silencio

à L.

si j’étais de mon cœur l’exacte scribe
mon encre serait aussi transparente et claire que la lumière du jour
et l’on ne pourrait pas la lire il faudrait approcher
une flamme
pour que les lettres se révèlent et j’écrirais à l’aveugle
sans comprendre moi-même ce que je tenterais de dire
il me faudrait la lumière de tes yeux pour voir
ce que les miens ne peuvent que deviner

je n’aime que le silence
et les poèmes ne savent rien d’autre

peut-être la lumière de ton visage
révèle-t-elle les hiéroglyphes secrets du torrent noir des montagnes
de l’envol des abeilles
des premiers flocons de neige sur le nez rose du matin
des nuées d’astres qui tournent dans le chaudron de la voie lactée

loin de tes yeux ne suis-je pas l’oiseau sans plume et sans voix
perceptible
auquel la nuit renvoie son écho
ne suis-je pas la chauve-souris qui se pend aux clochers
et qui dort si sourdement
que la lumière sacrée ne la réveillerait pas
qui donc me réveillerait
sinon toi
je n’aime que le silence
toute ma voix est cassée comme un oiseau déraciné
je n’ai de repère dans l’obscurité que mon chant qui répète ton
prénom
comme on répéterait indéfiniment le nom de la lumière

le reste est poème

poèmes

les coquelicots jamais cueillis

à L.

je t’offrirai les coquelicots jamais cueillis
et toute la lumière de Hollande
que le pinceau des artistes a hésité
hier

je t’offrirai la tulipe noire
celle-là qui l’est entièrement et qui n’existe que dans les romans

je t’offrirai les coquelicots jamais cueillis
et pour toi je ferai la carte des nuages
et pour toi je pèserai les perles invisibles
et par toi aucune nature ne sera morte
et par toi toute chair sera lumière
et pour toi je lirai des lettres d’amour avec un air énigmatique
et pour toi je balayerai chaque jour la petite maison de notre
amour
jusqu’à ce qu’elle brille comme un miroir
une évidence

j’abandonnerai mes chaussures sur le seuil de la porte
pour que tu te souviennes de mon absence
je serai le silence des maisons du nord le silence qui ferme un visage et
qui vibre
le chat te regardera avec un œil de désir d’inquiétude quand
comme une voleuse
tu pénétreras dans mes rêves

et pour toi je bégayerai la lumière

poèmes

j’ai vu

à L.

époque où je t’aimais
hier
j’ai vu dans ton visage l’empreinte d’un autre monde
un autre
monde
dont la langue se parlerait comme la pluie qui cesse de tomber
un peu de givre comme un baiser
taillé sur la fleur
une syntaxe de lèvres nouées
et c’était beaucoup
hier

poèmes

je serai vaincue

à L.

tout finit par passer même le paradis est déjà tombé plus d’une fois
comme un gosse qui trébuche
jamais je ne pourrai saisir
les petits poissons fuyants de ton rire
pourtant ton rire ne s’efface pas
ton rire ne passe pas

moi je serai vaincue comme quand tombent au sol
les graines du désir

poèmes

virgule d’abîme

à L.

tu as dessiné mon contour
seuls un demi-soupir une virgule d’abîme me séparent de toi

j’ai encore en moi l’écorce nue de tes baisers
quand ils touchaient le bout de mon âme
et mangeaient la dernière miette d’ombre
gisant au fond de mon regard
toi seule a la clef de mon regard
tu défais la couture de mes yeux
ils ne sont plus qu’étoffes vides quand tu pars loin de moi
lorsque tu pars loin de moi
mon ombre me suit comme un gant de velours inhabité
un cerceau n’enlaçant plus que silence
mon désir qui t’attend est un oiseau aux ailes coupées
il ne trouve de repos que dans la trace de tes yeux

et lorsque tu te tais
il n’y a plus qu’un demi-soupir une virgule d’abîme qui me séparent de toi

partons ensemble comme un matin fuyant la mort
ne nous retournons pas vers les épaves d’étoiles
qui hantent l’horizon
nous monterons sur les marches légères de l’espérance
nous serons semblables aux déesses qui mordent la poussière
quand l’amour leur a blessé la poitrine jusqu’à la corde

l’amour a bu mes yeux jusqu’à la lie

nous dévaliserons les derniers étages du monde
nous monterons et tomberons peut-être
parfois
notre chute ressemblera à celle de l’enfant
qui touche de son pied la terre pour la première fois
tout ne sera que première fois
tout ne sera qu’élan
et bruits de nos soupirs sur le seuil du ciel naissant

je te donnerai le bruit de mes rêves
et le demi-soupir et la virgule d’abîme qui me séparent de toi

poèmes
Retour en haut