Nom de l’auteur/autrice :sykorax

Dans les plaines et sur les montagnes

Une jeune femme allait par les plaines. Tandis qu’elle marchait, des milliers de questions lui assaillaient l’esprit sur la vie, sur la mort, sur Diex et sur la nature de ses anges.

Elle continuait de marcher ainsi quand elle arriva bientôt au pied d’une grande montagne. Près de cette montagne se trouvait une vieille cabane dans laquelle une sainte femme vivait.

La jeune fille lui confia ses tourments, ses interrogations, et la sainte femme répondit : « Si tu veux trouver un remède à ta peine, commence à gravir la montagne. Tu trouveras la réponse dans les hauteurs. »

La jeune fille s’empara d’un bâton et commença à marcher sur le flanc raide de la montagne. Elle marcha, marcha, mais les questions continuaient de torturer son esprit : « Pourquoi y a-t-il ane Diex ? Comment traverser la mort ? Quelle est l’origine du mal dans le monde ? », et cætera.

A un moment donné, elle sentit ses jambes la faire souffrir ; et plus elle grimpait dans les hauteurs, plus elle s’approchait des nuages et du ciel, plus ses jambes lui faisaient mal. Au bout de plusieurs heures, les questions qu’il y avait dans sa tête étaient les suivantes : « Quand arriverai-je là-haut ? Quand mes jambes cesseront-elles de me faire souffrir ? Comment apaiser ma souffrance ? »

Alors, elle comprit.

Elle eut un grand éclat de rire, et revint sur ses pas, dévala la pente d’un pas allègre et se rendit jusqu’à la cabane de la sainte femme : « Je te remercie, sainte femme, de m’avoir incitée à prendre le chemin escarpé de la montagne. Plus je me suis élevée, plus mon corps s’est appesanti ; au bout de quelques heures, j’ai compris que la question la plus importante n’était pas de savoir qui est Diex, ce qu’il y a après la mort, ou d’autres choses semblables, mais plutôt de savoir comment éliminer la souffrance de ses jambes quand ces dernières souffrent. C’est pourquoi je suis redescendue. »

Et la sainte femme de répondre : « Tâche de ne plus trop te poser de questions désormais. Les questions les plus importantes n’apparaissent pas dans les plaines mais sur les montagnes. »

Et les deux femmes se quittèrent.

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L’âme du noyer

Une petite fille avait mis son âme dans un noyer. L’âme vivait là comme un oiseau nocturne, dans le trou du tronc. Impossible de la voir !

Les années s’écoulèrent.

Et quand la jeune fille voulait connaître son âme, elle disait au noyer : « Arbre de l’ombre, arbre de l’ombre, dis-moi mon âme. » Et alors, le noyer répondait : « Fille du diable, fille du diable, t’es-tu donc oubliée ? ton âme, c’est le chant des oiseaux ; c’est le vent qui bondit dans mes branches ; c’est le soleil qui s’est caché dans mes cheveux. »

La jeune fille s’en retournait alors dans son village, cœur ballant, œil léger.

Un jour, un beau jeune homme voulut en faire son épouse. Le père de la jeune fille accepta.

Il y eut les noces, puis quand la nuit vint se faufiler, la jeune fille dit à son mari : « Laisse-moi aller dehors, par la brune. – Comment donc ? lui dit son mari. Pourquoi veux-tu aller par la brune alors qu’il y a du feu et des brûlements ici ? – Quand bien même me tisserais-tu des étoiles, je veux aller par la brune. »

Alors, le mari soupira puis la laissa partir – il décida néanmoins de la faire suivre.

Lorsque la jeune fille fut dehors, elle se précipita vers la forêt et se rendit à l’ombre du noyer. Elle dit alors : « Arbre de l’ombre, arbre de l’ombre, dis-moi mon âme. »

Le noyer ne répondit pas.

Et toute esseulée, ensanglotée, la jeune fille rentra. A l’aube, le mari apprit tout.

Il vint avec une hache sur les lieux tandis que la jeune fille dormait.

Il décapita le noyer et l’âme de la jeune fille s’envola, comme un oiseau nocturne, vers un lieu inconnu.

Quand la jeune fille se réveilla, elle se rendit près du noyer et ne vit rien que la souche terne, œil de mort.

Ivre de larmes, elle se précipita vers une falaise : « Vais-je me jeter dans l’air vide ? » A peine eut- elle dit cela que son corps éclata comme un feuillage, une floraison : ses cheveux montèrent jusqu’à l’aube et ses pieds descendirent jusqu’aux ossements enfouis d’antan.

Quant à sa bouche, elle est restée là sur terre pour me dire cette histoire quand les oiseaux chantent, quand le vent bondit, quand le soleil se cache entre les arbres.

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L’animal sans visage

Il était une fois un animal qui paraissait ne pas avoir de visage. A première vue, il n’avait ni yeux pour pleurer ni bouche pour sourire, et pire encore, il ne pouvait pas parler, de telle sorte qu’on disait de lui : « Il est sans âme. »

Et un jour, on lui prit ses enfants : ses enfants elleux aussi semblaient ne pas avoir d’âme. L’animal poussa des cris atroces, mais ses cris ne furent pas entendus.

Un jour, il arriva qu’une petite fille le vit au fond de sa cage. Elle dévisagea l’animal — car elle avait vu son visage. Le regard de l’animal était si brûlant que les yeux de la petite fille prirent feu ; et quand elle fut de retour chez elle, elle ne put plus dormir : ses yeux étaient tellement chauds qu’il lui était impossible de fermer les paupières.

