Il était une fois une princesse si belle que son visage ressemblait à un miroir poli tendu vers le soleil, du moins était-ce comme cela qu’on la voyait ; et ainsi, on l’appelait « la princesse du soleil. »
Un jour, son père voulut la marier.
« Me marier ? dit-elle. Mon père, je le veux bien mais à une condition. — Une condition ? dit son père. Laquelle ma fille ? »
La princesse dessina alors deux têtes de cheval et deux corps de cheval séparés les uns des autres ; l’une des têtes était blanche, l’autre tachetée ; l’un des corps était blanc, l’autre tacheté de la même manière. Elle dit : « Que les prétendants viennent ! Celui qui pourra assembler convenablement les têtes et les corps que j’ai dessinés, celui-là sera mon époux. »
Les prétendants vinrent. Ils se présentaient un par un. Tous disaient : « La tête tachetée va avec le corps tacheté ; la tête blanche va avec le corps blanc », ce à quoi la princesse répondait : « Faux ! Faux ! Vous avez tout faux : vous n’êtes pas dignes de moi. »
Vint à se présenter un jour au palais une reine. Elle avait les yeux couleur de nuit, la peau sombre, un voile autour du visage ; elle se disait maîtresse du royaume de la nuit.
Elle se rendit auprès de la princesse du soleil et lui dit : « La tête tachetée va avec le corps blanc ; la tête blanche va avec le corps tacheté ; la tête ne s’accorde jamais au corps, ni l’esprit à ce qui le soutient, ni la logique au monde. »
Et la princesse du soleil dit : « Tu as dit vrai. C’est toi qui seras ma femme. » Le roi son père s’indigna : « Une princesse avec une reine, cela ne s’est jamais vu. — Cela existe pourtant, répondit sa fille, puisque les chevaux avec un corps blanc et une tête tachetée existent. »
Et les prétendants indignés dirent : « Comment pouvions-nous deviner la réponse de l’énigme ? La raison commandait le contraire. Quant aux analogies de ta prétendante, on pourrait bien les retourner et dire l’inverse : que chez l’homme de bien, la tête s’accorde au corps, l’esprit à ce qui le soutient ; et que dans la pensée droite, la logique s’accorde au monde. — Peu m’importent vos raisonnements ! répondit la princesse. Vous m’avez crue assez idiote, transparente et simple pour être incapable d’imaginer cette réalité plus obscure : que les chevaux à tête tachetée et à corps blanc existent ! L’intelligence ne tient pas dans les raisonnements, mais dans notre capacité à voir cette intelligence rayonner chez celleux qu’on aime. — Nous te croyions intelligente ! lui répondirent les
prétendants. Nous voyons maintenant que tu as l’esprit subtil et tordu. — Eh bien, dit la princesse, vous ne me méritez pas si vous ne vous attendez pas à être surpris par moi. Ne seriez-vous pas des prétendants ennuyés mariés à une princesse ennuyeuse si j’avais bel et bien dit : “ La tête blanche va avec le corps blanc ; la tête tachetée avec le corps tacheté ?” », ce à quoi les prétendants furent bien obligés d’acquiescer.
Elle s’en fut dans le royaume de la nuit avec la reine aux yeux et au visage sombres, et elles vécurent heureuses loin des yeux de toux.