplie de larmes : « Est-ce parce que j’avais deux cœurs au lieu d’un seul que j’ai pu traverser la nuit alors que mes deux sœurs sont restées sur le seuil ? »

La gardienne du royaume des mortz lui répondit : « Tout ce que j’ai dit jusqu’à présent était faux. Ce ne sont pas tes trois yeux ni tes trois oreilles qui t’ont empêché de connaître ce monde, mais ce sont les mauvais traitements que t’ont valu tes différences qui t’ont éloignée des joies et des rires. Si tu as traversé la nuit, c’est parce que tu n’avais plus rien à perdre. »

Cloche comprit alors qu’elle avait fait fausse route. Elle assomma la gardienne du royaume des mortz, la ligota et repartit vers la lumière du monde.

Elle y vécut heureuse jusqu’à ce que la gardienne du royaume des mortz, ayant usé ses liens, vînt la chercher de force.

Et lorsque cela arriva, on raconte que Cloche retourna son visage avec regret vers le soleil et le rossignol qui la regardait, perché sur sa branche ; avant d’être empoussiérée par la nuit, elle eut le temps de dire : « Encore un petit… »

Et ce fut tout.

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Au bout du paradis

Il était une fois une dame qui avait passé toute sa vie à vendre ses services pour donner du plaisir. Elle blasphémait souvent, et elle se plaisait à insulter les prêtres.

Après sa mort, elle se réveilla dans le premier ciel du paradis.

Elle inspecta les lieux mais ne le trouva pas à son goût : « Tout cela est trop propre et trop lisse et trop lumineux ! s’exclama-t-elle. Je ne trouve pas Diex ici. »

Elle fut donc emportée par une nuée d’anges dans le deuxième ciel du paradis, mais alors elle dit :

« Cela me brûle les yeux tous ces soleils qu’il y a autour de moi. Je ne trouve pas Diex ici. » Qu’à cela ne tienne, les anges l’emportèrent dans le troisième ciel.

Elle ne put s’empêcher de dire : « Non, non, vraiment, ces chants me cassent les oreilles et m’assourdissent les sens. Je ne trouve pas Diex ici. »

Elle n’eut pas plus tôt dit ces mots que les anges l’emportèrent dans le quatrième ciel.

Là, elle fit la remarque : « Certes, tout cela est très beau mais c’est bien monotone et même presque écœurant. Je ne trouve pas Diex ici. »

Un essaim d’anges de plus en plus frétillant la ravit alors dans le cinquième ciel.

Elle regarda ses mains et dit : « Il y a trop de lumière en moi et je ne peux plus sentir le parfum de la terre. Décidément, quel est donc cet endroit de mort ? Je ne trouve pas Diex ici. »

A ce moment-là, les anges l’emportèrent dans le sixième ciel.

Elle se mit à siffler : « Vraiment, ce ciel est trop petit : seulz les meillaires y sont, je n’y trouve pas ma place et d’ailleurs je n’y trouve même aucun visage humain. » Elle ajouta : « Encore une fois, je ne trouve pas Diex ici. »

Elle fut emportée dans le septième ciel.

Elle rit et dit : « Si c’est cela le septième ciel ! On me l’a bien vanté et je l’avais imaginé tout autre. Je ne trouve pas Diex ici. »

Elle fut agrippée violemment par les anges qui la menèrent ensuite dans le huitième ciel.

Ce fut dans un soupir qu’elle dit à bout de force : « Ce lieu ne m’inspire guère confiance. Etes-vous bien sûrz que ma joie n’est pas mensongère ? Il y en a trop pour que j’y crois vraiment. Je ne trouve pas Diex ici. »

On l’emporta alors dans le neuvième ciel avec un grand tumulte éblouissant.

Elle se tut, ne sut que dire et pleura : « Il me faut monter de moi-même car ces anges ne savent pas où chercher. » Devant elle se tenait un immense escalier de cent marches. Elle le gravit marche après marche, mais l’escalier ne menait nulle part : quand elle voulut monter sur une cent-unième marche, elle tomba dans l’air sombre.

La chute fut rapide. Elle était de nouveau dans le monde des vivantz, parmi les arbres, les forêts, et les pieds dans la boue.

Elle eut un dernier rire de joie avant de tomber en poussières.

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Les larmes du paradis

Deux femmes s’aimaient d’un amour tendre quand l’une d’entre elles vint à mourir.

« O ma bien-aimée, faut-il que maintenant tu rejoignes le ciel ? se lamenta l’autre. Qu’y a-t-il dans le ciel qui soit plus désirable que les champs sombres de nos corps réunis, que nos lèvres nouées l’une à l’autre, que le silence de la nuit après l’amour ? »

La femme qui restait décida de se rendre au paradis chercher sa bien-aimée. Elle marcha, marcha de longues années et arriva bientôt devant la cité céleste. On ne voulut pas la laisser entrer ; car elle était encore vivante, bien vivante. Elle dit : « Laissez-moi entrer, car je viens chercher ma bien- aimée. » Mais on lui refusa l’accès du ciel.

