Au chat Orphée

Orphée aux yeux plus doux que l’olivier ;
ton pelage, un rayon de lune,
a désormais le parfum de mes larmes ;
j’aimerais que le jardin
garde la trace de ton ombre comme une cicatrice.
Ton ombre qui bondissait pour attraper les oiseaux
autrefois,
joue aujourd’hui avec les filets amers et salés
du temps qui passe et qui coule sur mes joues ;
prendras-tu encore des oiseaux dans le ciel où tu es
pour les mettre devant notre porte,
sur le seuil de nos yeux rouillés, verrouillés de silence ?
Si tu te caches encore sous mon lit, sans que je m’y attende,
s’il te plaît,
parle-moi dans mes rêves le langage du printemps,
du camélia aux mille joues roses,
des oiseaux aux ailes remplies de soleil ;
si tu traverses le gué
du dernier rivage,
chante comme la tourterelle, comme tu ronronnais,
comme le feu sombre dans l’âtre,
comme le vent qui répand la pluie fraîche et les grelots au son trouble
du souvenir.
Je répandrai tes cendres lointaines et la braise encore chaude
de ton nom ; et partout où mon cœur
continuera de se rappeler les neiges fanées,
les tessons tendres de mes rires
et éclats de larmes,
les couleurs légères et profondes de ma jeunesse,
Orphée, tu seras là
avec les chemins enneigés de ton pelage,
dans les bords de nuit laiteuse,
et les étoiles voilées.
Si je touche la rosée au matin,
c’est que que les sanglots d’hier coulent sur nos joues en fleurs,
et que les étoiles de jadis
sont tombées sur nos roses d’aujourd’hui.
Nos jardins sont tristes
comme ta présence qui brille, brindille en feu,
comme le dernier baiser violent arraché à la vie.
Orphée, maintenant c’est moi qui chasserai
les couvées endeuillées de brume,
les oiseaux qui supportent sur leurs ailes
un peu du paradis – ou un peu du néant peut-être,
les petites souris qui courent comme des rires
sur les lèvres chaudes de l’aurore ;
je les chasserai pour toi et nous déposerons
sur le seuil de ta petite maison
aux quatre murs de vent,
aux fenêtres de ciel ouvert,
la pelote écoulée, déliée comme ta liberté, ta langue de silence,
une langue de chat.

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