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La femme qui portait lae diable

Un jour, une petite fille du nom de Fatiha rencontra une ombre sur son chemin. C’était ane ange déchux dont l’aile était abîmée. Ol dit à Fatiha : « Accepterais-tu de me porter sur tes épaules tout le long du chemin de ta vie pour me reconduire au ciel ? » Fatiha accepta.

L’ange était lourdx, car son corps de lumière s’était tout empoussiéré. L’ange pleurait chaque jour sur son épaule.

Les années s’écoulèrent. Fatiha devint une jeune fille, puis une adulte ; elle vieillit et son dos se courba tant le poids de l’ange déchux était difficile à soutenir.

Lorsqu’elle fut devant le ciel, elle s’écria : « Comment entrer dans le paradis ? Je suis chargée comme un chameau ! La porte est trop étroite. » Saint Pierre lui dit alors : « Débarrasse-toi de taon diable et tu pourras entrer. »

La vieille femme refusa : « Impossible ! Je lui ai promis de l’emmener à destination. »

Saint Pierre lui dit alors : « Coupe-toi les mains, les jambes et jette-les loin de toi, peut-être seras-tu alors assez petite pour passer. — Hors de question, dit Fatiha. Je m’aime trop pour faire cela. »

Tandis que saint Pierre désespérait pour la vieille femme, lae diable leva les bras et de toutes ses forces, ol écarta l’entrée du ciel si bien qu’elle devint tout à coup très large, immensément large : on aurait pu y faire passer toute l’humanité — et même ses pires démonz.

« Comment as-tu fait cela ? » demanda saint Pierre. Lae diable répondit : « Cette Fatiha qui m’a supportae toute sa vie m’a appris l’amour : je ne veux pas d’un paradis qui a une porte étroite. »

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L’ombre de Diex

Une vieille femme prenait plaisir à caresser son corps. Et quand elle le faisait, elle poussait de tels gémissements de plaisir qu’un jour, un homme venant à passer par là l’entendit crier et crut qu’elle était possédée.

Il conduisit la femme de force devant le prêtre : « Cette femme, je l’ai entendue, elle aboie comme une chienne et siffle comme une vipère ; elle est habitée, c’est certain. » Le prêtre ni une ni deux sortit son crucifix et récita de multiples prières. Mais chose miraculeuse, on vit ane énorme démonx sortir de l’homme qui avait emmené la vieille femme ; puis, un instant après, ce fut Satan ellui-même qui sortit du prêtre.

En sortant, lae diable dit à la vieille femme : « Pour avoir habité l’intérieur du prêtre, je le connais comme ma poche. Et je peux te dire que ce n’est pas joli joli, ce qu’il y a à l’intérieur de celui-là. Tous les fantasmes et troubles de l’esprit qu’il te reproche, il les a au centuple. — Et moi, je n’ai donc pas de démonz ? demanda la vieille femme. — Si, toi aussi, tu as tes démonz, rassure-toi. »

La vieille femme dit : « Si tu viens en moi, toi lae pire des démonz, alors je trouverai une grande lumière. »

Satan entra dans la vieille femme et celle-ci poussa un tel cri que les ailes des anges dans le paradis frémirent.

Ses yeux s’ouvrirent tout grand : elle vit lae diable. Et son visage s’illumina.

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Le roi, le serpent et la princesse

Un roi avait une fille. Il disait d’elle : « Je l’aime plus que tout », et il la comblait de cadeaux, il avait même fait construire pour elle un palais d’argent.

Or, une nuit, un serpent se présenta à la fenêtre de la chambre du roi : « Qui es-tu ? lui demanda le roi. – Ne te souviens-tu pas ? lui dit le serpent. Je suis ce que tu as laissé derrière toi. – Va-t-en, lui dit le roi. – Donne-moi la moitié de ton âme et je partirai. »

Le roi terrifié ouvrit ses entrailles et tendit la moitié de son âme toute fumante, après quoi il se rendormit.

Le lendemain matin, il roua sa fille de coups et la mit à la porte. Elle devint mendiante, vagabonde, misérable et une semaine s’écoula.

Au bout de ces sept jours, le roi la fit revenir et la couvrit de cadeaux et de douces paroles, et il lui offrit même un palais d’or.

Sept jours s’écoulèrent ainsi puis il la roua de nouveau de coups et la mit à la porte. La princesse erra dans les ruelles, pieds nus et la bouche assoiffée et sept jours s’écoulèrent.

Au bout de ces sept jours, le roi la fit venir encore une fois, même chose, et il lui offrit un palais en diamant.

La princesse pleura seule à la fenêtre de son palais de diamant : « Que faire ? se lamentait-elle. Dans sept jours, mon père me mettra à la porte et je devrai mendier mon pain dans les rues. »

Alors, à la fenêtre un serpent vint lui rendre visite : « Qui es-tu ? lui demanda la princesse. – Ne me connais-tu pas ? Je suis ce que tu voudras laisser derrière toi. – Va-t-en, lui dit la princesse. – Donne-moi la moitié de ton âme et je partirai – Hors de question. – Dans ce cas, tu devras me regarder les yeux dans les yeux. »

La jeune fille affronta le regard du serpent et ses yeux se pétrifièrent.

