Nom de l’auteur/autrice :sykorax

Une nuit d’hiver

Une vieille dame voulut un jour se faire un manteau d’ombre. Elle alla voir une couturière et lui dit : « Prends mon ombre, et fais-en un manteau. » Il se trouvait que la couturière en question était un peu fée. Elle arracha l’ombre de la vieille dame, et en fit un somptueux manteau couleur d’ombre.

La vieille dame voulut ensuite des perles de silence pour les nouer autour de son cou. Elle se rendit auprès d’une bijoutière et lui dit : « Prends mon silence, fais-en des perles et enfile-les autour de mon cou. » La bijoutière, magicienne elle aussi, s’exécuta et du silence de la vieille dame, elle fit des perles de silence.

La vieille dame voulut ensuite une écharpe de larmes chaudes pour se protéger de l’hiver. Elle alla voir une tricoteuse, et lui dit : « Prends les larmes chaudes de mes yeux, et tricote-moi une écharpe pour me protéger de l’hiver. » La tricoteuse, qui avait plus d’un tour dans son sac, cueillit les larmes chaudes dans les yeux de la vieille dame et les tricota en une belle écharpe.

La vieille dame rentra chez elle. La Mort était déjà là, assise près d’une cheminée éteinte : elle l’attendait. La vieille dame lui dit : « Je ne suis pas tout à fait prête, j’ai oublié quelque chose. Laisse-moi encore me préparer. » La Mort lui dit : « Tu as oublié le plus important : je te laisse aller t’en occuper. »

La vieille dame se rendit auprès d’une nourrice. Elle lui dit : « Prends l’enfant qu’il y a dans mes yeux, et berce-le cette nuit ; cette nuit-là sera longue : c’est une nuit d’hiver. » La nourrice prit l’enfant et la vieille dame rentra chez elle.

Elle dit à la Mort : « Tu peux m’emmener maintenant. »

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Coquelicots, neige, nuages

Quand vint la saison des coquelicots, Aki en cueillit un et le mit dans ses cheveux, entre l’oreille et le visage.

Il s’en revint au village. On se moqua de lui : « Tu fais comme les filles. Les hommes, ça ne porte pas de fleurs à la tête. — Bien tristes sont les têtes qui ne portent pas de fleurs », répondit Aki.

Et le coquelicot fana. Aki repartit dans les champs pour en cueillir un autre. Mais de nouveau, le coquelicot fana.

Il se désespéra.

La saison des coquelicots passa.

Et lorsque l’hiver vint, Aki voulut construire une maison de neige. Il s’y attela, la maison fut construite.

Le soleil vint, la neige fondit. Et la saison des neiges passa.

Au printemps, ce furent les giboulées. Aki regardait les nuages mais les nuages fuyaient. Les giboulées cessèrent et le printemps passa.

Aki devenu vieux et malade interrogea l’ancienne du village avant de mourir : « Quel était ce coquelicot que j’avais à la tête ? — Le coquelicot que tu avais à la tête, répondit l’ancienne, c’était ton esprit. — Quelle était la maison de neige dans laquelle je voulais m’abriter ? — La maison de neige dans laquelle tu voulais t’abriter, c’était ton corps. — Quel était le nuage que je regardais dans le ciel et que j’aimais plus que tout ? — C’était ta vie. »

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La jarre d’eau

Un jour, une femme dit à une autre : « J’ai attrapé la lune, et l’ai mise dans une jarre qui se trouve dans la cour de ma maison. » L’autre femme demanda à voir la lune capturée. Alors, la première femme fit venir l’autre dans la cour de sa maison, pendant la nuit, et lui montra la jarre : elle était remplie d’eau et on y voyait danser dans les courants d’air, un reflet de lune. Alors, l’autre femme dit : « Je vais emporter cette jarre chez moi. » Elle prit la jarre, la porta sur sa tête, mais quand elle la posa chez elle, dans son jardin, il n’y avait plus de lune.

