Une grenouille par une nuit d’hiver, riait, riait, riait.
Et lorsqu’elle riait, cela faisait le son suivant : « Brékékékex coax coax ! » C’était une grenouille rieuse.
Ses amies les grenouilles ne cessaient de lui demander : « Pourquoi continues-tu de rire, alors qu’il fait si froid ? »
La grenouille plutôt que de répondre, continuait de rire : « Brékékékex coax coax ! » Et à telle répartie, on ne savait que répondre : « Tu nous emberlificotes avec tes brékékékex ! », lui criait-on de tous côtés.
Le rire était si peu familier aux grenouilles alentours que dire des « Brékékékex » et des « coax coax », c’était tout comme leur parler grec.
Ajoutons à cela que les grenouilles du marécage ne cessaient de répéter : « Nous étions des princesses, nous sommes devenues grenouilles dans les marécages de l’enfer… Que le ciel pardonne nos fautes ! Nous sommes les pires grenouilles que cette terre ait jamais portée. » Et c’était même tous les jours des compétitions : « C’est moi la plus méchante des grenouilles — Non, c’est moi ! — Et puis quoi encore ? Ne savez-vous pas que je suis la pire d’entre toutes ? »
La vérité, c’était que chaque grenouille espérait un jour être délivrée de son corps de grenouille par le baiser d’un prince pour redevenir la princesse qu’elle avait été autrefois : or, selon la croyance qui avait cours dans le marécage, seule la plus méchante et la plus laide et la plus puante et la plus pustulante et la plus gluante des grenouilles, si elle était capable de se reconnaître comme telle, pourrait s’avancer vers le prince pour être délivrée de sa prison corporelle.
Il arriva que cette même nuit d’hiver, où la grenouille riait, riait, riait, l’ombre d’un être humain se présenta — c’était la nuit de Noël.
« L’ombre d’un être humain ! L’ombre d’un être humain ! », s’exclamèrent les grenouilles pleureuses : « Depuis combien de temps avons-nous cherché l’être humain sans le trouver ? »
Chaque grenouille alors rivalisa de laideur et de larmes : « Je suis la plus vilaine et la plus coupable de toutes les grenouilles ! » s’écriaient-elles, pendant que la grenouille rieuse redoublait de plus belle ses : « Brékékékex coax coax ! »
L’ombre passa.
Alors, la grenouille rieuse continua de psalmodier son chapelet de : « Brékékékex coax coax ! »
Tout à coup, une autre grenouille, la plus dévote et la plus austère des grenouilles du marécage, laissa échapper elle aussi un timide « Brékékékex coax coax. »
Les grenouilles pleureuses lui lancèrent un regard courroucé. Mais petit à petit, la fièvre des
« Brékékékex coax coax » gagna tout le marécage ; chaque grenouille se mit à répéter d’abord timidement, puis en s’esclaffant franchement : « Brékékékex coax coax ! Brékékékex coax coax ! Brékékékex coax coax ! »
Cette même nuit de Noël, il n’y eut aucun sauveur, aucun prince pour redonner à une heureuse élue apparence humaine ; ce que le prince ne fit, le rire le fit tout aussi bien, et même peut-être mieux ; car à mesure que les grenouilles riaient, peu à peu, elles se transformaient toutes en princesses plus radieuses les unes que les autres. Et les princesses riaient : « Brékékékex coax coax ! »
Alors, elles décidèrent d’aller de marécages en marécages porter la bonne nouvelle. Et en tant que témoin de cette pentecôte grenouillesque, je t’invite toi aussi qui as lu ou écouté cette histoire, à répéter autour de toi : « Brékékékex coax coax » car quoi qu’en disent les esthètes ou les théologianes, peut-être plus que la beauté, le rire sauvera le monde.
Brékékékex coax coax.