même après même avant

amour
j’aimerais te le dire même après la douleur
et même avant
il y a des trous dans mes mots et ils sont pleins
comme le sable qui se gorge d’eau trop mouvementée
j’ai tant de choses encore à te dire
pourquoi n’ai-je pas pu franchir ce fil tendu de ciel et d’impossible
cette ligne
je cherche des mots
ma parole est contaminée par mes peurs
par mes douleurs qui me grattent
jusqu’à l’os
comme un rêve dont on ne se souvient plus
et elle est passée au hachoir
c’est une masse plus pleine qu’un instant d’angoisse
je cherche un langage parce qu’il y a sous les rochers encore des palpitations
et sous mon silence aussi il y a des peaux aquatiques et déliées
et sous les roches il y a des baisers
qui n’osent pas mordre à l’air libre
il y a des choses que je ne peux pas te dire
je t’aime et cela est profond et les mots sont sous pression muette dans de telles obscurités
il y a des breloques obscures
des colliers qui me pèsent au cou
frappant
frappant
parce que nos visages sont éloignés et pourtant
c’est comme ces doigts errants qui trifouillent la nuit qui grouille
sous les rochers
sous les algues plus élastiques qu’une âme ouverte par la douleur
des amas de vertiges au bout de chaque marée
de chaque caresse
tout est prêt à m’engloutir
me décomposer étoile après étoile
caillou après caillou
il y a des monstres dans les eaux même les plus miraculeuses
même dans celles qui guérissent
même dans celles où la chair se confond à l’amour et la bouche chantant
à l’hameçon tuant par accident
pourquoi les vagues touchent-elles la terre
ne sont-elles pas assez sauvages pour aimer loin
plus loin
pourquoi les chevaux ne courent-ils pas après le jour
pourquoi n’y a-t-il pas de hurlement pour franchir les montagnes
et pourquoi le vent a-t-il tordu le roseau qui ne craignait pas
l’arrachement
l’extase me déracine hors de mes fines si fines racines
j’aime jusqu’à la douleur brutale
mon sang coulait droit
il est maintenant il est
il est un cercle une roue de vélo une vitesse qui a peur de se respirer
de te rencontrer
j’ai toujours voulu embrasser le couloir rond de ton œil
poursuivre une aventure
comme j’aurais suivi l’animal furieux
de la lumière
mes paupières
des carapaces craquelées par la poussière
et par l’onde qui entoure le visage
aimé
et que le temps n’a pas dispersée
et tout ce sable qui démange encombre ma marche quand je m’éloigne des bords
la vie m’a entrevue jusque dans les tranchées vives de la veine
abîmée
les antres où le cauchemar d’une vie
hiberne
je ne te donne pas ma douleur
je te donne le mouchoir qui a pris le sang de mes yeux
ne te sens pas dans l’obligation de me dire
ce que tu veux de moi
ce que tu aimes chez moi
j’ai trop peur des miroirs et de ces sables mouvants violents qui captivent notre reflet
ta douleur je la tiens comme une noix que je n’ose pas casser
la mer aussi a enragé
mais elle n’a pas encore été assez désespérée pour casser la terre
j’ai dit à cet enfantement que je n’ai pas choisi
pas choisi de supporter la lumière
dans mes yeux décollés
après la nuit
j’ai dit
terrain vague de brûlures pourquoi as-tu mis ton corps sous le mien
veux-tu que je te chevauche jusqu’à ce que toi
tu déposes ta motte d’interdit dans ma bouche
et sur mon regard presque étonné
mais toi
toi aimée au plus intime de ma boue mon bruit mon vaste ma terreur
es-tu proche de vivre de sursauter
de vivre
et les ténèbres
peuvent-elles dessiner le contour
le contour
sans ligne du feu
de l’aube
de là-bas
de là
l’absence
ne te perds pas pour ne pas que le temps m’oublie
amour

poèmes

une parole et nous et le silence et peut-être

je suis (dit la parole)

je suis
la parole
de douleur

défaite
repliée comme un drapeau
vierge

une cargaison de flingues
au fond

des mers

après une bataille
qui n’a pas eu lieu

personne chez moi
n’attend
après
moi

ni
non plus (ajoute-t-elle)
après ma mort

je suis (dit la parole)

je suis la parole
de douleur

et les vaincues ont bien des mots
(avons-nous dit)
mais nous

les invisibles

quel mot peut se souvenir
d’avoir pleuré
avec nous
quand dans l’ombre
nous n’avions presque que des impasses
en guise de

pourquoi

quel bras de mère
de père
d’amie
ou de maison hospitalière
dort sans étreindre

encore un peu

et moi
la mère du monde (dit le silence)
quand il me réveillait par ses cris
ne l’ai-je pas assez
consolé

ma bouche n’est-elle pas assez chaude
dites-moi
ma voix n’est-elle pas assez sûre
et mes douleurs ne sont-elles pas
assez
vraies
comme l’amour seul le peut

pour qu’un mot
vienne en moi

juste une seule fois

m’attendrir

demander crier pleurer attendre

attendre

dire

j’ai nourri les bouches les trous
les amours
les derniers yeux des mortes
les peurs
la chambre dans le noir
l’attente
(disait le mot peut-être)
et même l’espérance
mais il y a sur cette terre écorchée vive
des océans de nuit
où ma voix
tombe
tombe à jamais
et au fond de cette eau rêveuse
sur le sable sans fond
le temps
d’hésiter
ne peut pas s’allonger

sans disparaître

poèmes

cette seconde

grouillement sans voix humaine
abeilles

le ronflement d’une merveille
qui dort

mais dans les herbes hautes

il t’a choisie

le dard
sûr de tuer

alors ne t’en va pas
ne quitte pas cette seconde

en premier

comme est aigu le fil du temps
on ne le sent pas
sans mal

et c’est

une seule fois

poèmes

dévorés

regarde
regarde l’éclair

cannibale

comment le scalpel
définit
une incise
à peine entendue

dans la tempête

parce que la clarté ne gronde pas

ce que tu entends
ce sont les cris dévorés

au fond de ton corps

poèmes
Retour en haut