Le lendemain matin, elle se leva de bonne heure, au moment de l’aurore, et vit dans la jarre des nuages couleur or : elle voulut faire cadeau de ces nuages à son amie, et décida de les emporter chez elle. Elle posa donc la jarre sur sa tête, mais quand elle fut chez son amie, et quand elle eut posé la jarre dans la cour de sa maison, elle se rendit compte que les nuages couleur or avaient disparu. A la place des nuages se reflétait dans la jarre un ciel tout bleu. Son amie lui dit : « Voici que tu me donnes un ciel tout bleu en échange de la lune que je t’ai donnée hier ! »

Et la femme qui la veille s’était vantée d’avoir capturé la lune, le lendemain matin, retourna voir la jarre dans la cour de sa maison pour y retrouver le ciel bleu. Mais elle vit alors dans la jarre une brume claire et grise. « Comme cette brume est belle ! pensa-t-elle. Je vais en faire cadeau à mon amie en échange du ciel bleu qu’elle m’a donné hier. » Elle se rendit chez son amie, avec la jarre d’eau sur la tête, la posa sur le sol mais la brume grise avait disparu ; il pleuvait désormais, il y avait aussi de l’orage et des cercles d’eau se dessinaient dans la jarre remplie d’eau. L’amie fut si heureuse de recevoir ces cercles d’eau qu’elle offrit le lendemain à l’autre femme une jarre remplie de soleil.

Et tous les jours, elles continuèrent de se renvoyer la jarre l’une à l’autre ; et chaque jour, la jarre avait un visage différent ; les deux femmes vieillirent, mais le ciel qu’elles portaient sur leur tête ne prit jamais une ride.

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Quel corps avec quelle tête ?

Il était une fois une princesse si belle que son visage ressemblait à un miroir poli tendu vers le soleil, du moins était-ce comme cela qu’on la voyait ; et ainsi, on l’appelait « la princesse du soleil. »

Un jour, son père voulut la marier.

« Me marier ? dit-elle. Mon père, je le veux bien mais à une condition. — Une condition ? dit son père. Laquelle ma fille ? »

La princesse dessina alors deux têtes de cheval et deux corps de cheval séparés les uns des autres ; l’une des têtes était blanche, l’autre tachetée ; l’un des corps était blanc, l’autre tacheté de la même manière. Elle dit : « Que les prétendants viennent ! Celui qui pourra assembler convenablement les têtes et les corps que j’ai dessinés, celui-là sera mon époux. »

Les prétendants vinrent. Ils se présentaient un par un. Tous disaient : « La tête tachetée va avec le corps tacheté ; la tête blanche va avec le corps blanc », ce à quoi la princesse répondait : « Faux ! Faux ! Vous avez tout faux : vous n’êtes pas dignes de moi. »

Vint à se présenter un jour au palais une reine. Elle avait les yeux couleur de nuit, la peau sombre, un voile autour du visage ; elle se disait maîtresse du royaume de la nuit.

Elle se rendit auprès de la princesse du soleil et lui dit : « La tête tachetée va avec le corps blanc ; la tête blanche va avec le corps tacheté ; la tête ne s’accorde jamais au corps, ni l’esprit à ce qui le soutient, ni la logique au monde. »

Et la princesse du soleil dit : « Tu as dit vrai. C’est toi qui seras ma femme. » Le roi son père s’indigna : « Une princesse avec une reine, cela ne s’est jamais vu. — Cela existe pourtant, répondit sa fille, puisque les chevaux avec un corps blanc et une tête tachetée existent. »

Et les prétendants indignés dirent : « Comment pouvions-nous deviner la réponse de l’énigme ? La raison commandait le contraire. Quant aux analogies de ta prétendante, on pourrait bien les retourner et dire l’inverse : que chez l’homme de bien, la tête s’accorde au corps, l’esprit à ce qui le soutient ; et que dans la pensée droite, la logique s’accorde au monde. — Peu m’importent vos raisonnements ! répondit la princesse. Vous m’avez crue assez idiote, transparente et simple pour être incapable d’imaginer cette réalité plus obscure : que les chevaux à tête tachetée et à corps blanc existent ! L’intelligence ne tient pas dans les raisonnements, mais dans notre capacité à voir cette intelligence rayonner chez celleux qu’on aime. — Nous te croyions intelligente ! lui répondirent les

prétendants. Nous voyons maintenant que tu as l’esprit subtil et tordu. — Eh bien, dit la princesse, vous ne me méritez pas si vous ne vous attendez pas à être surpris par moi. Ne seriez-vous pas des prétendants ennuyés mariés à une princesse ennuyeuse si j’avais bel et bien dit : “ La tête blanche va avec le corps blanc ; la tête tachetée avec le corps tacheté ?” », ce à quoi les prétendants furent bien obligés d’acquiescer.

