La princesse aux cheveux blancs

Il était une fois une princesse à la peau brune, à la taille épaisse : elle était belle, elle était jeune. Et elle avait les cheveux blancs : ils dévalaient son dos comme un vol de colombes. Et cette princesse n’avait jamais vu la lumière du jour ; car ses parents qui craignaient que son cœur ne trébuche et ne se blesse, ne lui avaient jamais permis de quitter le palais : ils avaient mis dans l’enceinte du palais un jardin à ciel fermé, où les oiseaux ne venaient jamais et où les fleurs étaient sans parfum, où les cailloux quand ils roulaient sous les pieds ne faisaient pas de bruit, et où les fontaines étaient remplies d’eau immobile.

Un jour néanmoins, la princesse, qui avait atteint l’âge de ses seize ans, décida de quitter le palais en cachette.

Elle parcourut les rues de la grande ville qui se trouvait près du palais. Elle sentit l’odeur du poisson mort sur les étalages, elle vit les fruits à demi pourris que jetaient les marchandz dans le caniveau ; elle croisa un chien jaune et galeux qui jouait avec un os de poulet ; elle vit le chat miteux uriner contre les murs délabrés d’une maison où, disait-on, un homme s’était pendu après avoir fait faillite.

Plus loin, au détour d’une ruelle, elle croisa une mendiante aveugle. Elle lui jeta une pièce, en disant : « Pour soulager ta misère, mendiante : j’étais aveugle comme toi jusqu’à aujourd’hui. » La mendiante, entendant la voix de la princesse, une voix triste et belle comme le bruit que ferait une étoile qui tomberait juste à côté de nous, répondit : « Si tu es bien sincère dans ton aumône, ne me donne pas une pièce mais donne-moi ton cœur. Mon écuelle n’est là ni pour recueillir les pièces, fussent-elles d’or, ni pour recueillir les larmes de pitié : j’ai mis mon écuelle pour recueillir les cœurs. » La princesse, qui était jeune, et qui n’avait rien connu du monde jusqu’à ce jour-là, accepta. Et elle donna son cœur.

Quand elle revint au palais, elle n’eut plus goût à rien, ni au chant de ses servantes, ni à son lit de soie, ni aux pierres précieuses qui dormaient dans ses tiroirs, ni aux miroirs sombres et profonds qui répétaient de pièce en pièce son visage.

Elle essaya de se distraire, une fois, deux fois, chaque jour de la semaine, mais elle comprit bientôt que son cœur ne lui reviendrait jamais et qu’il était resté de l’autre côté des murailles du palais, dans l’écuelle de la mendiante.

Alors, elle cessa de sentir le goût des plats qu’on lui servait : ils se décomposaient dans sa bouche comme de la viande pourrie sur laquelle dansent les mouches. Elle devint sourde aux paroles

aimables des courtisanz : elles résonnaient dans ses oreilles comme le crissement d’un doigt sur un crâne.

Elle devint aveugle à toutes ses richesses, à tous les plaisirs, à toutes les beautés de son palais : elle ne vit plus rien. Et quand elle eut totalement fermé les yeux à tout ce qui l’entourait, elle partit sur les routes, vagabonda, marcha jusqu’à une ville voisine dans un pays voisin : là, elle s’assit sur un coin puant du pavé et se mit à mendier. Une princesse à la peau brune, aux cheveux blancs, à la taille épaisse vint à passer par là qui lui jeta une pièce : « Pour soulager ta misère, mendiante : j’étais aveugle comme toi jusqu’à aujourd’hui. » Et l’ancienne princesse répondit : « Si tu es bien sincère dans ton aumône, donne-moi ton cœur. »

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Un éléphant sur l’épaule

Il était une fois ane enfant qui dansait en portant un éléphant sur son épaule. On s’arrêtait près d’ellui, et parfois, on lui jetait une pièce ; mais iel ne se souciait pas des pièces qu’on lui jetait : iel continuait de danser. Et iel ne s’interrompait jamais.

