Une leçon d’ogresse

Il était une fois une méchante ogresse d’une laideur à faire trembler. Si laide que mieux valait ne pas la regarder trop longtemps ; et gare à cellui qui respirait son haleine ! Quant à ses mœurs, on ne pouvait faire à ce qu’on disait, plus relâché ; elle mangeait et buvait comme un trou, et racontait-on, elle vivait avec douze vieillards chez elle, qui étaient ses fidèles serviteurs. Elle était d’après les rumeurs, à la fois avare et prodigue ; pingre quand il s’agissait de donner à l’indigentx ; prodigue quand il s’agissait de s’adonner à la jouissance. Elle vivait au milieu de la forêt ; et nul n’osait s’aventurer chez elle.

Or, il se trouva qu’un jour, une jeune fille vint frapper à sa porte.

« Que me veux-tu ? lui demanda l’ogresse d’une voix terrible, en ouvrant la porte. — Ogresse, lui répondit la jeune fille, je viens ici car tout le monde me trouve niaise chez moi. Ma mère m’a chassée de ma maison, et je ne sais comment faire pour y revenir ; car on me trouve si bête que plus personne ne veut de moi nulle part. »

L’ogresse lui demanda : « Sais-tu combien il y a d’oiseaux dans le ciel ? — Je ne sais pas, ogresse. Peut-être dix, peut-être mille : je ne les ai pas comptés ! — Pourquoi te dit-on idiote ? Tu n’es pas plus idiote qu’une autre. Une idiote aurait essayé de répondre. Mais voici une autre question : combien penses-tu que j’ai d’orteils ? — Dix, répondit la jeune fille. — Effectivement, j’en ai dix. Maintenant, je suis convaincue que tu n’es pas aussi bête qu’on le prétend. Une idiote aurait cru que je lui tendais un piège avec ma question et aurait répondu à côté. — Veux-tu bien m’apprendre d’où te vient tant de savoir, ogresse ? demanda la jeune fille. — Pas tout de suite, répondit l’ogresse. Je vais d’abord t’embaucher pour que tu travailles chez moi ; si tu réussis à bien me servir comme je le veux, je te transmettrai un peu de ma sagesse, qui est réputée dans le monde entier. Si tu échoues, je te mangerai. »

La jeune fille accepta et entra dans la maison de l’ogresse. Cette dernière lui dit : « Désormais, je vais te demander de prendre ce balai et de balayer le brouillard qu’il y a devant la maison jusqu’à ce qu’il parte ; quand tu auras fini cela, tu devras coudre des toiles d’araignée, et préparer le repas. C’est tout ce que je te demande. » A ces mots, l’ogresse partit de la maison en claquant la porte.

La jeune fille se reposa toute la journée et le soir venu, peu avant que revienne l’ogresse, elle prépara à manger avec entrain. A son retour, l’ogresse lui demanda : « As-tu bien fait tout ce que je t’ai dit de faire ? — Oui, répondit la jeune fille. Le brouillard n’est plus là. Quant aux toiles d’araignée, en voici partout dans les coins de ta maison. — Tu te moques de moi, lui répondit l’ogresse. Le brouillard n’est plus là, car le beau temps est revenu, et non pas parce que tu l’as balayé. Quant aux toiles d’araignée, elles étaient là partout dans la maison avant même que je parte. Si demain tu ne fais pas ce que je t’ai demandé, je te mangerai. »

Quand elle eut dit cela, l’ogresse s’empiffra et mangea une quantité de nourriture qui aurait pu rassasier dix personnes vigoureuses. Elle but également beaucoup d’eau-de-vie, puis partit se coucher dans une pièce reculée de la maison.

Le lendemain matin, l’ogresse partit de bonne heure. La jeune fille encore une fois se reposa toute la journée, et le soir venu, elle prépara à manger pour l’ogresse. Quand celle-ci fut de retour, elle l’interrogea : « As-tu bien fait tout ce que je t’ai demandé de faire ? — Non, répondit la jeune fille. Ce que tu m’as demandé de faire était inutile : le soleil a dissipé le brouillard ; quant aux toiles d’araignée, elles sont déjà nombreuses. Mieux vaudrait les enlever que d’en ajouter de nouvelles ! — Décidément, répondit l’ogresse, tu es plus idiote que ce que j’avais présumé au début. C’est par pitié pour ton idiotie que je ne te mange pas tout de suite. Mais demain, je serai sans pitié ; si tu ne fais pas ce que je t’ai demandé de faire, je te mangerai ! »

L’ogresse mangea ce soir-là comme vingt personnes en bonne santé puis quand elle fut rassasiée, elle partit ronfler dans sa chambre.

