Le silence de la déesse

Il était une fois une jeune fille qu’on appelait Lunette — car son visage et son humeur ressemblaient à la lune. Elle n’était ni bonne ni mauvaise, ni belle ni laide, ni savante ni ignorante, ni spirituelle ni idiote.

Elle aimait par-dessus tout les animaux et passait son temps dans la forêt avec ses amiz. En revanche, elle détestait la chasse et piégeait dans des pièges à colle les chasseurs plutôt que les animaux eux-mêmes.

Elle rendait grâce aux déesses d’avoir fait la forêt si belle.

Un jour, son père lui annonça qu’il voulait la marier. Lunette n’eut pas plus tôt entendu son père lui annoncer la nouvelle qu’elle lui dit : « Plaisantes-tu ? Il est hors de question que l’on me mette un jour la bague au doigt ; plutôt mourir. »

Le père de Lunette se mit en colère : « Si c’est ainsi, tu te consacreras à la déesse de la lune froide jusqu’à la fin de tes jours, et tu ne sortiras jamais de son temple. »

Lunette accepta la seconde proposition de son père, pensant qu’elle pourrait fuir la vie consacrée quand l’occasion s’en présenterait.

Elle revêtit le voile, elle coupa ses cheveux.

Une fois arrivée dans le temple, elle s’en alla prier la déesse de la lune à plusieurs reprises pour lui demander de l’aider à s’enfuir. Mais la déesse ne répondait pas.

Lunette continua de prier jour et nuit, mais la déesse ne répondait toujours pas de telle sorte qu’à un moment donné, elle en fut agacée ; elle perdit même la foi.

Et lorsqu’elle l’eut perdue, elle quitta le temple : elle en força les portes et sortit à la brune, et elle jeta son voile derrière elle, et elle marcha, marcha par les forêts jusqu’à une petite cabane.

Elle frappa à la porte de la cabane : toc toc toc.

Un vieillard lui ouvrit : « Que veux-tu ? » Alors, la jeune fille raconta toute son histoire. Et le vieillard lui dit : « Si tu te mets à mon service, je te donnerai gîte et couvert, et tu n’auras rien à craindre de ton père. »

Lunette qui était effrayée par les bois obscurs et les bêtes sauvages, accepta. Or, il se trouvait que le vieillard était un peu sorcier : il avait pris son âme, et la retenait captive dans une cage à oiseau, tandis qu’il demandait à la jeune fille d’accomplir chaque jour des tâches impossibles.

A la fin, il lui dit : « Si tu n’acceptes pas de te marier avec moi, je dirai tout à ton père. Maintenant que j’ai ton âme dans ma cage à oiseau, tu es tenue de m’épouser devant les divinités. »

Lunette répondit : « Laisse-moi un peu de temps, que je choisisse quel parti prendre. »

Elle s’en alla dans le petit galetas qui lui servait de chambre, et se mit à prier la déesse de la lune encore une fois. Sa peur était telle que la foi lui était revenue. Elle pria, elle pria toute la nuit ; mais la déesse de la lune ne lui répondit pas.

Elle perdit donc la foi une seconde fois. Et ayant perdu la foi, elle décida de reprendre son âme dans la cage à oiseau, de forcer la porte de la cabane du sorcier et de s’enfuir à la brune, par les forêts et par les bois jusque là où ses pas voudraient bien la guider.

Elle arriva bientôt devant un somptueux palais qu’habitait disait-on, un prince aux yeux d’or que l’on appelait Orion.

Lunette s’aventura dans le jardin clos du palais, sous les rayons de la lune alors que le soleil n’était pas encore levé. Or, il se trouvait que le prince, qui était un être mélancolique, errait dans le jardin à ce moment-là. Il vit Lunette à moitié cachée par un pommier ; à peine la vit-il qu’il lui dit : « O toi plus belle que la lune, voudrais-tu te marier avec moi ? », ce à quoi Lunette répondit le dévisageant : « Il est hors de question que je me marie avec toi, prince aux yeux d’or ; plutôt mourir. »

Le prince alors se mit dans une colère terrible. Il appela ses gardes et fit enfermer Lunette dans une tour de son palais. Or, Lunette n’était pas la seule prisonnière ; d’autres femmes étaient là, que le prince dans sa colère avait enfermées. Le prince dit à Lunette avant de refermer la porte : « Sache femme impie que si tu ne changes pas ta résolution, tenue que tu es par les divinités d’obéir à ton monarque, tu seras damnée. »

Lunette voulut s’enfuir de la tour, et sa peur fut si grande qu’elle recommença à prier la déesse de la lune. Elle pria, pria, éclata en sanglots, se tordit les mains, défit ses cheveux mais ce fut sans succès : la déesse de la lune ne répondait pas.

Alors, Lunette et les autres femmes décidèrent de casser la pierre de la tour. Elles y consacrèrent tout leur temps, toutes leurs forces de telle sorte qu’elles creusèrent bientôt une brèche, et elles purent s’en enfuir.

Lunette s’exclama alors : « Grâce soit rendue à la déesse de la lune qui a su si bien ne pas répondre à mes prières quand je l’appelais ! »

Les femmes l’entendant la prirent pour une insensée et lui demandèrent : « Pourquoi remercies-tu la déesse de la lune, alors qu’elle ne t’a pas exaucée ? », ce à quoi Lunette répondit : « Je me suis

libérée d’un temple, d’une cabane de sorcier, et de la tour d’un prince ; mais grâce au silence de la déesse de la lune, je me suis libérée de davantage encore : je me suis libérée de la religion », et elle disait cela tout en continuant à prier et à remercier sa déesse.

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