Un jour, ane vieilleux lui demanda : « Pourquoi danses-tu ainsi, alors que le monde va si mal ? » L’enfant répondit : « Si je peux porter sur mon épaule un éléphant en même temps que je danse, je pourrais bien porter aussi toutes les larmes de la terre. »

Lae vieilleux voulut savoir si ce que l’enfant disait était vrai. Iel parcourut le monde entier, et recueillit toutes les larmes qui coulaient des yeux des femmes, des lummes, des hommes, des enfants, des animaux et de la terre elle-même. Iel revint ensuite où se trouvait l’enfant et lui tendit les larmes : alors, l’enfant les prit et ne put plus danser.

Lae vieilleux fut déçux ; car iel avait cru, vraiment, que l’enfant pourrait porter toutes les larmes du monde : après tout, n’avait-iel pas porté un éléphant sur son épaule ? Le temps passa, et l’enfant devint vieilleux. « Pourquoi ne tenterais-je pas de danser à nouveau ? », pensa-t-iel ; la mort n’était pas loin d’ellui.

Iel se leva donc de son lit, sortit de sa maison et se mit à danser. Personne ne s’arrêtait pour lae regarder ; il faut dire que sa danse était bien maladroite.

Le soleil n’était pas encore couché qu’ane enfant s’approcha d’ellui : « Pourquoi trembles-tu ainsi de froid ? demanda l’enfant à lae vieilleux. — Ce n’est pas que je tremble de froid, répondit çae dernierx, c’est que je danse. — Pourquoi tes jambes ne te portent-elles plus ? demanda l’enfant à lae vieilleux. On dirait que tu es en train de tomber. — Ce n’est pas que je tombe, répondit lae vieilleux, c’est que je suis en train de danser. — Pourquoi as-tu le dos courbé ? Et pourquoi as-tu besoin d’un bâton pour marcher ? — Ce n’est pas le bâton qui me soutient, mais moi qui soutiens le bâton, dit lae vieilleux. Ne vois-tu donc pas que je danse ? — Pourquoi, demanda l’enfant, danses- tu alors que la mort est si près de toi ? »

A cette question, lae vieilleux ne répondit pas.

Et iel dansait encore quand le soir fut tombé, et que l’enfant était déjà partix loin, très loin jouer avec d’autres enfants.

A force de danser, lae vieilleux qui avait jadis été ane enfant redevint enfant : iel portait la mort sur son épaule, ainsi que toutes les larmes du monde. Le tout ressemblait à un éléphant.

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Lae mauvaisx poètex

Il était une fois ane poètex qui composait pour l’amour de l’art. Ni la gloire ni l’argent ne l’intéressaient : iel n’aimait la poésie que pour elle-même, iel ne chantait que pour chanter.

Mais çae poètex était ane mauvaisx poètex, iel le savait : iel continuait néanmoins de chanter.

Un jour, ane enfant s’arrêta près d’ellui et lui dit : « Pourquoi continues-tu d’écrire des vers et de les chanter alors que tu es si mauvaisx poètex ? » Lae poètex répondit : « Je le fais parce que mes vers pour sortir de ma bouche ne se soucient pas du fait qu’elle soit la bouche d’ane bonx poètex ou d’ane mauvaisx poètex. »

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Le nom des choses

Il était une fois un petit enfant qui cherchait la peur ; aussi, un jour, il s’éloigna de la maison familiale pour entrer dans la forêt : « Peur, es-tu dans cette forêt ? », cria-t-il à tue-tête ; le vent lui répondit : « La peur, la peur est dans cette forêt. »

Mais l’enfant ne le crut pas, il cria de nouveau : « Peur, es-tu dans cette forêt ? » Et les oiseaux lui répondirent : « La peur, la peur est dans cette forêt. »

L’enfant continua de s’enfoncer dans les bois, et la nuit tombait ; il n’avait toujours pas peur, et il cria une troisième fois : « Peur, es-tu dans cette forêt ? » Cette fois-ci, ce fut le silence qui lui répondit : « La peur, la peur est dans cette forêt. » Et le silence avec sa voix glacée terrifia l’enfant, mais il était trop tard : un énorme loup se présenta devant lui avec ses yeux brillants et le dévora.