Le serpent glissa vers l’extérieur du palais en sifflotant : « Voilà ce qui arrive à qui se retourne derrière soi et à qui me regarde. »

Or, la princesse avec ses yeux de pierre ne pouvait plus rien voir.

Une journée s’écoula et le serpent revint : « Qui es-tu ? lui demanda la princesse. – Ne me connais-tu pas ? Je suis ce que tu voudras laisser derrière toi. – Va-t-en, lui dit la princesse. – Donne-moi la moitié de ton âme et je partirai. – Il n’en est pas question. – Dans ce cas, touche-moi. »

La princesse passa sa main autour du corps du serpent et sa main se pétrifia.

Le serpent rampa hors du palais en sifflotant : « Voilà ce qui arrive à qui se retourne derrière soi et à qui me touche. »

Une journée s’écoula et le serpent encore une fois revint : « Qui es-tu ? lui demanda la princesse. – Ne me connais-tu pas ? Je suis ce que tu voudras laisser derrière toi. – Va-t-en. – Donne-moi la moitié de ton âme et je partirai. – Plutôt mourir. – Dans ce cas, réchauffe-moi avec ton cœur. »

La princesse prit le serpent et le mit contre son cœur et alors plutôt que de devenir de pierre, son cœur devint une fleur de millepertuis, jaune comme le soleil ; elle le sentit vibrer de nouveau ; puis sa main devint de chair et ses yeux pleurèrent.

Et le serpent glissa par la fenêtre sifflotant : « Voilà ce qui arrive à qui se regarde ellui-même et à qui me fait une place dans son cœur. »

La princesse quitta son palais de diamant, cracha au visage de son père une fois, deux fois, trois fois et partit sans se retourner vers un autre pays.

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La reine et lae démonx

Il était une fois une reine remplie de désir pour ane démonx au visage de serpent. Il s’agissait d’ane démonx hideuxe ; son visage inspirait la peur à quiconque le regardait face à face. Cette reine avait enfermé çae démonx dans une chambre de son palais, loin de la vue de toux ; elle allait lae voir tous les soirs, et son désir pour ellui ne cessait de redoubler. Mais çae démonx était si repoussantx et si venimeuxe que la reine à force de lae fréquenter tomba gravement malade.

Elle fit appeler les meilleurs médecins du royaume. Mais à aucun, elle n’osait dire son secret, qu’elle s’était entichée d’ane horrible démonx, qu’elle allait lae voir tous les soirs, et que c’était là la cause de sa maladie. Qui l’aurait encore respectée en tant que reine si elle avait révélé son affreux secret ?

Un jour néanmoins, se présenta au palais une guérisseuse, une femme remplie du savoir des astres, des plantes, de la religion, de ce qu’est l’être humain et de tout ce qui peut s’apprendre et dans les livres et par l’expérience. Cette femme vint voir la reine et devina aussitôt la cause de son mal. Elle n’osa rien dire cependant ; car elle savait que si elle parlait franchement à la reine, celle-ci la ferait pendre ou décapiter.

« Reine, lui dit-elle, si tu veux guérir de ton mal, il te faudra entreprendre un pèlerinage. Tu dois te rendre dans le sanctuaire qui se trouve sur la montagne la plus haute. L’air y est pur, et à peine l’auras-tu respiré que tu retrouveras la santé ; pense à n’emporter avec toi que le nécessaire, ainsi que des offrandes à déposer dans le sanctuaire. »

La reine répondit : « Comment marcherai-je jusque là-bas alors que je peux à peine sortir de mon lit ? — Tu te feras porter dans une litière. Fais trouver du millepertuis ; de ses pétales, je ferai une escorte pour t’accompagner. »

La reine fit cueillir du millepertuis et la guérisseuse transforma quatre des pétales de la fleur en quatre somptueux jeunes hommes, aussi resplendissants que la lumière du jour.

Avant de partir, la reine voulut emmener lae démonx avec elle. Elle se rendit à la nuit tombée dans la chambre reculée où ol se trouvait : « Démonx, je ne sais comment faire : la guérisseuse pour me guérir de mon mal m’a dit de quitter le palais et de me rendre jusqu’à la montagne la plus haute déposer une offrande. Mais je ne peux me résoudre à te quitter. » Lae démonx répondit : « Révèle-moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine s’écria : « Tu plaisantes ! Plutôt mourir que de montrer ma souillure à la lumière du jour. » Elle passa la nuit avec lae démonx ; elle ne pouvait se résoudre à lae quitter ; elle dit à la guérisseuse le lendemain matin : « Je ne partirai pas. »

La guérisseuse lui répondit : « Si tu ne quittes pas le palais, ô reine, il t’arrivera de grands malheurs : ton royaume deviendra stérile, la sécheresse s’abattra sur les champs ; les troupeaux périront ; et de nombreux fléaux accableront ton peuple. Quant à toi, tu mourras. »

