Il y avait dans mon pays une fontaine aux rêves. Dans son eau se mirait le ciel d’en haut qui devenait le ciel d’en bas. Or, à cette époque, le ciel était habité : on y trouvait forêts, vallons, océans, montagnes et déserts ; on y trouvait aussi les animaux à quatre pattes et les animaux qui rampent, et les oiseaux, et les poissons.
On y trouvait aussi Diex, et les choses belles d’en haut n’étaient que son imagination qu’iel avait fait descendre sur terre pour la rendre vivante.
Un jour, Serpent s’approcha de la fontaine aux rêves. Il passa son visage dedans pour se rafraîchir, et l’eau se brouilla ; et le ciel devint tout trouble, et les humanes cessèrent de le rêver ; car la fontaine aux rêves le reflétait comme une chose trouble.
On accusa Serpent. Les humanes furent les premierz à vouloir le mettre à mort. Mais Serpent pleurant des larmes de serpent dit aux humanes : « Ne me tuez pas, car grâce à moi, grâce à moi… – Grâce à toi, grâce à toi ? demandèrent les humanes. Où veux-tu en venir ? – Grâce à moi, grâce à moi… » bredouillait le serpent en pleurs.
Soudain, l’idée lui vint. Il dit : « Grâce à moi, vous cesserez de comparer les choses d’ici aux choses d’en haut : vous n’aurez plus honte de votre chair ni de sa lie, ni des crachats et du vomi de vos enfants. Quelle est la vraie forêt entre celle qui prend racine dans la boue et celle qui prend racine dans le ciel ? Quelle est la vraie vie, celle éternelle ou celle qui se termine par la mort ? »
L’ane des humanes dit : « Il blasphème. » Et Serpent répondit : « Votre blasphème est pire que le mien. »
Il agita sa queue et glissant entre les mains de ses bourreaux, il parvint à s’enfuir.
On dit que la vérité depuis ce jour nous échappe comme Serpent des mains de ses bourreaux. Et il arrive parfois à cette vérité de parler entre ses larmes quand on veut la mettre à mort.
La vérité du ciel a-t-elle déjà pleuré ?