Elle commença alors à chanter. Elle chanta son désir de retrouver la terre. Elle chanta la beauté des oies sauvages qui tendent leur cou dans la fraîcheur du printemps ; elle chanta l’envol des hannetons ouvrant leurs paupières d’or ; elle chanta ce qu’est le rameau de l’olivier balancé par le vent ; elle chanta la démarche désespérée et extatique de l’ivrogne qui titube en sortant des tavernes ; elle chanta, chanta à tue-tête l’hiver, le printemps, l’été et l’automne.

Les bienheureuxes entendirent son chant. On raconte que certainz pleurèrent. On raconte même que certainz tendirent avec un regret indicible leur main écarquillée vers la surface de la terre.

On raconte aussi que les anges cessèrent leurs chants et que leurs trompettes furent jetées.

On raconte que même Diex pleura. On dit plus tard d’ellui qu’al avait pleuré parce qu’al regrettait de n’être ni l’enfant qui contemple les hannetons au mois d’août ni l’ivrogne qui claudique en sortant des tavernes.

La bien-aimée de la femme qui avait chanté se montra à celle qu’elle aimait. Elle était rayonnante, mais son visage était aussi coloré d’amertume : « Permettez-moi, dit-elle à Diex, de revenir sur terre ; je veux revoir la vie d’en bas. »

Diex le lui accorda. Mais les autres bienheureuxes dirent : « A nous aussi permettez-nous de revoir la terre. »

Diex le leur accorda. Al dit à la femme qui avait chanté : « Prends l’âme de chacane de ces bienheureuxes dans ta bouche, prends un peu de moi-même aussi ; chaque fois que tu chanteras, tout le paradis sortira de ta bouche et viendra danser parmi les mortelz d’en bas. »

C’est ainsi que naquit la poésie.

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Zépioure

Lors de la naissance du Sauveur, une étoile apparut en Orient. Trois mages voulurent partir en direction de l’étoile qu’ils avaient observée ; par leur science, ils savaient qu’un grand roi venait de naître, celui qui a tout pouvoir, y compris celui de renoncer à tout pouvoir.

Ils se mirent en route.

Sur leur chemin, une jeune femme du nom de Zépioure se présenta à eux : « Où allez-vous ainsi ? leur demanda-t-elle. – Nous avons vu cette étoile à l’Orient qui nous a appris qu’un grand roi venait de naître et nous allons lui rendre hommage. » Zépioure leur répondit : « Emmenez-moi avec vous ! – Tu es folle ? Nous voici chargés d’or, de myrrhe et d’encens ; mais toi, qu’auras-tu à lui offrir ? » Zépioure insista, insista mais cela fut en vain ; et les mages poursuivirent leur route.

Zépioure se promit à elle-même de rencontrer le grand roi dont les mages lui avaient parlé. Elle marcha plusieurs jours dans la direction de l’étoile que lui avaient montré les mages. Au moment où elle approchait de la Judée, elle se découragea et décida de rentrer chez elle.

Les années s’écoulèrent et Zépioure vieillit.

Mais alors qu’elle frôlait les portes de la mort, elle demanda à ses trois filles qui étaient à son chevet : « Donnez-moi une raison de ne pas mourir et peut-être que je vivrai encore. » Sa fille aînée lui dit : « Si tu meurs, nous devrons nous occuper de la maison et des affaires seules. » Sa fille cadette lui dit : « Si tu meurs nous serons toutes plongées dans une tristesse sans fond. » La benjamine qui était restée à regarder par la fenêtre ne dit rien. Zépioure se mit en colère : « Est-ce ainsi que tu essaies de sauver ta mère ? » La benjamine lui répondit : « Ce rosier dans ton jardin que je vois par la fenêtre est plus beau que le visage de la mort. »

Aussitôt, Zépioure se leva pour aller regarder le rosier. Et c’est ainsi qu’elle fut guérie.

Quelques semaines s’écoulèrent pendant lesquelles Zépioure sentait un regret indicible lui fendre l’âme.

Un jour, elle décida de partir sur les routes. « Tu es trop vieille maman ! » lui dirent ses filles. N’en faisant qu’à sa tête, Zépioure prépara ses affaires pour le voyage.

Mais alors qu’elle se tenait dans son jardin, s’apprêtant à partir, une main se posa avec une infinie douceur sur son épaule. Elle se retourna. Elle vit devant elle un visage de lumière : « Je suis le roi des rois et je suis partout où tu me cherches. »

Zépioure laissa tomber ses affaires, stupéfaite et hors d’elle-même.

L’inconnu lui raconta alors qu’il était le Christ, le Fils de Diex, qu’il avait été crucifié et qu’il était maintenant ressuscité.

C’est alors que Zépioure se mit en colère. « Tu t’es laissé mourir alors que tu es Fils de Diex ? » Il y eut un long silence.

Zépioure s’approcha du rosier de son jardin et dit au Christ : « Ton corps ressuscité peut-il sentir le parfum de ces roses ? »

Silence.

On raconte que depuis ce jour, le Christ a quitté la terre et s’est reclus quelque part au-dessus des ciels pour pleurer ; on ne l’a plus revu depuis, mais il arrive que l’on voit ses larmes poindre sur les fleurs les matins de printemps.

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