Les conseils
Un jeune homme consacrait tous ses efforts à l’étude de la religion ; il s’était donné pour but de devenir un parfait croyant. Un jour, il se rendit auprès d’un sage et lui demanda : « Que dois-je faire pour devenir l’homme le plus vertueux du monde ? » Le sage lui répondit : « Quoi de plus simple ? maltraite ton corps, dors à même le sol et mange du pain sec tous les jours. Puis, invite les pauvres chez toi.» Le jeune homme s’exécuta les jours, les semaines, les mois suivants : il devint maigre comme un clou.
Il invitait les pauvres chez lui, mais ces dernierz riaient : « On ne veut pas de ton pain sec ! Tu vis comme un chien, et tu veux faire l’aumône ! »
Le jeune homme dépité s’en revint voir le sage. Ce dernier dit au jeune homme : « Tu as parfaitement bien agi. Mais je sens de la colère en toi ; flagelle-toi chaque fois que tu éprouveras des sentiments impurs : ainsi tu atteindras la plus haute vertu. »
Le jeune homme fit ce que le sage lui avait dit. Or, il éprouvait de la colère si souvent que son corps devint bientôt tout rouge de sang, tout meurtri et tout endolori. Il s’en revint voir le sage, qui lui dit :
« Je vois que tu as bien appliqué mes conseils. Le seul défaut que je vois chez toi, c’est que tu n’agis pas avec ton cœur malheureusement, mais seulement pour t’enorgueillir. — Que faire alors ? demanda le jeune homme. — Le mal est inexpugnable, tant que tu resteras toi-même. Il faut donc que tu cesses entièrement d’exister. — Et comment m’y prendre ? demanda le jeune homme. — Chaque fois que te viendra la pensée : “Je veux faire ceci ”, fais l’inverse », dit le sage. Par exemple, s’il te vient la pensée : “Je veux danser”, reste immobile ; ou si tu penses “Je veux être au chaud”, plonge-toi dans un lac gelé. Et souviens-toi toujours que tu es le pire des fils de chien, que tu ne mérites même pas de respirer, que tu es un trou rempli d’ordures. »
Le jeune homme rentra chez lui. Il était en colère, il pensa à mettre fin à ses jours.
Finalement, il prit l’argent qu’il lui restait et fit un délicieux festin. Ensuite, il se remit à dormir dans son lit. Puis, le lendemain matin, il pansa son corps et le parfuma ; il mit de beaux vêtements et sortit dans la rue.
Les gens lui dirent : « Que t’est-il arrivé ? Le sage ne t’avait-il pas dit de faire l’inverse ? » Le jeune homme répondit : « Il faut désobéir aux conseils idiots et dangereux. La désobéissance est une vertu, peut-être la plus belle et la plus précieuse d’entre toutes. »