poèmes

grosse

je suis grosse
grosse et un univers dans le ventre
et grosse comme
la nuit dont les étoiles ne se comptent plus

je suis une vallée et un pays
sans limite
je suis
un coquillage tout rond avec des ravins
et des voûtes
et je suis petite
petite
je suis la vague roulée en boule
timide

les forêts se sont dessinées
des branches des plis
des entrelacs rouges sur mon corps
comme les froissements
d’un coquelicot

je suis grosse
et mes hanches sont pleines de questions
et mes formes
rêvent
somnambulent
comme la vigne l’arabesque le corail
elles explosent
elles explorent

mon visage mon corps
un bouquet de pivoines

poèmes

lieu

iels n’ont pas eu lieu
dis-tu

iels n’ont pas eu lieu

et moi je dis

il y a eu lieu
Gaza est son nom
aussi long que la mémoire
que le corps qui s’allonge
près du cyprès

un visage de gamin
yeux fixes
sa peau
elle brûle encore

et demain

leurs rires tombaient comme des pépins
dans la terre
l’amandier fleurissait et les bras d’une mère
tout fleurissait

entends le bruit du sang
qui ne coule plus
plus
dans le cœur du père

les enfants
oh s’iels faisaient autant de bruit
que les cigales l’été
combien ta conscience entendrait
combien

elle ne dormirait plus

pose des cailloux gris sur ta route
tu l’appelais frontière
mais c’est une route

pose des cailloux gris
sur ta route

tout cela n’a pas eu lieu dis-tu
ni la fleur ni la mère

ni la mort

pose des cailloux gris

la route est empêchée

pose des pierres
là où les corps sont absents

dans le cimetière
chaque silence des bourreaux
et des honnêtes journalistes
qui ferment l’œil
la nuit
et des complices
et de toi
mon cœur tranquille

a eu lieu

poèmes

petite

me voici nue
découpée découpée
comme le poisson
par une impossible lumière

je ne reverrai pas

j’ai espéré des cernes
pour dire quelque chose comme

j’ai vécu

des cernes plus bleues
plus lourdes
que l’écorce de l’océan

je ne reverrai pas

ne me dis pas adieu
tant que la lune sera inachevée
presque ronde
comme la page d’un livre tournée
un peu

et que l’on n’ose pas
traverser

la mer a déroulé ma peau
toute remplie
mais j’ignore où est mon sang
s’il n’est pas dans mon visage

et si de cette dernière fleur
je ne suis plus

amoureuse

où es-tu

je ne reverrai plus

nuit a brûlé
nuit a trahi

l’œil est percé par un voleur
et cette vie

il la prendra

elle est si grande
elle ne tient pas dans ma main

ne ris pas
j’ai trop de mots
mais toi petite
petite mort
étais-je capable de te surprendre

avec une parole

un petit bout que l’obscurité de mon regard

n’a pu enlever

poèmes

même après même avant

amour
j’aimerais te le dire même après la douleur
et même avant
il y a des trous dans mes mots et ils sont pleins
comme le sable qui se gorge d’eau trop mouvementée
j’ai tant de choses encore à te dire
pourquoi n’ai-je pas pu franchir ce fil tendu de ciel et d’impossible
cette ligne
je cherche des mots
ma parole est contaminée par mes peurs
par mes douleurs qui me grattent
jusqu’à l’os
comme un rêve dont on ne se souvient plus
et elle est passée au hachoir
c’est une masse plus pleine qu’un instant d’angoisse
je cherche un langage parce qu’il y a sous les rochers encore des palpitations
et sous mon silence aussi il y a des peaux aquatiques et déliées
et sous les roches il y a des baisers
qui n’osent pas mordre à l’air libre
il y a des choses que je ne peux pas te dire
je t’aime et cela est profond et les mots sont sous pression muette dans de telles obscurités
il y a des breloques obscures
des colliers qui me pèsent au cou
frappant
frappant
parce que nos visages sont éloignés et pourtant
c’est comme ces doigts errants qui trifouillent la nuit qui grouille
sous les rochers
sous les algues plus élastiques qu’une âme ouverte par la douleur
des amas de vertiges au bout de chaque marée
de chaque caresse
tout est prêt à m’engloutir
me décomposer étoile après étoile
caillou après caillou
il y a des monstres dans les eaux même les plus miraculeuses
même dans celles qui guérissent
même dans celles où la chair se confond à l’amour et la bouche chantant
à l’hameçon tuant par accident
pourquoi les vagues touchent-elles la terre
ne sont-elles pas assez sauvages pour aimer loin
plus loin
pourquoi les chevaux ne courent-ils pas après le jour
pourquoi n’y a-t-il pas de hurlement pour franchir les montagnes
et pourquoi le vent a-t-il tordu le roseau qui ne craignait pas
l’arrachement
l’extase me déracine hors de mes fines si fines racines
j’aime jusqu’à la douleur brutale
mon sang coulait droit
il est maintenant il est
il est un cercle une roue de vélo une vitesse qui a peur de se respirer
de te rencontrer
j’ai toujours voulu embrasser le couloir rond de ton œil
poursuivre une aventure
comme j’aurais suivi l’animal furieux
de la lumière
mes paupières
des carapaces craquelées par la poussière
et par l’onde qui entoure le visage
aimé
et que le temps n’a pas dispersée
et tout ce sable qui démange encombre ma marche quand je m’éloigne des bords
la vie m’a entrevue jusque dans les tranchées vives de la veine
abîmée
les antres où le cauchemar d’une vie
hiberne
je ne te donne pas ma douleur
je te donne le mouchoir qui a pris le sang de mes yeux
ne te sens pas dans l’obligation de me dire
ce que tu veux de moi
ce que tu aimes chez moi
j’ai trop peur des miroirs et de ces sables mouvants violents qui captivent notre reflet
ta douleur je la tiens comme une noix que je n’ose pas casser
la mer aussi a enragé
mais elle n’a pas encore été assez désespérée pour casser la terre
j’ai dit à cet enfantement que je n’ai pas choisi
pas choisi de supporter la lumière
dans mes yeux décollés
après la nuit
j’ai dit
terrain vague de brûlures pourquoi as-tu mis ton corps sous le mien
veux-tu que je te chevauche jusqu’à ce que toi
tu déposes ta motte d’interdit dans ma bouche
et sur mon regard presque étonné
mais toi
toi aimée au plus intime de ma boue mon bruit mon vaste ma terreur
es-tu proche de vivre de sursauter
de vivre
et les ténèbres
peuvent-elles dessiner le contour
le contour
sans ligne du feu
de l’aube
de là-bas
de là
l’absence
ne te perds pas pour ne pas que le temps m’oublie
amour

poèmes
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