À L.
Si j’étais de mon cœur l’exacte scribe,
mon encre serait aussi transparente et claire que la lumière du
jour
et l’on ne pourrait pas la lire ; il faudrait approcher
une flamme
pour que les lettres se révèlent. Et j’écrirais à l’aveugle
sans comprendre moi-même ce que je tenterais de dire.
Il me faudrait la lumière de tes yeux pour voir
ce que les miens ne peuvent que deviner.
Je n’aime que le silence,
et les poèmes ne savent rien.
Peut-être la lumière de ton visage
révèle-t-elle les hiéroglyphes secrets du torrent noir des
montagnes,
de l’envol des abeilles,
des premiers flocons de neige sur le nez du petit enfant,
des nuées d’astres qui tournent dans le chaudron de la voie
lactée,
et de bien d’autres mystères,
que les mots des poètes n’ont jamais su comprendre.
Loin de tes yeux, ne suis-je pas l’oiseau sans plume et sans voix
perceptible,
auquel la nuit renvoie son écho ?
Ne suis-je pas la chauve-souris qui se pend aux clochers,
et qui dort si sourdement
que la lumière sacrée ne la réveillerait pas ?
Qui donc me réveillerait, sinon toi ?
Je n’aime que le silence.
Toute ma voix est cassée comme un oiseau déraciné :
je n’ai de repère dans l’obscurité que mon chant qui répète ton
prénom
comme on répéterait indéfiniment le nom de la lumière.
Le reste est poème.