Marlène-la-Tignasse
Il y avait au village une jeune fille qui s’appelait Marlène — mais on l’appelait Marlène-la-Tignasse à cause de ses cheveux noirs, qui n’étaient jamais peignés. Elle aimait par-dessus tout chanter, sortir quand la lune était jaune dans le ciel, danser seule dans la forêt et parler aux animaux. Elle chantait faux, elle dansait de travers ; mais peu importe, elle dansait et chantait.
Dans le village, on disait d’elle : « C’est une sorcière », « Elle a couché avec lae diable », « Elle étrangle les nouvelleaux-naes », « Elle sème les mauvaises herbes dans les champs », « Elle a empoisonné le fils du boulanger », et cætera.
Un jour, un enfant lui dit : « Toi, tu iras brûler en enfer ! » Et Marlène de répondre avec un air de défi : « Ah oui ? Tu crois que j’irai pas au paradis ? » Et l’enfant : « Bah oui, tu as vu tes pieds sales ! ols ne te laisseront pas entrer au paradis. — Saint Pierre a bien prévu un paillasson devant le paradis : sinon, comment aurait fait saint François ? — Comment ça, saint François ? — Il marchait lui aussi pieds nus. — Mais toi, tu es une sorcière, pas une sainte, répondit l’enfant. Les saintz ont des pieds saints, et des ongles de pied saints. — Ont-iels aussi de saintes verrues aux pieds ? — Oui, car les saintz sont des saintz. Tout est saint chez elleux, même leurs verrues. — Eh bien, dit Marlène, dans ce cas, je serai une sainte moi aussi ; je vais aller au ciel. »
Sur ce, elle décida de se mettre en route pour le paradis. Elle marcha, marcha de longues années, et au bout de quarante ans, elle arriva devant les portes du ciel.
« Bonjour saint Pierre, dit-elle. Veux-tu bien me laisser entrer ? — Toi, entrer au paradis ? Mais c’est hors de question ! tu es bonne pour l’enfer, pas pour le paradis. — Comment ça ? j’ai marché, marché pour arriver jusqu’ici et maintenant, je suis laissée devant la porte ? — Pas seulement laissée devant la porte : je vais appeler des démonz pour que tu sois envoyée loin d’ici. »
Aussitôt d’horribles démonz, les ans avec des cornes de bouc, d’autres avec des groins de porc, d’autres avec des sabots fourchus, d’autres encore avec des langues de serpent arrivèrent de tous côtés. Mais alors, Marlène ne voulut pas se laisser faire ; elle s’empara d’une fourche que l’ane par mégarde avait posée devant ellui, et elle embrocha le cul de l’an, désentripailla l’autre, et mit une telle pagaille dans la horde de démonz qu’ols finirent toux par décamper plus mortz que vifz dans une terrible confusion.
Après quoi Marlène comprenant qu’elle ne pourrait pas entrer au paradis facilement, se mit à tourner tout autour en réfléchissant. « Que faire ? se disait-elle. Tout est verrouillé ici. Tout est verrouillé là. Décidément, comment font-iels pour respirer dans le paradis s’il n’y a pas de fenêtre ? » Elle tourna en rond, tourna en rond. Finalement, après avoir songé à soûler saint Pierre, ou à entrer par une poterne avec un pied de biche, elle se ravisa. Elle pensa : « Puisque Diex ne veut pas de nous autres, les damnaes, je vais me rendre chez elleux : c’est peut-être là qu’est ma place. Et au moins, l’enfer a les portes et les fenêtres grandes ouvertes. » Elle décida donc de se rendre en enfer. Elle descendit, descendit, et bientôt fut étonnée d’apercevoir une grande lumière : elle venait de laisser l’enfer derrière elle, elle était arrivée au paradis.