un petit soulier
j’ai laissé un soulier derrière moi
un petit soulier lorsque je t’ai rencontré
ravie
visage déterré surgi
dans ma clarté dans mon couchant
dans mon abîme
visage déterré tourbillon
dont le centre m’échappe
presque
visage amer lointain
pourtant pesant
comme si je devais soulever
le lever du soleil
dès la première fois
chaque rencontre est une solitude
fermée à plus d’un tour de passe-passe
tricherons-nous
serons-nous ces mensonges vivants
qui prétendent se connaître
depuis quarante années
sans jamais s’être regardés
une seule fois le cœur dans le cœur
les cieux dans les cieux
j’ai peur de toi
je ne te connais pas
je ne sais pas qui tu es
et surtout je ne sais pas
combien de visages tu es
pourtant je veux tendre ma paume
vers la paume glissante de ton être
je veux boire les larmes éblouies
de notre première et accidentelle collision
qui est arrachement à soi-même
car dans nos yeux il y a autant de printemps
qu’il y a d’étreintes entre la déesse revenue
de l’enfer
et la déesse qui fait chanter les fleurs
et chaque printemps chaque éclosion
explosion est un renoncement
à regarder derrière soi
à se regarder soi-même
je suis un torrent qui ne peut s’échapper
de son propre cours
et qui ne peut empêcher ses jambes trop remplies
de courir après son vide
originel
je t’aimerai peut-être visage douloureux
douloureux comme si tu avais taillé dans ma nuit
des blessures
impossibles à consoler
je t’aimerai peut-être visage étranger
tu m’as donné l’ordre d’ordonner le chaos
et d’y voir tout à coup un regard
ne me dis pas pourquoi tu as jailli
ne me dis pas pourquoi tu as débordé
tout cela est mystère intact irréparable
mes mots s’embarrasseraient à vouloir
répéter ce qui ne peut que se réjouir ou tenter
de se revivre
l’auréole d’ombre éblouissante
le noyau sans borne
la plus profonde et claire blessure
ton visage
je ne l’aime pas encore
pour que nous nous regardions
combien de temps faudra-t-il
ou plutôt combien faudra-t-il enlever
de mes illusions
comme un gant de velours j’ai retourné
ma propre terre humaine ma boue
de telle sorte que tu peux peut-être voir
désormais
si tu tends bien ton regard dans l’attention
vertigineuse
mes entrailles mortelles mises à vue
nues
ton visage
est miracle abîmé sans remède
quand tu expires
il y a le bruissement d’une âme qui se soulève
ton silence
c’est parce que tu t’inspires en toi-même
jusqu’au prochain souffle prêt à me ravir et à balayer
tous mes visages humains
tu m’as presque tuée
défigurée
en courant jusqu’à toi sur le bord du chemin
je me suis laissée jusqu’à n’être plus que regard
dernières miettes d’humanité
ma maison a brûlé de lumière
et je me suis enfuie de chez moi vers le ciel
ailes nues
pour ne rien y laisser
d’autre que le regret d’avoir abandonné
un soulier sur le seuil de la porte
un petit soulier