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L’animal sans visage

Il était une fois un animal qui paraissait ne pas avoir de visage. A première vue, il n’avait ni yeux pour pleurer ni bouche pour sourire, et pire encore, il ne pouvait pas parler, de telle sorte qu’on disait de lui : « Il est sans âme. »

Et un jour, on lui prit ses enfants : ses enfants elleux aussi semblaient ne pas avoir d’âme. L’animal poussa des cris atroces, mais ses cris ne furent pas entendus.

Un jour, il arriva qu’une petite fille le vit au fond de sa cage. Elle dévisagea l’animal — car elle avait vu son visage. Le regard de l’animal était si brûlant que les yeux de la petite fille prirent feu ; et quand elle fut de retour chez elle, elle ne put plus dormir : ses yeux étaient tellement chauds qu’il lui était impossible de fermer les paupières.

Plus tard, on lui servit l’animal à manger — car on l’avait tué. Elle ne voulut pas y toucher. Elle dit :

« Pourquoi me servez-vous une âme à manger ? »

Ses parents lui répondirent : « C’est seulement le reflet de ton âme qui te fait voir une âme là où il n’y en a pas. » Mais la petite fille ne fut pas satisfaite, et refusa désormais de manger la chair des animaux ; car elle avait vu un visage.

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Comment l’abeille est apparue sur la terre

Savez-vous d’où vient l’abeille ? Je vais vous le raconter. Cela remonte à un temps très ancien, un temps où la pâte du monde portait encore l’empreinte de Diex toute fraîche, toute lumineuse.

A cette époque donc, les êtres humains vivaient dans des jardins, de grands jardins immobiles où les fleurs ne mouraient jamais. Et comme elles ne mouraient jamais, elles n’avaient pas non plus besoin de se répandre : elles étaient vénérées comme de petites déesses impassibles.

Mais un jour, il y eut ane ange-enfant (je l’appelle ange-fant) qui voulut voler plus haut que Diex.

L’ange-fant s’éleva, s’éleva jusqu’à tremper sa bouche dans les rayons du soleil : quel délice ! mais aussitôt, ol retomba.

Et quand ol retomba, cela fit un vacarme tel que les fleurs bougèrent.

Depuis la chute de l’ange-fant, tout bouge, se trouble et tourne et tourbillonne sur cette terre. Et ce jour-là, ce fut une telle pagaille que la Mort en profita pour s’inviter dans la danse, ni vu ni connu.

Mais aussi ce jour-là, Diex rit beaucoup et appela l’ange-fant « abeille », parce qu’ol avait fait « aïe, aïe, aïe » en retombant. Al lui dit : « Ce sera toi ma messagère ; et tu auras toujours du soleil à la bouche. Si l’on essaye de te prendre tes trésors, sors ton dard mais fais-le avec discernement, car l’ange de lumière qui blesse est vouae à mourir. »

Là n’est pas la seule mission de l’abeille qui répand la bonne nouvelle de fleurs en fleurs jusqu’aux confins de la terre.

C’est elle aussi qui m’a appris que même notre mauvaise bile et nos pires crachats peuvent être or et lumière.

Vous connaissez maintenant l’histoire de l’abeille telle que la racontaient nos grand-mères dans des temps très anciens.

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Le sel du regard

Lorsque les animaux et l’humane apparurent sur la terre, Diex leur dit : « De tout, il vous est permis de manger mais ne goûtez pas au noir des épis : ce sont des flèches trempées de venin que Lucifer a tirées sur la terre ; si vous les mangiez, alors vous prendriez ma place. »

A peine les animaux et l’humane eurent-iels entendu cela qu’iels n’eurent plus qu’une seule idée en tête : manger le noir des épis.

Et Diex qui le savait décida de leur tourner le dos.

Alors, chacun des animaux, et l’humane aussi, en profita pour cueillir un épi : iels mangèrent sa partie la plus sombre et furent alors brûlaes de part en part.

Dans leurs yeux, ce fut du sang et dans leur cœur un feu ardent. Diex dit alors : « Puisque vous m’avez désobéi, vous n’avez plus besoin de moi ; je vais me laisser mourir de faim et vous prendrez ma place. »

Les animaux et l’humane supplièrent Diex de rester avec elleux dans cette nuit insupportable, tout ébranlaes, tout ébrûlaes par leur malheur ; mais Diex encore une fois leur tourna le dos : quarante jours passèrent, Diex se laissa mourir de faim et la terre fut sans lumière.

