Il était une fois une reine remplie de désir pour ane démonx au visage de serpent. Il s’agissait d’ane démonx hideuxe ; son visage inspirait la peur à quiconque le regardait face à face. Cette reine avait enfermé çae démonx dans une chambre de son palais, loin de la vue de toux ; elle allait lae voir tous les soirs, et son désir pour ellui ne cessait de redoubler. Mais çae démonx était si repoussantx et si venimeuxe que la reine à force de lae fréquenter tomba gravement malade.
Elle fit appeler les meilleurs médecins du royaume. Mais à aucun, elle n’osait dire son secret, qu’elle s’était entichée d’ane horrible démonx, qu’elle allait lae voir tous les soirs, et que c’était là la cause de sa maladie. Qui l’aurait encore respectée en tant que reine si elle avait révélé son affreux secret ?
Un jour néanmoins, se présenta au palais une guérisseuse, une femme remplie du savoir des astres, des plantes, de la religion, de ce qu’est l’être humain et de tout ce qui peut s’apprendre et dans les livres et par l’expérience. Cette femme vint voir la reine et devina aussitôt la cause de son mal. Elle n’osa rien dire cependant ; car elle savait que si elle parlait franchement à la reine, celle-ci la ferait pendre ou décapiter.
« Reine, lui dit-elle, si tu veux guérir de ton mal, il te faudra entreprendre un pèlerinage. Tu dois te rendre dans le sanctuaire qui se trouve sur la montagne la plus haute. L’air y est pur, et à peine l’auras-tu respiré que tu retrouveras la santé ; pense à n’emporter avec toi que le nécessaire, ainsi que des offrandes à déposer dans le sanctuaire. »
La reine répondit : « Comment marcherai-je jusque là-bas alors que je peux à peine sortir de mon lit ? — Tu te feras porter dans une litière. Fais trouver du millepertuis ; de ses pétales, je ferai une escorte pour t’accompagner. »
La reine fit cueillir du millepertuis et la guérisseuse transforma quatre des pétales de la fleur en quatre somptueux jeunes hommes, aussi resplendissants que la lumière du jour.
Avant de partir, la reine voulut emmener lae démonx avec elle. Elle se rendit à la nuit tombée dans la chambre reculée où ol se trouvait : « Démonx, je ne sais comment faire : la guérisseuse pour me guérir de mon mal m’a dit de quitter le palais et de me rendre jusqu’à la montagne la plus haute déposer une offrande. Mais je ne peux me résoudre à te quitter. » Lae démonx répondit : « Révèle- moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine s’écria : « Tu plaisantes ! Plutôt mourir que de montrer ma souillure à la lumière du jour. » Elle passa la nuit avec lae démonx ; elle
ne pouvait se résoudre à lae quitter ; elle dit à la guérisseuse le lendemain matin : « Je ne partirai pas. »
La guérisseuse lui répondit : « Si tu ne quittes pas le palais, ô reine, il t’arrivera de grands malheurs : ton royaume deviendra stérile, la sécheresse s’abattra sur les champs ; les troupeaux périront ; et de nombreux fléaux accableront ton peuple. Quant à toi, tu mourras. »
La reine se résolut alors à partir. Elle se rendit auprès de lae démonx et lui dit : « Cette fois-ci, je comprends que je dois bel et bien partir. Mais comment m’y prendrai-je ? » Lae démonx répondit :
« Révèle-moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine hésita, fut tourmentée toute la nuit et le lendemain matin, elle revint voir la guérisseuse : « Je suis résolue à partir. Mais l’offrande que je veux porter sur la montagne doit rester secrète : elle sera portée par quatre autres porteurs dans une litière fermée. » La guérisseuse répondit : « Ô reine, fais-moi porter du pavot et de ses graines, je ferai quatre autre porteurs. »
La reine fit apporter du pavot, et la guérisseuse de quatre graines de pavots fit apparaître quatre porteurs au visage couleur de lune, aux cheveux plus sombres que minuit.
Le lendemain matin, la reine partit dans sa litière et fit porter l’autre litière fermée par une tenture sombre : dans cette litière se trouvait saon amantx, lae démonx. A chaque halte, la nuit, elle se rendait dans l’autre litière et passait la nuit aux côtés du monstre.
La reine et son escorte arrivèrent bientôt au pied de la montagne. Iels commencèrent à monter, mais l’autre litière, celle qui contenait lae démonx, pesait lourd, très lourd ; les porteurs s’épuisaient. La reine leur enjoignit de persévérer, mais bientôt, ils s’arrêtèrent, exténués, à bout de forces : pour sûr, ils ne pouvaient plus continuer à escalader le flanc de la montagne. La reine néanmoins continuait de vouloir garder lae démonx avec elle : elle ordonna aux porteurs de recommencer à porter, sans quoi elle les ferait condamner à mort à leur retour. Les porteurs remirent la charge sur leurs épaules, et tout à coup, leur fatigue étant telle, ils lâchèrent la litière : lae démonx en dégringola, on lae vit.
La reine fut alors stupéfaite. Au lieu d’ane horrible démonx, elle aperçut une femme resplendissante, aussi belle qu’une déesse. Elle l’interrogea : « Comment se peut-il que tu sois aussi belle, moi qui t’ai toujours connue d’une laideur à faire trembler ? » La femme ne répondit pas ; elle lui prit la main, et la reine, et elle-même montèrent en haut de la montagne sans l’aide de personne.
Quand elles furent là-haut, la femme apparue dit à la reine : « Une chose m’a rendue belle : ton regard. Tu ne m’avais jamais vue que dans l’obscurité. C’est quand tu m’as vue dans la lumière, au sommet d’une montagne, prête à être offerte au ciel que je suis devenue belle. »
Et la reine à ces mots sentit qu’elle avait guéri de son mal. Elle fit de la femme apparue sa compagne, et elles ne se quittèrent plus jamais.