Nom de l’auteur/autrice :sykorax

chant

le bois sombre des paupières
est tombé
entre mes dents une forêt de neige
remue

je chante
je traque la silhouette de l’animal en moi
furieux
il est mon poème ma vie
mon immense

et j’ai perdu le temps
à désirer temps qui soit mien
de là
est venue la musique

J’ai précédé le chien
j’ai précédé l’odeur
j’ai précédé l’heure que je poursuis
j’ai déposé l’arme
et l’animal
m’a fuie avec sa patte inégale

si je chante
c’est parce que les rivières me fuient
la neige
les racines les ombres
et mon sang

le monde terrifié s’échappe par ma bouche

poèmes

l’autre pays

nous portons de lourds soleils sur nos visages
nous avons lancé la balle haut
pour faire le jour comme on fait l’amour
nous ne croyons plus aux astres
mais nous jouons à cache-cache avec eux

nos sourires ont dénoué les monstres et les chaînes
nos pas sèment le bruit des libellules
celles qui ont pesé dans les entrailles tremblantes
le poids absent des rêves

nos ailes
nos révoltes comme une marée haute de griffes et de crocs
crèvent les yeux du ciel

il doit être nuit le ciel qui se lèvera sur nos mains ouvertes
parce que compter n’est pas notre langage
parce que les sentiers des dix doigts ne suffisent pas
à nos visions

combien de fois la mer est-elle tombée en ruines
et en murs abolis
sur le sable de l’autre pays

l’infranchissable

poèmes

les labyrinthes sans mur

j’ai suivi les labyrinthes sans mur
les ailes sans plume de ma fortune
qui comme des sabres tranchent les mains du vent

avant la liberté le vent existait-il

le vent qui écoute aux portes
a-t-il bien entendu que mon cœur sonne plus lourd que minuit

qui sait d’autres choses que le vent

j’ai vu des voiles impatientes respirer sur mon corps
j’ai vu les fleurs blanches aux cent pieds immobiles
qui tournent en rond comme l’amante pleine d’appréhensions muettes
voilà ma roue et mon destin
rien d’autre je crois
dans les jardins noués des antiques labyrinthes

l’espérance me disait cela
nos pieds sont-ils usés d’avoir porté la terre avant d’être portés

j’ai dormi dans l’étreinte froide
des mers aux baluchons blancs dénoués
des mers vagabondes
pauvres qui dressent leur nappe sombre
sur les foules mouvantes des mots qui m’empressent le cœur
la voilà cette rivière sauvage aux innombrables couloirs
cette mer aux sourires
aux couteaux mélangés
j’ai tremblé
j’ai touché l’étoile
j’ai vu la terre rouler comme la tête d’une condamnée à mort
je n’irai pas plus loin

un taureau blanc aux pieds ailés d’écume frappe la grève
il n’y a rien
il n’y a rien qu’une nageoire sans sillon
dans la mer oublieuse
des avortons de vagues aux visages tordus
les mouettes et les plumes grises
comme un rideau de cendres sur le tendre crépuscule
ont répandu les larmes
celles qui tracent l’onde verticale de mes joues fatiguées
je ne sais plus quel ciel peut supporter sur ses épaules
la terre
et moi Pasiphaé au désir dolent
et la mer indénombrable comme une étoile démembrée
le vase sans bord et les vertiges qui dorment au bord de la paupière

je cherche des poèmes qui ne soient pas des monstres
mais je ne trouve que les épées défaites et le fil sans retour
des êtres libres
et je vois que le sang coule sur les tempes
quand la peur bat le cœur des bourreaux

les divinités rient dans la neige froissée des longues mers
et les nuages plus graves que des conques sonores
ont déjà assombri mon front
et j’ai éteint mes yeux
j’ai cessé mes prières
j’ai porté mes baisers affranchis vers des rochers tout blancs
des cornes et des brumes
je me suis livrée en pâture à l’estomac et la nausée
des océans

j’ai oublié que le temps de l’amour est courbé comme un arc menaçant
une vague à la croupe violente
derrière laquelle l’air ne repousse pas

j’ai suivi le chien mouillé et vieux de nos yeux
de nos yeux pleins à craquer comme une valise d’apatride
le voilà ce monstre qui revient d’un pas inégal
et qui porte sous son museau bâtard la petite balle d’or
de mes regrets

et la plage était sans lignes
d’ancres fixes
et la plage était vide comme le miroir de celle qui a cessé de se regarder
en face
où vas-tu tempête sans parole et tragédie aux héros de sable
montre-moi ton regard et ta bouche sans hasard
montre-moi les masques monstrueux des montagnes mutiques
éboulis de bouches rugueuses et de maisons vides
montre-moi la voix de pierre et les ongles salés qui ont griffé la pierre
pour creuser mon vêtement de terre
ma mort
ma question

je désire

mais je n’aurai pas de lendemain si le lendemain n’est que brisure

et si la brisure s’ouvrait comme chemin à voile d’oiseaux
combien de monstres à éclore
combien de possibles
combien de sculptures vides dans mon regard plein d’ombres

mes hanches comme mes poings ont ouvert les portes interdites

poèmes

chant de terre

terre pourquoi t’ai-je méprisée
pourquoi t’ai-je refermée comme un livre
j’aimerais faire monter en moi ton chant obscur
les abeilles fredonnent un secret à l’oreille des fleurs
le fleuve n’est pas limpide
il bat d’une aile verte et n’a pas rejoint le ciel
mais le ciel s’est précipité dans le fleuve
il était malheureux de ne pas toucher la boue
nuages et anges
sont voués à pleurer
leur amertume de ne pas pouvoir nourrir les vers terrestres

poèmes

océan

l’océan aux mille paupières porte les murailles inachevées
il garde entre ses ongles obscurs le secret de la prière
il est sauvage et parfois hargneux comme un oiseau dont on arrache les plumes
il n’a pas peur du silence car il frémit à la manière des bouches aimantes
il emporte jaloux les chevaux ailés de ton rire
il a la mort comme une poussière entre ses cils longs et blancs
il a entre ses flancs des naissances et des fardeaux
il est un champ que le labour n’épuisera pas
il se trouble et demeure le même comme un visage entre les ciseaux de la vie qui s’échappe et se prolonge

il est la nuit qui n’ose pas le ciel

poèmes
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