pourquoi dors-tu

ô petit chat qui bois du lait
toi qui aimes tes pattes toute blanches
pourquoi dors-tu
nos blessures sont encore roses
comme la pluie sur les primevères
les corbeaux riront
ne le sais-tu pas
quand nos crânes seront plus blancs
qu’un jardin de lilas
un jour d’avril
je pèserai mes plumes lourdes
et mon cœur d’oiseau
je rêverai monde où le merle
écoute encore
les amoureuses chanter
tu chasses le papillon
parce que la couleur est triste
au prophète qui ne voit dans la nuit
rien d’autre qu’une longue nuit
j’ai ouvert des yeux
fragiles comme un rêve
une aile
un bruit
et pourtant j’ai peur comme toi

ô petit chat qui bois du lait
toi qui aimes tes pattes toute blanches
pourquoi dors-tu
je n’ai pas peur de tes griffes
sur mon plumage
parce que j’ai peur de ton silence
je chanterai comme un mauvais présage
les fantômes plus blancs que la nuit
avant la mort
qu’elle est étrange l’étoile d’insomnie
qui nous contemple
ces jours où l’on dresse des frontières
pour nous séparer
je te vois te rouler dans le soleil
au sommet d’un mur de prison
tu me regardes fièrement
mais quel mur sera assez haut
pour séparer le vent les étourneaux
les étourdies d’amour
ai-je pensé
et pourtant j’ai peur comme toi

ô petit chat qui bois du lait
toi qui aimes tes pattes toute blanches
pourquoi dors-tu
pourquoi as-tu eu peur de l’eau
quand l’océan nous disait la liberté
le vent
la haine a mangé nos étreintes
elles sont vides
elles sont petites
elles sont anciennes
elles sont perdues
comme des coquillages nus
sur une plage toute blanche
je sais que tu as retenu dans ta gorge
des chants roulant comme la terre
tu portes dans ton ventre l’océan
ta queue t’entoure
comme un nombril
une chambre de nacre
tu as fui le monde épais
tu te tais
quand je cherche ton regard
je te regarde
je nous regarde
parce que les malheurs se regardent
fixement
et pourtant j’ai peur comme toi

ô petit chat qui bois du lait
toi qui aimes tes pattes toute blanches
pourquoi dors-tu
tu aimes les caresses et moi j’aime les mains
qui coulent à l’envers
parce qu’elles changent le monde
je ne te l’ai jamais dit
quand l’hiver dernier
tu t’es caché sous les toitures
couvertes de neige
si tu as les pattes toute blanches
c’est parce que tu aimes tes maîtres
et que moi je les fuis
c’est parce que la porte des maîtres
se referme toujours
sur qui ne veut plus voir
le temps le bleu la nuit
ma porte est grande
grave comme le début du ciel
ô petit chat à pattes blanches
je ne sais pas si tu me connais
si tu ne me persécuteras pas
comme nos chefs nos États nos brisures
nos blessures plus vives qu’une source
entière
et pourtant j’ai peur comme toi

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