Lorsque minuit sonna, la grande sœur du petit enfant s’inquiéta pour son frère. Elle se rendit dans la forêt, avec la peur au ventre et pour se rassurer, elle criait : « Peur, es-tu dans cette forêt ? » Le vent lui répondit : « La peur, la peur est dans cette forêt. »

La grande sœur prit encore plus peur, mais elle avança courageusement et pour se rassurer encore, elle dit : « Peur, es-tu dans cette forêt ? » Et les oiseaux lui répondirent : « La peur, la peur est dans cette forêt. »

Alors, quand elle fut parvenue au cœur de la forêt, elle s’écria encore une fois pour se rassurer :

« Peur, es-tu dans cette forêt ? » Et le silence lui répondit : « La peur, la peur est dans cette forêt. » A ce moment-là, l’énorme loup qui avait dévoré son frère s’approcha d’elle, mais la sœur aussitôt s’empara d’une pierre et frappa sur le crâne de l’animal, qui tomba raide mort.

Avec ses dents, la grande sœur ouvrit le ventre de l’animal et son frère put en sortir sain et sauf, mais lorsque la grande sœur l’interrogea, elle s’aperçut que celui-ci avait perdu la parole.

« Comment rendrai-je la parole à mon petit frère ? » pensa-t-elle.

Iels marchèrent ensemble dans l’obscurité. Iels arrivèrent bientôt devant une cabane où vivait une magicienne. Et la grande sœur frappa à la porte : toc toc toc.

La magicienne ouvrit, la grande sœur fondit en larmes et expliqua tout ce qui était arrivé à elle et à son petit frère.

Et la magicienne dit : « Ton petit frère ne pourra retrouver la parole que lorsque tu auras trouvé le prénom de chaque brin d’herbe, chaque caillou, chaque fourmi, chaque oiseau, chaque grain de poussière de cette forêt. »

La grande sœur dit : « Mais c’est impossible ! Il me faudrait plus d’une vie pour y parvenir. — C’est la seule solution », répondit la magicienne, et elle lui referma la porte au nez.

La grande sœur marcha, marcha, son petit frère dans les bras, désespérée ; le matin s’était levé. Alors, elle commença à nommer chaque élément de la forêt, et chaque fois qu’elle trouvait un nom, le petit frère qu’elle avait nommé Religion le répétait ; et la peur, un instant, semblait quitter son visage.

Et elle continue encore de nommer aujourd’hui.

A elle-même, elle s’est donné le nom de Poésie.

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Un miroir de boue

Une jeune fille fut amenée un jour à devoir composer un long poème. Seulement, il lui était presque impossible de l’écrire : à chaque instant, son esprit se détournait de son objet ; les mots semblaient trébucher sous sa main ; à la fin, elle fut lasse et pensa même abandonner ce qu’elle avait entrepris.

Elle sortit se promener le long d’un fleuve, pensant que l’air frais lui permettrait de retrouver de l’inspiration pour écrire ; elle se dit à voix basse : « Si seulement mes phrases pouvaient couler comme ce fleuve ! Il est à la fois profond et limpide ; son eau s’écoule de manière continue ; il abrite dans ses eaux et sur ses berges des milliers d’animaux et d’insectes qui grouillent, pullulent et le rendent plus vivant que n’importe lequel de mes mots. »

Un ragondin entendant ses murmures, s’approcha d’elle et lui dit : « Veux-tu connaître le secret de ce fleuve ? » La jeune fille répondit qu’elle donnerait tout pour connaître le secret du fleuve.

Alors, le ragondin lui dit : « Le fleuve n’est pas aussi clair que tu le perçois, et sa profondeur, ce n’est que de la boue : le fleuve ne se soucie pas de ses impuretés, le fleuve ne se soucie pas de lui- même : il regarde face à face le ciel et le reflète. Ne te soucie pas de la correction de ta langue, ni de la beauté de tes mots : soucie-toi seulement de refléter ce qui pour toi mérite de l’être. »

Et le ragondin ajouta : « Fais de ta poésie un miroir de boue. » Puis, il disparut.

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