Pendant ce temps, à cause du noir des épis, les animaux et l’humane ne cessaient d’avoir des visions de toutes sortes, toutes plus terribles les unes que les autres ; et c’est ainsi que la laideur, la maladie, la mort et la pourriture apparurent sur la terre ; car toutes leurs visions devenaient créations, à elleux qui avaient pris la place de Diex.

Iels supplièrent : « Diex, Diex, reviens ! » Mais Diex était mortx depuis longtemps.

Alors, iels l’insultèrent : « Pourquoi n’es-tu plus là, salaudx ? » Diex ne répondit pas.

Iels pensèrent toux à se laisser mourir de faim à leur tour, mais au bout de trente-neuf jours de jeûne, un serpent s’écria : « A-t-on vraiment besoin de Diex pour être heureuxes ? – Bien sûr, répondirent les autres animaux, regarde comme le monde est laid sans présence divine ! »

Le serpent dit alors : « Il y a un feu de rage qui brûle, brille dans nos corps. Pourquoi ne pas s’en servir pour enluminer le monde ? »

L’araignée à ces mots tissa sa toile et l’abeille créa une maison de lumière ; le scarabée fit une sphère parfaite de la merde du monde ; le castor arrêta les pleurs des rivières ; les oiseaux bercèrent les fleurs, nouvelle-nées du printemps ; et l’humane, l’humane ellui qui n’avait rien à faire, s’émerveilla de tout cela.

Et l’on raconte que si l’on pleure parfois d’émerveillement ou d’éblouissement, c’est parce que nos larmes sont le souvenir salé de cette époque où la terre entière a failli mourir de faim par désespoir de ne jamais connaître la beauté.

Sans cette trace de sel dans nos yeux, pourrait-on goûter la saveur du monde ?

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Le banquet des animaux

Lors de la nuit d’avant la nuit, les animaux se réunirent ; et l’humane était parmi eux. Iels dirent :

« Faisons un banquet, nous raconterons comment lae bonx Diex nous a créés pour passer le temps. »

Le roitelet commença : « Lae bonx Diex a trempé son pinceau dans les étoiles et sur ma tête… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex pour moi aussi a trempé son pinceau dans les étoiles et a mis son or dans ma tête : voilà pourquoi je suis monarque de toute la création. »

Le roitelet déçu ne voulut plus parler.

Ce fut au tour du crocodile : « Lae bonx Diex a pris au pis des nuages la pluie et dans mes yeux… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex pour moi aussi a pris au pis des nuages la pluie et dans mes yeux, iel a mis des larmes : voilà pourquoi je suis si aimantx et pleinx de compassion envers les animaux. »

Le crocodile déçu ne voulut plus parler.

Ce fut au tour de l’abeille : « Lae bonx Diex a pris aux rayons du soleil et dans ma bouche… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex lui a aussi a pris aux rayons du soleil et dans ma bouche iel a mis des paroles de miel et de lumière : voilà pourquoi je parle mieux que vous autres les bêtes. »

L’abeille déçue ne voulut plus parler.

Et ainsi se passèrent toutes les festivités. Quand l’humane partit du banquet, les animaux se concertèrent : « Puisque l’humane ne nous écoute pas, inventons notre langue ; iel ne la comprendra pas ! »

Et depuis ce jour, on dit que l’être humain ne connaît plus le langage des bêtes, lui qui n’écoutait rien à rien : cela s’est passé ainsi, et pas autrement.

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La ruche écarlate

Un jeune homme passa un jour devant un tronc creux autour duquel bourdonnaient des centaines d’abeilles. Le jeune homme dit aux abeilles : « Donnez-moi votre miel. » Les abeilles lui répondirent : « Regarde à l’intérieur du tronc : tu y verras nos alvéoles. Tends alors ta main pour goûter notre miel. »

Ni une ni deux, le jeune homme regarda à l’intérieur du tronc : il y vit une ruche de couleur écarlate : « Qu’est-ce donc ? demanda-t-il. Pourquoi donc votre ruche a-t-elle une couleur écarlate ? »

Les abeilles lui répondirent : « Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ? » Le jeune homme voulant en savoir davantage, continua d’interroger les abeilles mais elles ne se contentèrent que de répondre : « Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ? »

Le jeune homme sortit sa tête du tronc tout stupéfait. Alors, il posa le regard sur ce qui l’entourait : dans la forêt, et partout au pays, la terre pourrissait, les fleurs saignaient, les arbres avaient péri et étaient desséchés jusqu’à la moelle des os.

Au loin, les bûcherons levaient leur hache dans la lumière rouge de la fin de journée.

Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ?

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