Nom de l’auteur/autrice :sykorax

Le banquet des animaux

Lors de la nuit d’avant la nuit, les animaux se réunirent ; et l’humane était parmi eux. Iels dirent :

« Faisons un banquet, nous raconterons comment lae bonx Diex nous a créés pour passer le temps. »

Le roitelet commença : « Lae bonx Diex a trempé son pinceau dans les étoiles et sur ma tête… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex pour moi aussi a trempé son pinceau dans les étoiles et a mis son or dans ma tête : voilà pourquoi je suis monarque de toute la création. »

Le roitelet déçu ne voulut plus parler.

Ce fut au tour du crocodile : « Lae bonx Diex a pris au pis des nuages la pluie et dans mes yeux… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex pour moi aussi a pris au pis des nuages la pluie et dans mes yeux, iel a mis des larmes : voilà pourquoi je suis si aimantx et pleinx de compassion envers les animaux. »

Le crocodile déçu ne voulut plus parler.

Ce fut au tour de l’abeille : « Lae bonx Diex a pris aux rayons du soleil et dans ma bouche… » L’humane l’interrompit : « Lae bonx Diex lui a aussi a pris aux rayons du soleil et dans ma bouche iel a mis des paroles de miel et de lumière : voilà pourquoi je parle mieux que vous autres les bêtes. »

L’abeille déçue ne voulut plus parler.

Et ainsi se passèrent toutes les festivités. Quand l’humane partit du banquet, les animaux se concertèrent : « Puisque l’humane ne nous écoute pas, inventons notre langue ; iel ne la comprendra pas ! »

Et depuis ce jour, on dit que l’être humain ne connaît plus le langage des bêtes, lui qui n’écoutait rien à rien : cela s’est passé ainsi, et pas autrement.

contes

La ruche écarlate

Un jeune homme passa un jour devant un tronc creux autour duquel bourdonnaient des centaines d’abeilles. Le jeune homme dit aux abeilles : « Donnez-moi votre miel. » Les abeilles lui répondirent : « Regarde à l’intérieur du tronc : tu y verras nos alvéoles. Tends alors ta main pour goûter notre miel. »

Ni une ni deux, le jeune homme regarda à l’intérieur du tronc : il y vit une ruche de couleur écarlate : « Qu’est-ce donc ? demanda-t-il. Pourquoi donc votre ruche a-t-elle une couleur écarlate ? »

Les abeilles lui répondirent : « Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ? » Le jeune homme voulant en savoir davantage, continua d’interroger les abeilles mais elles ne se contentèrent que de répondre : «Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ? »

Le jeune homme sortit sa tête du tronc tout stupéfait. Alors, il posa le regard sur ce qui l’entourait : dans la forêt, et partout au pays, la terre pourrissait, les fleurs saignaient, les arbres avaient péri et étaient desséchés jusqu’à la moelle des os.

Au loin, les bûcherons levaient leur hache dans la lumière rouge de la fin de journée.

Sang battant dans la ruche, la cruche, la cruche est pleine : où as-tu mis ton cœur ? ne l’as-tu pas mangé ?

contes

Les arbres sans ombre

Il était une fois une forêt dont les arbres n’avaient pas d’ombre. Quiconque s’aventurait dans cette forêt n’en revenait pas ; c’était au temps où les humanes avaient oublié le prénom des arbres, aussi racontait-on que l’on mourait de peur dès lors que l’on entrait dans cette forêt.

Un jour, une jeune femme pénétra dans la forêt : elle avait été rejetée de son village parce qu’elle n’avait pas d’ombre elle non plus ; elle disait dans son cœur : « Puisque les humanes ne veulent pas de moi, je me ferai amie des arbres. » Lorsqu’elle entra dans la forêt, elle eut peur.

