La prière

La prière est une distraction.
C’est le moment où l’on s’oublie.
Où le miroir est plus poli que la nuit.
Et où la politesse est d’envoyer le monde se faire voir.
Et où le monde cesse d’être vu alors qu’il a retiré ses vêtements.
La prière est un sexe.
On en a honte.
Et on ferme la porte.
La lumière est pudique comme un voile tremblant.
Le souffle soulève les montagnes car tout le ciel n’est qu’une plume.
Une plume qui a échoué et qui n’est pas encore tombée.
On a des raisons d’avoir peur.
On n’en a aucune d’aimer.
La raison est toujours une affaire de peur.
Elle a de l’imagination car elle ne vit pas : elle a vécu, elle vivra, c’est tout.
Pourquoi le ciel a-t-il pesé si lourd ?
Une vérité pour laquelle on vit, pas une vérité pour laquelle on meurt.
Cherche jusqu’à oublier qui cherche.
Le trésor ne sera chez toi que lorsque tu auras oublié d’y habiter.
Narcisse s’est regardé jusqu’à ne plus exister.
Où je finis, tu commences.
Et la fleur est un don.
La septième trompette qui annonce sans plus rien espérer.
Le printemps qui commence sans se connaître encore.
Car la fleur qui borde l’eau est regardée sans plus se voir.
L’œil mouvant des rivières qui juge un visage au soleil qui l’éclaire.
Il y a pourtant du soleil sur les cadavres.
La voix qui n’écoute pas son écho est la seule voix vivante.
Écho n’est amoureuse que lorsqu’elle est double.
Et que son double est inconnu.
Il n’y a pas de transparence dans l’eau qui court.
La conscience tranche comme l’épée.
Elle n’est que blessure.
Ne réconcilie pas le double.
La blessure ne doit pas être recousue.
Ce serait comme recoudre les paupières d’une fleur.
Or, le regard de la fleur sert à s’oublier.
Cesse de te connaître.
La connaissance est le flair de la peur.
L’amour est une proie sans trace de pas, sans piste : quand la mort le trouvera-t-elle ?
L’amour est condamné mais ses bourreaux l’ignorent.
Comment tuer ce qu’on ignore ?
Le mal a-t-il déjà frôlé le mal s’il n’a pas regardé l’amour ?
On baisse les yeux face à l’amour.
Qui le dévisage trouble l’âme comme on altère l’eau en s’y penchant pour boire.
Le mal n’existe pas.
Personne n’a jamais entendu mourir les étoiles sous ses pieds.
Pourquoi condamnez-vous ?
Tout le monde est condamné.
Vous sauvez qui vous avez méprisé : dans le visage que l’on méprise il y a un secret. L’amour n’a pas le droit de se montrer.
Qui cache le mieux est le plus vrai.
Seule la vérité est enfouie.
Il ne sert à rien de cacher les vipères quand tout sang est venin.
Il ne sert à rien de cacher la mort quand les crânes supportent nos églises.
Le mensonge est là.
On prie sans y penser.
Les têtes en l’air trébuchent sur un os.
Seuls les anges sont maladroits.
On en rit. On en rit parce que c’est grave et que cela se terminera mal.
La tristesse est chair.
Le rire est aérien.
S’il y a au-delà, il faudra commencer par rire de nos corps nus.
Ainsi l’âme bondira par inadvertance.
Une bonne blague ne rit pas d’elle-même.
Elle s’offre.
C’est un risque.

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