Une jeune fille fut amenée un jour à devoir composer un long poème. Seulement, il lui était presque impossible de l’écrire : à chaque instant, son esprit se détournait de son objet ; les mots semblaient trébucher sous sa main ; à la fin, elle fut lasse et pensa même abandonner ce qu’elle avait entrepris.
Elle sortit se promener le long d’un fleuve, pensant que l’air frais lui permettrait de retrouver de l’inspiration pour écrire ; elle se dit à voix basse : « Si seulement mes phrases pouvaient couler comme ce fleuve ! Il est à la fois profond et limpide ; son eau s’écoule de manière continue ; il abrite dans ses eaux et sur ses berges des milliers d’animaux et d’insectes qui grouillent, pullulent et le rendent plus vivant que n’importe lequel de mes mots. »
Un ragondin entendant ses murmures, s’approcha d’elle et lui dit : « Veux-tu connaître le secret de ce fleuve ? » La jeune fille répondit qu’elle donnerait tout pour connaître le secret du fleuve.
Alors, le ragondin lui dit : « Le fleuve n’est pas aussi clair que tu le perçois, et sa profondeur, ce n’est que de la boue : le fleuve ne se soucie pas de ses impuretés, le fleuve ne se soucie pas de lui- même : il regarde face à face le ciel et le reflète. Ne te soucie pas de la correction de ta langue, ni de la beauté de tes mots : soucie-toi seulement de refléter ce qui pour toi mérite de l’être. »
Et le ragondin ajouta : « Fais de ta poésie un miroir de boue. » Puis, il disparut.