Un instant, son cœur s’arrêta de battre, elle crut mourir mais au moment où son corps allait se pétrifier, elle trouva la force de dire à l’arbre qui se trouvait devant elle : « Arbre, pourquoi as-tu l’écorce striée ? » L’arbre lui répondit : « J’ai l’écorce striée car le jour et la nuit m’ont griffé. »

La jeune fille lui demanda : « Comment t’appelles-tu ? » L’arbre répondit : « Je suis Bouleau. Et toi ? – Je suis sans ombre, et personne ne m’a donné de prénom. – Alors, je t’appellerai Sylvia ; car tu es ma semblable. »

A peine eut-il prononcé ces mots que l’ombre de la jeune fille apparut. La jeune fille dit à l’arbre nommé Bouleau : « Parce que tu m’as nommée, j’ai trouvé mon ombre et mon âme ; pour te rendre la pareille, je te nommerai aussi : merci à toi, Bouleau. »

A ce moment-là, l’arbre retrouva son ombre : quelle ne fut pas sa joie ! Et la jeune fille continua sa marche dans la forêt. Elle fit de même avec Chêne, Hêtre, Platane, et tous les arbres de la forêt. Quand la nuit vint à tomber et que les ombres retrouvées des arbres s’effaçaient de nouveau dans l’obscurité, elle se décida à rentrer chez elle, le cœur léger, sans crainte.

Elle dit aux habitantz de son village : « J’ai rencontré les arbres, et celui qui a l’écorce striée s’appelle Bouleau ; le père de la forêt s’appelle Chêne ; Noyer est l’arbre à l’ombre mouillée sous lequel le diable dort parfois », et elle continua ainsi jusqu’au matin à donner le nom des arbres aux mères, aux grand-mères, aux ancianes et aux enfants : depuis ce jour, les arbres ont retrouvé leur ombre ; quant aux humanes, iels peuvent marcher dans la forêt le cœur tranquille : iels connaissent désormais le prénom des arbres et on dit même qu’iels conversent souvent avec eux pour leur demander de raconter toutes sortes de choses, car les arbres n’oublient rien – c’est ainsi que les humanes ont commencé à connaître les histoires de leurs ancêtres.

Quand un arbre est coupé, il exprime en ces termes sa dernière volonté à lae bûcheronx qui le coupe : « Laisse-moi conter lorsque je serai dans le feu et que mon âme s’emparfumera vers le ciel. »

Voilà pourquoi les histoires se racontent toujours au coin du feu.

contes

La création du monde

Il était une fois une fille à la peau sombre et au regard de rêve et de soleil brûlé que l’on appelait « la folle. » Elle se prétendait amie de la mer. Elle disait : « Mon cœur est un coquillage. » Elle s’en plaignait, elle en riait parfois. Elle disait aussi : « Mon cœur est fait de nacre, il s’enroule à l’infini, il enlace l’océan ; car il contient le bruit de l’océan, de ses marées montantes et basses, il suffit que je tende l’oreille vers mon cœur pour entendre la mer », et d’autres propos étranges.

On lui versait de l’eau sur la tête pour la ramener à la raison. On la fit même enfermer à l’hospice. On lui attacha les pieds et les poings pour ne pas qu’elle soit trop bruyante et qu’elle cesse d’être folle, mais ce fut sans succès.

Une femme d’âge mûr qu’on avait enfermée aussi vint à entendre l’une de ses paroles. Et cette femme, on l’avait enfermée car elle se prétendait mère et déesse des nuages ; elle disait : « J’ai donné forme et vie à ces nuages ; je suis leur mère, et comme toute mère aimante, je les laisse partir. » Et les deux femmes se lièrent d’amitié.

Alors, une troisième femme, plus âgée, les entendit converser entre elles. Cette femme-là, on l’avait enfermée car elle se prétendait sœur du feu, c’était la plus dangereuse de toutes aux dires des médecins ; elle disait : « Je demanderai à maon adelphe le feu de brûler tous les murs, les cordes qui nous attachent, et nous détruirons tout. » Et elle se lia d’amitié avec les deux autres femmes : elles devinrent inséparables.

Un jour, elles décidèrent de s’enfuir de l’hospice. Mais elles ne trouvèrent nulle issue et pleurèrent. Alors, leur vint l’idée de faire une corde avec leurs larmes. Elles la jetèrent par une fenêtre et s’en furent joyeusement.

On les chercha partout. Elles n’étaient déjà plus là.

