tu as les yeux sombres

tu as les yeux sombres
et la bouche silencieuse
comme quand sous l’éclipse
les oiseaux ne chantent plus

tu portes le malheur
comme on porte son eau
et tu ne demandes rien à personne
non jamais

un jour tu sors sous la tempête
tu mets ton pied dans une flaque d’eau
très violemment
et un jet d’eau fleurit jusqu’à tes yeux

tu n’as pas peur de mourir
car tu es bien plus que Dieu
tu es la fragile personne que la terre n’abandonnera pas

maintenant il fait presque nuit
n’aie pas peur non la nuit est si grise
que tout chagrin est gris
c’est un gris qui ne désespère pas
c’est un gris bleu comme la lavande ou le bruit de la mer

tu ne pourras pas regagner ton logis
pourquoi ne pas t’attarder dehors

tu n’as pas perdu assez de temps dans ta vie
pourquoi ne pas croire en la balançoire
comme on croit en l’amour

c’est ici que la cruche tombe et se fend
et que l’oiseau a l’aile cassée
tu ne regarderas plus derrière toi
car tous les fruits entrailles ouvertes
ont été mangés par les corneilles

il fait froid jusqu’en lisière de peau
pourtant tu danses avec grâce et tristesse
attendant que d’un coup de faucille
l’orage emporte l’épi indocile de ta danse

ne pleure plus il y a des araignées
qui tissent des cordes vers le ciel
des pluies de soie qui sursautent et piègent les rais de lune
entre les plis des peupliers

les scarabées tournent dans l’air avec leur armure d’onyx
n’aie pas peur et avance jusqu’à ce qu’août soit passé
et les dernières rousseurs des blés
et les pluies et les nuits dans les prés séchés comme un fond de tisane
dans un verre brisé

poèmes

pleurer jusqu’à plus soif

pleurer jusqu’à plus soif
et fouler le chemin de cailloux
le chemin est plus long qu’un couteau
qui tranche devant soi la promesse infatigable
des horizons ouverts et des hirondelles

j’ai longtemps cherché à me faire neige ou blé vert
ou automne fatigué comme le feu trop mûr
aujourd’hui je tends ma paume sans lendemain et sans autrefois
je n’ai plus qu’un arbre à aimer

les bouches qui peuvent chanter sont faites d’écorce tendre
et nos yeux de soleils plus lourds que des oranges tombées à terre

j’aime manger la poussière
elle seule m’étreindra quand je ne serai plus

poèmes

le soir

le soir il y a les nuages tendres aux joues de pivoine
il y a les rires passés comme des vols d’étourneaux
et le silence qui pleure sur l’épaule sans montrer son visage
il y a la porte derrière laquelle on a tout oublié
y compris les clés
il y a l’enfant qui veut encore allumer la lumière
même s’il est trop tard

le soir

poèmes

je galope

je galope je galope
comme un cheval sans entrailles
dans son ventre il n’y a que du vent

je galope et les gens me disent
où vas-tu
je réponds
il fait nuit jusqu’au fond des fleurs
le vide je ne le supporte plus
on me répond
pourquoi ne pas t’attendre
peut-être te rencontreras-tu
mais moi je m’enfuis l’esprit remué
comme le fond d’une casserole trop chaude

par pitié laissez-moi revivre
REVIVRE
coup de gong au cœur morsure de vipère au talon
parfum de peur

par pitié laissez-moi renaître
RENAÎTRE
elle a le désir de renaître la personne qui le talon blessé
implore misérablement à la vie quelques coquilles de plus
il faut plus de courage pour renaître
que pour mourir pas vrai

par pitié laissez-moi retourner
RETOURNER chez moi
en retournant la peau du monde et des nuages
je ne regarderai ni devant ni derrière
je regarderai en moi

la mort sera le visage de la vie
celui que l’on regarde dans les yeux avec sérieux
la vie sera les pieds de la mort
ceux qui marchent d’un pas léger sur les chemins longés d’oliviers

mort et vie sont le même corps
son cœur c’est le mystère
il s’envole dès qu’on veut le saisir
comme le merle à la fenêtre ou l’invisible au coin des yeux

le silence

poèmes

enfance

il y a dans ma bouche un lourd noyau de silence
il ne se mange pas
sous peine de mort

voilà l’enfant

la baguette vibre comme une voix invisible
près de l’if du jardin
la source a été bue par une langue étrangère
il reste des cailloux dans une flaque
qui tracent un amphithéâtre de cercles vides
tragiques

je jouais avec les pierres
parce que je ne voulais pas leur ressembler
enfant
aujourd’hui j’ai cessé de jouer
et j’ai construit des murs pour que leurs ombres cachent
mon ombre

ma prison avait du vent entre les dents
pour pleurer sans bruit
c’est pour cela que j’ai rêvé
jusqu’à user la corde à mon cou

enfance

c’était le temps où les chemins mangés jusqu’à l’os
échappaient encore à mes pas trop sonores
comme des serpents amoureux
le temps où l’on replie la lettre chaude de soucis
qu’a laissée l’aube sur nos fronts
demain existera dit-on

premier pas hors de la lune

mais je sais que l’avenir se réveille
quand il craint de ne plus rêver

j’ai caché dans mes poches des foulards sans nœud
et tout ce qui est sans nœud ressemble à un oiseau
c’est ma seule innocence
et quand j’étais enfant je ne fermais jamais les yeux
par peur du noir

exil

j’ai oublié tous les pays de mes yeux sans frontière

poèmes
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