La reine se résolut alors à partir. Elle se rendit auprès de lae démonx et lui dit : « Cette fois-ci, je comprends que je dois bel et bien partir. Mais comment m’y prendrai-je ? » Lae démonx répondit : « Révèle-moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine hésita, fut tourmentée toute la nuit et le lendemain matin, elle revint voir la guérisseuse : « Je suis résolue à partir. Mais l’offrande que je veux porter sur la montagne doit rester secrète : elle sera portée par quatre autres porteurs dans une litière fermée. » La guérisseuse répondit : « Ô reine, fais-moi porter du pavot et de ses graines, je ferai quatre autre porteurs. »

La reine fit apporter du pavot, et la guérisseuse de quatre graines de pavots fit apparaître quatre porteurs au visage couleur de lune, aux cheveux plus sombres que minuit.

Le lendemain matin, la reine partit dans sa litière et fit porter l’autre litière fermée par une tenture sombre : dans cette litière se trouvait saon amantx, lae démonx. A chaque halte, la nuit, elle se rendait dans l’autre litière et passait la nuit aux côtés du monstre.

La reine et son escorte arrivèrent bientôt au pied de la montagne. Iels commencèrent à monter, mais l’autre litière, celle qui contenait lae démonx, pesait lourd, très lourd ; les porteurs s’épuisaient. La reine leur enjoignit de persévérer, mais bientôt, ils s’arrêtèrent, exténués, à bout de forces : pour sûr, ils ne pouvaient plus continuer à escalader le flanc de la montagne. La reine néanmoins continuait de vouloir garder lae démonx avec elle : elle ordonna aux porteurs de recommencer à porter, sans quoi elle les ferait condamner à mort à leur retour. Les porteurs remirent la charge sur leurs épaules, et tout à coup, leur fatigue étant telle, ils lâchèrent la litière : lae démonx en dégringola, on lae vit.

La reine fut alors stupéfaite. Au lieu d’ane horrible démonx, elle aperçut une femme resplendissante, aussi belle qu’une déesse. Elle l’interrogea : « Comment se peut-il que tu sois aussi belle, moi qui t’ai toujours connue d’une laideur à faire trembler ? » La femme ne répondit pas ; elle lui prit la main, et la reine, et elle-même montèrent en haut de la montagne sans l’aide de personne.

Quand elles furent là-haut, la femme apparue dit à la reine : « Une chose m’a rendue belle : ton regard. Tu ne m’avais jamais vue que dans l’obscurité. C’est quand tu m’as vue dans la lumière, au sommet d’une montagne, prête à être offerte au ciel que je suis devenue belle. »

Et la reine à ces mots sentit qu’elle avait guéri de son mal. Elle fit de la femme apparue sa compagne, et elles ne se quittèrent plus jamais.

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La face cachée de la lune

Il arriva qu’un jour une vieille femme prétendit connaître la face cachée de la lune : « Je l’ai vue, de mes propres yeux vue ! et je m’y suis même rendue ! » criait-elle. « A quoi ressemble-t-elle ? » lui demanda-t-on. Et la vieille femme répondit : « Aucun mot ne peut la décrire. Mais je vais m’exprimer par métaphores : le lait y abonde, et le miel sauvage y coule ; ses palais sont d’ivoire et ses arbres de pierres précieuses ; neuf soleils brillent dans son ciel ainsi que sept petites lunes de toutes les couleurs. »

Aussitôt, toutes les jeunes personnes du village brûlèrent d’envie de connaître la face cachée de la lune ; elles quittèrent le village pour marcher jusqu’à elle.

L’une d’entre elles quelques mois plus tard revint au village et dit : « Je suis allée sur la lune ! Croyez-moi, je n’ai jamais rien vu de pareil : la face cachée de la lune est si belle que les mots humains sont insuffisants pour en parler. Je vais néanmoins m’exprimer par métaphores : la face cachée de la lune est un immense jardin, où des fontaines murmurent des paroles vraies à longueur de journée, à longueur de nuit ; ses arbres ont des branches qui ressemblent à des enluminures et l’on peut lire dans leurs méandres toutes les Écritures sacrées. La lune est belle comme les cheveux blancs d’une vieille femme qui porte dans son cœur toute la sagesse du monde. »

Aussitôt que la jeune personne eut terminé de parler, la vieille femme qui avait parlé de la lune s’exclama : « Engeance de vipère ! Ne sais-tu pas que la lune est inatteignable ? Comment oses-tu en parler alors que personne, non personne, n’a jamais vu la face cachée de la lune ? »

Les villageoix dirent à la vieille femme : « Mais alors toi aussi, tu as menti ? » La vieille femme répondit : « Non, je n’ai pas menti : pour qui me prenez-vous ? » Les villageoix incrédules insistèrent : « Alors, pourquoi prétends-tu que la lune est inatteignable ? » La vieille femme répondit : « Je sais qu’il est dans la nature de la lune d’être inatteignable : or, qui peut connaître la nature de la lune ? Ne sont-ce pas celleux qui la connaissent et qui s’y sont déjà renduz ? »

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