Avant la lumière du monde

À L.

Notre amour est si pur que seul le pas des montagnes
pourrait le réveiller — peut-être que la montagne elle-même
ne saurait faire de bruit sur les tapis de soie de nos mains
réunies ;
dans ma vie, j’ai vu l’abîme danser d’un pas si lourd
que j’ai pensé : « Pour moi nulle autre rédemption que d’être
plus légère
que la rose. »
Je n’y suis jamais parvenue jusqu’au jour où je t’ai connue.

Me voici heurtée par la grâce comme la vieille femme qui
s’apprête à mourir,
et que l’amour retient par l’épaule en disant :
« Ne t’oublie pas toi-même. »

J’ai vu dans ton visage l’empreinte d’un autre monde, un autre
monde
dont la langue se parlerait comme la pluie qui cesse de tomber ;
une syntaxe de lèvres nouées,
la grammaire du silence.

Et tout ce que je te dirai, et toutes les paroles arrachées,
et l’ombre de ma bouche, et le poids des mots évidents,
je te les offrirai comme on offre au ciel son dernier regard,
je te les offrirai comme la promesse d’une vie antérieure.
Tes yeux sont la prophétie d’autrefois.
Autrefois : seul hors d’atteinte de l’espérance.

J’espère t’avoir connue avant la lumière du monde

Retour en haut