Il était une fois une forêt dont les arbres n’avaient pas d’ombre. Quiconque s’aventurait dans cette forêt n’en revenait pas ; c’était au temps où les humanes avaient oublié le prénom des arbres, aussi racontait-on que l’on mourait de peur dès lors que l’on entrait dans cette forêt.
Un jour, une jeune femme pénétra dans la forêt : elle avait été rejetée de son village parce qu’elle n’avait pas d’ombre elle non plus ; elle disait dans son cœur : « Puisque les humanes ne veulent pas de moi, je me ferai amie des arbres. » Lorsqu’elle entra dans la forêt, elle eut peur.
Un instant, son cœur s’arrêta de battre, elle crut mourir mais au moment où son corps allait se pétrifier, elle trouva la force de dire à l’arbre qui se trouvait devant elle : « Arbre, pourquoi as-tu l’écorce striée ? » L’arbre lui répondit : « J’ai l’écorce striée car le jour et la nuit m’ont griffé. »
La jeune fille lui demanda : « Comment t’appelles-tu ? » L’arbre répondit : « Je suis Bouleau. Et toi ? – Je suis sans ombre, et personne ne m’a donné de prénom. – Alors, je t’appellerai Sylvia ; car tu es ma semblable. »
A peine eut-il prononcé ces mots que l’ombre de la jeune fille apparut. La jeune fille dit à l’arbre nommé Bouleau : « Parce que tu m’as nommée, j’ai trouvé mon ombre et mon âme ; pour te rendre la pareille, je te nommerai aussi : merci à toi, Bouleau. »
A ce moment-là, l’arbre retrouva son ombre : quelle ne fut pas sa joie ! Et la jeune fille continua sa marche dans la forêt. Elle fit de même avec Chêne, Hêtre, Platane, et tous les arbres de la forêt. Quand la nuit vint à tomber et que les ombres retrouvées des arbres s’effaçaient de nouveau dans l’obscurité, elle se décida à rentrer chez elle, le cœur léger, sans crainte.
Elle dit aux habitantz de son village : « J’ai rencontré les arbres, et celui qui a l’écorce striée s’appelle Bouleau ; le père de la forêt s’appelle Chêne ; Noyer est l’arbre à l’ombre mouillée sous lequel le diable dort parfois », et elle continua ainsi jusqu’au matin à donner le nom des arbres aux mères, aux grand-mères, aux ancianes et aux enfants : depuis ce jour, les arbres ont retrouvé leur ombre ; quant aux humanes, iels peuvent marcher dans la forêt le cœur tranquille : iels connaissent désormais le prénom des arbres et on dit même qu’iels conversent souvent avec eux pour leur demander de raconter toutes sortes de choses, car les arbres n’oublient rien – c’est ainsi que les humanes ont commencé à connaître les histoires de leurs ancêtres.
Quand un arbre est coupé, il exprime en ces termes sa dernière volonté à lae bûcheronx qui le coupe : « Laisse-moi conter lorsque je serai dans le feu et que mon âme s’emparfumera vers le ciel. »
Voilà pourquoi les histoires se racontent toujours au coin du feu.