Les trois femmes arrivèrent bientôt près de l’océan du bord du monde, où les nuages plongent pour ne plus jamais revenir. Elles dirent : « Nous prendrons une barque et nous irons naviguer entre les eaux et les nuages », ce qu’elles firent. Au milieu de l’océan, elles aperçurent un grand bateau, qui les récupéra. A l’intérieur du bateau, il n’y avait que des gens que l’on avait appelés « folz ».

L’une de ces personnes leur dit : « Nous aussi, nous avons fui le monde. Nous sommes folz comme vous, et nous avançons entre les nuages et les eaux jusqu’au bord du monde. »

Et les membres de l’équipage décidèrent d’appeler leur bateau : « le navire des folz. »

Les membres de l’équipage avancèrent parmi les brumes, les nuits, les premiers soleils du matin, les lunes, et les derniers rayons du jour.

Iels avancèrent, avancèrent : au bout de quarante ans, iels eurent faim et furent lasz. Iels décidèrent donc de revenir sur terre.

Or, iels ne trouvèrent nulle part où poser les pieds : tout avait été recouvert par les flots. La femme qui se disait autrefois amie de la mer demanda : « Qu’est-il advenu de la terre ? Moi, je suis l’amie de la mer. » A peine eut-elle prononcé ces mots que la mer grossit et laissa entrevoir entre ses vagues des milliers de poissons.

Et les petits poissons dirent : « Ohé ! ohé ! Il n’y a plus de rivage où poser son âme ! Les humanes ont mangé la terre, les plus riches l’ont dévorée. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’écume et soleil. Ohé ! Ohé !»

A ce moment-là, la femme qui se prétendait autrefois mère de l’air et des nuages s’écria : « Petits poissons, petits poissons, vous mentez, vous mentez. Moi, je suis la mère de l’air et des nuages. » A peine eut-elle prononcé ces mots que des nuages apparurent dans le ciel ; et le vent souffla fort.

Et les petits poissons dirent : « Ohé ! ohé ! Il n’y a plus de rivage où poser son âme ! Les humanes ont mangé la terre, les plus riches l’ont dévorée. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’écume et soleil. Ohé ! Ohé ! »

Alors, la femme qui se disait naguère sœur du feu s’écria : « Petits poissons, petits poissons, vous mentez, vous mentez. Moi, je suis la sœur du feu. » A peine eut-elle dit cela que l’orage gronda et que le feu frappa les flots.

Et les petits poissons chantèrent de plus belle : « Ohé ! ohé ! Il n’y a plus de rivage où poser son âme ! Les humanes ont mangé la terre, les plus riches l’ont dévorée. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’écume et soleil. Ohé ! Ohé ! »

Aussitôt, ane lumme de l’équipage dit : « Petits poissons, vous mentez, vous mentez. Moi, je suis l’enfant de la terre. »

Et la terre apparut.

Lae lumme dit alors : « Ce sont les folz, les excluz et les révoltaes qui créent et rêvent le monde. Qui d’autre sinon pourrait le faire ? »

C’est ainsi que le monde fut créé chaque jour jusqu’à aujourd’hui, c’est ainsi qu’il sera encore enfanté demain, et pas autrement.

contes

L’incendie

Un jour, toute la forêt en pleine nuit se réveilla : elle était en feu. Tout le monde pensa alors à la fuir. Les cerfs, les sangliers, les loups, les écureuils, les souris, toux se dirigeaient vers l’autre rive du fleuve. Seul un petit moineau continuait de rester. En vérité, il faisait plutôt des aller-retours entre le fleuve et la forêt ; il prenait dans son bec un peu d’eau et la versait sur les flammes. « Que fais- tu ? lui demandaient les animaux en pleine fuite. Ne vois-tu pas que c’est peine perdue ? » Le petit oiseau répondait : « Je fais ma part. »

Un autre oiseau — c’était un corbeau — partit réveiller les êtres humains : « Après tout, pensait-il ne sont-ce pas eux qui ont causé l’incendie ? » Il se fit accompagner d’autres corbeaux en colère. Et ils cassèrent tant les oreilles aux gens des villes alentours, usant même de violence, que les êtres humains n’eurent pas d’autre choix que d’aller éteindre l’incendie. Les corbeaux peu de temps après furent cloués sur les portes et traités d’oiseaux de malheur.

Quant au petit moineau, on décida de le canoniser.

contes
Retour en haut