Un prince vivait dans la joie. Toute la nuit il dansait et buvait. Le jour il dormait et ne rêvait pas.
Or, au pied du palais du prince, il y avait une mendiante, visage austère et cheveux fous. Elle dormait là, tête à l’envers ; ses ronflements parvenaient jusqu’aux fenêtres les plus hautes : celles toujours éclairées la nuit, toujours riantes.
Et comme ces ronflements indisposaient le prince, il fit tuer la mendiante – cigale malgré elle.
La nuit suivante, ce n’était pas une mendiante mais deux qui dormaient sous les hautes murailles. Elles s’enlaçaient et rêvaient des mots interdits à voix haute.
Le prince indisposé les fit tuer également.
Mais la nuit suivante, il y avait trois mendiantes qui dormaient sur le seuil du palais. Elles s’étaient endormies en priant. L’orage était sorti de leurs bouches exaucées : il y avait du tonnerre et mille couteaux dans le ciel.
Le prince furieux les fit tuer à l’aube.
Hélas, la nuit suivante il y avait cent mendiantes qui dormaient aux pieds des gardes du palais. Elles dormaient si bien que la lune était sous leur paupière et le ciel était vide, la nuit noire et sans fin.
Le prince ordonna l’hécatombe. Cent cadavres tombèrent qui attirèrent les corbeaux et les oiseaux de proie.
Et les filles et les fils et toux les enfants des oiseaux décidèrent de chanter en plein jour.
Il y eut un printemps.
Les mendiantes de tous bords commencèrent à rêver sous le soleil.
Et le prince et sa cour ne fermèrent plus les yeux.
Le rêve fut ainsi appris au monde après la folie, l’amour, la prière, l’orage et le rien.
À vous toutes, bonne nuit.