Le lendemain matin, la jeune fille décida de quitter la maison de l’ogresse : « Qu’a-t-elle à m’apprendre que je ne sache déjà ? pensa-t-elle. On ne balaye pas le brouillard, on ne coud pas de toiles d’araignée, encore moins quand il y en a déjà dans la maison. Si je reste encore ici aujourd’hui, je me ferai dévorer toute crue. »

La jeune fille quitta donc la maison de l’ogresse. Sur le chemin qui devait la conduire jusqu’au village, elle croisa justement l’ogresse, l’air mécontent : « Que fais-tu ? demanda l’ogresse. Ne t’avais-je pas demandé de balayer le brouillard, de coudre des toiles d’araignée et de préparer le repas ? — Ogresse, dit la jeune fille, tu m’as appris une chose essentielle qui me servira toute ma vie : j’ai appris qu’il faut partir d’une maison où il y a une ogresse qui veut nous dévorer si on ne balaye pas le brouillard et si on ne coud pas de toiles d’araignée. Désormais, je ne serai plus jamais niaise, je te le promets. »

L’ogresse eut un grand éclat de rire et les deux femmes se quittèrent.

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Les conseils

Un jeune homme consacrait tous ses efforts à l’étude de la religion ; il s’était donné pour but de devenir un parfait croyant. Un jour, il se rendit auprès d’un sage et lui demanda : « Que dois-je faire pour devenir l’homme le plus vertueux du monde ? » Le sage lui répondit : « Quoi de plus simple ? maltraite ton corps, dors à même le sol et mange du pain sec tous les jours. Puis, invite les pauvres chez toi. » Le jeune homme s’exécuta les jours, les semaines, les mois suivants : il devint maigre comme un clou.

Il invitait les pauvres chez lui, mais ces dernierz riaient : « On ne veut pas de ton pain sec ! Tu vis comme un chien, et tu veux faire l’aumône ! »

Le jeune homme dépité s’en revint voir le sage. Ce dernier dit au jeune homme : « Tu as parfaitement bien agi. Mais je sens de la colère en toi ; flagelle-toi chaque fois que tu éprouveras des sentiments impurs : ainsi tu atteindras la plus haute vertu. »

Le jeune homme fit ce que le sage lui avait dit. Or, il éprouvait de la colère si souvent que son corps devint bientôt tout rouge de sang, tout meurtri et tout endolori. Il s’en revint voir le sage, qui lui dit :

« Je vois que tu as bien appliqué mes conseils. Le seul défaut que je vois chez toi, c’est que tu n’agis pas avec ton cœur malheureusement, mais seulement pour t’enorgueillir. — Que faire alors ? demanda le jeune homme. — Le mal est inexpugnable, tant que tu resteras toi-même. Il faut donc que tu cesses entièrement d’exister. — Et comment m’y prendre ? demanda le jeune homme. — Chaque fois que te viendra la pensée : “Je veux faire ceci ”, fais l’inverse », dit le sage. Par exemple, s’il te vient la pensée : “Je veux danser”, reste immobile ; ou si tu penses “Je veux être au chaud”, plonge-toi dans un lac gelé. Et souviens-toi toujours que tu es le pire des fils de chien, que tu ne mérites même pas de respirer, que tu es un trou rempli d’ordures. »

Le jeune homme rentra chez lui. Il était en colère, il pensa à mettre fin à ses jours.

Finalement, il prit l’argent qu’il lui restait et fit un délicieux festin. Ensuite, il se remit à dormir dans son lit. Puis, le lendemain matin, il pansa son corps et le parfuma ; il mit de beaux vêtements et sortit dans la rue.

Les gens lui dirent : « Que t’est-il arrivé ? Le sage ne t’avait-il pas dit de faire l’inverse ? » Le jeune homme répondit : « Il faut désobéir aux conseils idiots et dangereux. La désobéissance est une vertu, peut-être la plus belle et la plus précieuse d’entre toutes. »

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Le poing levé

Un jour, on demanda à une théologienne noire ce qu’était la foi. Et cette dernière répondit :

« Une femme fut saisie par une cohorte d’horribles démonz et jetée dans un lac de feu. Au moment où elle s’apprêtait à être engloutie, elle leva son poing vers le ciel.