Plus tard, on lui servit l’animal à manger — car on l’avait tué. Elle ne voulut pas y toucher. Elle dit :

« Pourquoi me servez-vous une âme à manger ? »

Ses parents lui répondirent : « C’est seulement le reflet de ton âme qui te fait voir une âme là où il n’y en a pas. » Mais la petite fille ne fut pas satisfaite, et refusa désormais de manger la chair des animaux ; car elle avait vu un visage.

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Comment l’abeille est apparue sur la terre

Savez-vous d’où vient l’abeille ? Je vais vous le raconter. Cela remonte à un temps très ancien, un temps où la pâte du monde portait encore l’empreinte de Diex toute fraîche, toute lumineuse.

A cette époque donc, les êtres humains vivaient dans des jardins, de grands jardins immobiles où les fleurs ne mouraient jamais. Et comme elles ne mouraient jamais, elles n’avaient pas non plus besoin de se répandre : elles étaient vénérées comme de petites déesses impassibles.

Mais un jour, il y eut ane ange-enfant (je l’appelle ange-fant) qui voulut voler plus haut que Diex.

L’ange-fant s’éleva, s’éleva jusqu’à tremper sa bouche dans les rayons du soleil : quel délice ! mais aussitôt, ol retomba.

Et quand ol retomba, cela fit un vacarme tel que les fleurs bougèrent.

Depuis la chute de l’ange-fant, tout bouge, se trouble et tourne et tourbillonne sur cette terre. Et ce jour-là, ce fut une telle pagaille que la Mort en profita pour s’inviter dans la danse, ni vu ni connu.

Mais aussi ce jour-là, Diex rit beaucoup et appela l’ange-fant « abeille », parce qu’ol avait fait « aïe, aïe, aïe » en retombant. Al lui dit : « Ce sera toi ma messagère ; et tu auras toujours du soleil à la bouche. Si l’on essaye de te prendre tes trésors, sors ton dard mais fais-le avec discernement, car l’ange de lumière qui blesse est vouae à mourir. »

Là n’est pas la seule mission de l’abeille qui répand la bonne nouvelle de fleurs en fleurs jusqu’aux confins de la terre.

C’est elle aussi qui m’a appris que même notre mauvaise bile et nos pires crachats peuvent être or et lumière.

Vous connaissez maintenant l’histoire de l’abeille telle que la racontaient nos grand-mères dans des temps très anciens.

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Le sel du regard

Lorsque les animaux et l’humane apparurent sur la terre, Diex leur dit : « De tout, il vous est permis de manger mais ne goûtez pas au noir des épis : ce sont des flèches trempées de venin que Lucifer a tirées sur la terre ; si vous les mangiez, alors vous prendriez ma place. »

A peine les animaux et l’humane eurent-iels entendu cela qu’iels n’eurent plus qu’une seule idée en tête : manger le noir des épis.

Et Diex qui le savait décida de leur tourner le dos.

Alors, chacun des animaux, et l’humane aussi, en profita pour cueillir un épi : iels mangèrent sa partie la plus sombre et furent alors brûlaes de part en part.

Dans leurs yeux, ce fut du sang et dans leur cœur un feu ardent. Diex dit alors : « Puisque vous m’avez désobéi, vous n’avez plus besoin de moi ; je vais me laisser mourir de faim et vous prendrez ma place. »

Les animaux et l’humane supplièrent Diex de rester avec elleux dans cette nuit insupportable, tout ébranlaes, tout ébrûlaes par leur malheur ; mais Diex encore une fois leur tourna le dos : quarante jours passèrent, Diex se laissa mourir de faim et la terre fut sans lumière.

Pendant ce temps, à cause du noir des épis, les animaux et l’humane ne cessaient d’avoir des visions de toutes sortes, toutes plus terribles les unes que les autres ; et c’est ainsi que la laideur, la maladie, la mort et la pourriture apparurent sur la terre ; car toutes leurs visions devenaient créations, à elleux qui avaient pris la place de Diex.

Iels supplièrent : « Diex, Diex, reviens ! » Mais Diex était mortx depuis longtemps.

Alors, iels l’insultèrent : « Pourquoi n’es-tu plus là, salaudx ? » Diex ne répondit pas.

Iels pensèrent toux à se laisser mourir de faim à leur tour, mais au bout de trente-neuf jours de jeûne, un serpent s’écria : « A-t-on vraiment besoin de Diex pour être heureuxes ? – Bien sûr, répondirent les autres animaux, regarde comme le monde est laid sans présence divine ! »

Le serpent dit alors : « Il y a un feu de rage qui brûle, brille dans nos corps. Pourquoi ne pas s’en servir pour enluminer le monde ? »

L’araignée à ces mots tissa sa toile et l’abeille créa une maison de lumière ; le scarabée fit une sphère parfaite de la merde du monde ; le castor arrêta les pleurs des rivières ; les oiseaux bercèrent les fleurs, nouvelle-nées du printemps ; et l’humane, l’humane ellui qui n’avait rien à faire, s’émerveilla de tout cela.

Et l’on raconte que si l’on pleure parfois d’émerveillement ou d’éblouissement, c’est parce que nos larmes sont le souvenir salé de cette époque où la terre entière a failli mourir de faim par désespoir de ne jamais connaître la beauté.

Sans cette trace de sel dans nos yeux, pourrait-on goûter la saveur du monde ?

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