Elle s’en fut dans le royaume de la nuit avec la reine aux yeux et au visage sombres, et elles vécurent heureuses loin des yeux de toux.

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L’étrangère

Il y avait au pays une jeune fille qui avait un grand voile sur le visage, un voile couleur de nuage. Sa peau était noire, son regard sombre comme une pluie d’orage. On disait d’elle : « C’est une étrangère. » De ses parentz aussi on disait : « Ce sont des étrangerz. » Et un jour on voulut les chasser. « Hors de question », dit la jeune fille. Mais elle n’eut bientôt pas le choix : elle fut bannie du pays et dut partir avec ses parentz vers la mer.

Sur la route qui devait la conduire jusqu’à la mer, elle vit un petit caillou noir au milieu des cailloux blancs. Elle dit : « Petit caillou, petit caillou, comment fais-tu pour être un caillou noir parmi les cailloux blancs ? » Le caillou lui répondit : « Prends-moi dans ta poche et je te donnerai bientôt la réponse. » Alors, la jeune fille ni une ni deux prit le caillou, le mit dans sa poche, après quoi elle poursuivit sa route avec ses parentz.

Plus loin, elle rencontra une colombe noire parmi les colombes blanches. Elle dit : « Petite colombe, petite colombe, comment fais-tu pour être une colombe noire parmi les colombes blanches ? » La colombe lui répondit : « Prends-moi sur ton épaule et je te donnerai bientôt la réponse. » Alors, la jeune fille ni une ni deux prit la colombe sur son épaule, après quoi elle poursuivit sa route avec ses parentz.

Quelques instants s’écoulèrent, quand elle vit bientôt à ses pieds parmi les marguerites blanches, une marguerite noire. Elle dit : « Petite marguerite, petite marguerite, comment fais-tu pour être une marguerite noire parmi les marguerites blanches ? » La marguerite lui répondit : « Cueille-moi, mets-moi dans tes cheveux et je te donnerai bientôt la réponse. » Alors, la jeune fille ni une ni deux cueillit la marguerite noire, la mit dans ses cheveux et poursuivit sa route avec ses parentz.

Bientôt, elle arriva devant la mer.

Le caillou noir lui dit alors : « Jette-moi dans la mer pour faire des ricochets. » La jeune fille s’exécuta, et le caillou rebondit sur les vagues, une fois, deux fois, trois fois jusqu’à disparaître.

La colombe noire lui dit alors : « Lance-moi vers le ciel pour que je m’envole. » La jeune fille s’exécuta, et la colombe s’envola, battant de l’aile, une fois, deux fois, trois fois jusqu’à disparaître.

La marguerite noire lui dit alors : « Enlève mes pétales un par un par pour que je te dise si l’on t’aime ou non. » La jeune fille s’exécuta, enlevant chaque pétale, les arrachant une fois, deux fois, trois fois jusqu’à ce que la marguerite fut entièrement défaite.

Après cela, elle se lamenta : « Ils m’avaient promis une réponse ! Mais je les ai perdus désormais.»

Alors, une voix venue de la mer, du ciel et de la terre lui dit : « Le caillou que tu as jeté dans la mer, c’est l’exilae qui traverse les eaux. La colombe que tu as élevée vers le ciel, c’est lae persécutae qui rend son âme à Diex. La marguerite que tu as dépouillée, c’est l’opprimae que l’on tourmente. »

La jeune fille demanda : « Que dois-je faire à présent ? »

La voix répondit : « Retrouve le caillou englouti par les flots, empêche la colombe de s’enfuir davantage et redonne sa parure au cœur de la marguerite. — Mais c’est impossible ! s’exclama la jeune fille. Ne puis-je pas faire autre chose ? — Si, mais c’est une chose plus difficile encore. — Dis-la moi. — Ne laisse pas ta voix être engloutie par le silence ; ne t’enfuis pas face à ce monde, en y préférant le ciel, quand bien même serait-il injuste ; et redonne à ton cœur tout dépouillé dignité et force. »

La jeune fille fut bientôt contrainte de traverser la mer. Le reste de l’histoire est encore à écrire.

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