Le poing continua à flotter à la surface du lac. On raconte même que lorsque le ciel menace de s’effondrer, ce poing le soutient encore. »

On lui demanda alors le sens de cette anecdote. Et la théologienne dit : « Ce poing levé, c’est la foi. La foi a toujours dit non. »

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De l’autre côté de la rivière

Un jour, une fille se rendit à la porte d’une cabane près de la rivière et y frappa. Une voix lui répondit : « Que viens-tu faire ici ? – Je viens demander ton aide. – Que veux-tu ? – Je veux la lumière. – Qui es-tu ? – Une pauvre âme. – Traverse la rivière. »

On ne la revit plus jamais.

Et il arriva ainsi avec une autre fille, puis un garçon, puis ane garfi, et d’autres, et d’autres ; car toutes les générations y passaient.

Un célèbre théologien vint à visiter la région. Il dit à ses habitantz : « Enfants de Diex, nous devons connaître le fin mot de l’histoire. Faites venir la plus sainte personne du pays. »

On fit venir la plus sainte personne du pays, et le théologien lui dit : « Va-t-en à la cabane. Là-bas, parle et fais ce qu’on t’ordonne, puis reviens me voir pour me dire le fin mot de l’histoire. »

La plus sainte personne du pays se rendit à la cabane, mais ne revint pas.

Le théologien vint lui-même frapper à la porte de la cabane : « Que viens-tu faire ici ? – Je viens chercher la vérité. – Que veux-tu ? – Savoir. – Qui es-tu ? – Un idiot. – Traverse la rivière. »

Il ne revint jamais.

Les années s’écoulèrent, et il arriva que Diex ellui-même voulut se rendre auprès de la cabane du bord de la rivière pour connaître le fin mot de l’histoire. Al frappa à la porte et une voix lui répondit : « Que viens-tu faire ici ? » Diex répondit : « Je viens. – Que veux-tu ? – Je veux. – Qui es-tu ? – Je suis. – Tu n’as pas besoin de moi. Va-t-en » répondit la voix…

J’aimerais pouvoir dire davantage mais si Diex ellui-même ne connaît pas le fin mot de l’histoire, que dire de plus ?

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L’existence de Diex

Un jour, ane jeune lumme interpela ane théologiane : « Je suis sceptique quant à l’existence de Diex. Prouve-moi qu’al existe. — C’est très simple, répondit lae théologiane, Diex n’existe pas. — Pardon ? demanda lae sceptique. — Pourquoi es-tu étonnae ? demanda lae théologiane. — Je m’attendais à ce que tu me démontres son existence. — Si tu crois que je peux te la démontrer, c’est que tu crois en Diex : qu’as-tu besoin de me poser alors toutes ces questions ? »

Plus tard, ane autre jeune lumme interpela lae théologiane en ces termes : « Je suis sceptique comme maon camarade quant à l’existence de Diex », ce à quoi lae théologiane répondit : « Cela tombe bien, car moi aussi. — Et tu te dis lumme de foi et de prière ? — Dans mes prières, je ne fais que demander à Diex : existes-tu ? existes-tu ? — As-tu eu une réponse ? — Penses-tu ? s’esclaffa lae théologiane. J’aurais arrêté depuis bien longtemps de prier si j’avais obtenu une réponse ! »

Un jour, lae même théologiane sortit de sa prière la mine réjouie : « Je détiens enfin la preuve de l’existence de Diex et de sa supériorité ! » Les gens de la ville accoururent : « Donne-nous ta preuve ! », ce à quoi lae théologiane répondit : « Êtes-vous bien dignes de la recevoir ? » Les gens de la ville répondirent : « Oui ! — En êtes-vous sûrz ? Prenez garde à ce que vous dites ! — Non, nous n’en sommes pas dignes, finirent-ils par reconnaître. — Moi non plus, je n’en étais pas digne, dit lae théologiane. Et je sais maintenant à quel point Diex est parfaitx, car si je ne suis pas digne de connaître son existence, c’est qu’elle doit être infiniment supérieure à la mienne. »

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