Un cheveu plus long que le destin

Une jeune fille se vantait dans tout le village ; elle disait : « J’ai un cheveu plus long que le destin. » De telles paroles la faisaient passer pour une insensée. Mais une ancienne du village s’avisa de l’interroger : « Qu’appelles-tu un cheveu plus long que le destin ? » Et la jeune fille répondit : « Si je te montrais ce cheveu, je mourrais ; ane ange m’a bénie à ma naissance en me donnant un cheveu plus long que le destin. Ol m’a dit de ne jamais le montrer à personne, car sinon, la Mort serait jalouse de moi et elle le couperait avec ses ciseaux d’argent. »

Or, il se trouvait que la Mort passait par là à ce moment-là, et elle entendit la jeune fille. La Mort avait de grands ciseaux d’argent ; elle s’approcha de la jeune fille et lui dit : « Si tu me dis où se trouve ton cheveu plus long que le destin, je le couperai certes ; mais je te serai tant reconnaissante de m’avoir donné ton secret que je t’épouserai ; je mêlerai ma chair à la tienne, et tu seras semblable aux divinités. »

La jeune fille montra l’un de ses cheveux à la Mort ; elle lui dit : « Voici mon unique bien, mon cheveu plus long que le destin. » La Mort s’approcha de la jeune fille et le coupa avec ses ciseaux d’argent.

A ce moment-là, le cheveu tomba sur le sol : quand il tomba, il se transforma en serpent. Le serpent semblait en colère ; il mordit la jeune fille qui mourut. Ensuite, il mordit sa propre queue et s’avala lui-même.

L’ancienne du village qui venait d’assister au spectacle ne put s’empêcher d’éprouver de la pitié pour la jeune fille qui était morte sous ses yeux. Elle s’approcha de la Mort : « Si tu ressuscites cette jeune fille, je te donnerai mon plus grand trésor ; je n’en ai jamais parlé à personne. — De quoi s’agit-il ? demanda la Mort. — Promets-moi d’abord que tu ressusciteras la jeune fille. — Je te le promets, répondit la Mort. — Voici : je possède un cheveu plus épais que le ciel. Ane ange m’a bénie à ma naissance en me disant de ne jamais en parler à personne, sans quoi tu serais jalouse de moi et tu le couperais avec tes ciseaux d’argent. Je te l’offre. »

La Mort prit ses ciseaux d’argent et coupa le cheveu plus épais que le ciel, que l’ancienne lui tendait.

Le cheveu tomba à terre et forma une grande brèche dans le sol, dans laquelle l’ancienne du village tomba.

Ensuite, la Mort ouvrit les yeux de la jeune fille. Elle se réveilla mais l’ancienne du village n’était plus là. « Où est la vieille dame ? demanda-t-elle à la Mort. — La vieille dame m’a donné son

cheveu plus épais que le ciel de manière à te ressusciter. Pour avoir trahi son secret, elle a été précipitée en enfer. »

La jeune fille pleura amèrement et décida d’aller délivrer l’ancienne.

Elle se rendit donc en enfer. Au milieu des flammes, elle aperçut la vieille dame avec un sourire aux lèvres : « Comment peux-tu sourire, lui demanda la jeune fille, alors que nous sommes en enfer ? » La vieille dame répondit : « C’est l’amour et la compassion qui m’ont fait creuser mon enfer ; c’est l’amour et la compassion qui t’ont fait descendre ici : cet enfer n’est pas l’enfer, mais le paradis. Et ces flammes sont les brûlures de l’amour. » La jeune fille et la vieille dame s’avisèrent néanmoins de revenir au monde des vivantz. Sur leur chemin, elles virent un grain de grenade ; elles avaient faim mais elles se jurèrent de ne rien faire entrer dans leur ventre tant qu’elles ne seraient pas remontées dans le monde des vivantz.

Arrivées près de la lumière du jour, elles coupèrent leurs cheveux et formèrent avec une corde d’un noir mêlé d’argent. La jeune fille monta en premier ; la vieille dame en second, mais la corde se cassa derrière la jeune fille. Et la vieille dame fut précipitée dans les profondeurs.

La jeune fille remontée à la surface, referma la brèche avec de la terre. Et la Mort qui était encore là lui dit : « Tu es bien cruelle de laisser la vieille dame derrière toi », ce à quoi la jeune fille répondit :

« J’ai été morte, je suis vivante ; j’ai aimé, j’ai été cruelle ; j’ai connu l’enfer, j’ai connu le paradis ; la vieille dame a vécu, elle est morte ; je me suis crue invincible, j’ai été vaincue ; ce qui était plus long que le destin a été coupé ; ce qui était plus épais que le ciel est tombé. — Rien ne dure, répondit la Mort. — Et je garderai toujours un peu de toi en moi », répondit la jeune fille.

Elle mit une dernière poignée de terre à l’endroit où la vieille dame avait été précipitée puis elle dit au revoir à la Mort avec un geste d’affection ; elle la reverra plus tard, bien plus tard quand ses cheveux repoussés seront devenus tout blancs ; mais cela, c’est encore une autre histoire.

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La rose miraculeuse

Il était une fois un prince, le seul héritier du royaume de son père, pourvu de toutes les qualités : il était beau, courageux et intelligent. Un jour, ce prince néanmoins tomba gravement malade. C’était une maladie telle qu’alors qu’il était encore en vie, son corps pourrissait et se décomposait ; il devint bientôt puant, affreusement laid, et son père lui-même ne pouvait plus le regarder en face.

Le prince se désola, désespéra, cessa de boire et de manger, et songea même à se tuer. Il allait le faire quand la veille du jour où il avait prévu de quitter le monde des vivantz, il fit un rêve étrange : il rêva d’un rosier mort au bout duquel se trouvait une rose telle qu’il n’en avait jamais vue ; elle était fraîche, délicate, toute épanouie ; et autour du rosier, il neigeait de telle sorte que la présence de cette rose était comme un miracle.

Le prince la regardait avec amour et admiration, quand il entendit une voix venue du ciel : « Si tu trouves cette rose, il te suffira de la cueillir et de la manger pour que ton corps et ton esprit retrouvent la santé. »

A son réveil, le prince se souvint de son rêve. Il parcourut le monde à la recherche du rosier. Il marcha longuement, comme un errant, un vagabond, rejeté par tout le monde ; personne ne savait qu’il était prince, et les enfants lui jetaient des cailloux. Il traversa sept forêts, quatre fleuves, trois océans, et deux déserts avant de parvenir au bout du monde.

Au bord du monde se trouvait une montagne enneigée. Le prince la gravit. Quand il fut au sommet, il trouva le rosier mort, et au bout du rosier, tout en haut, la rose miraculeuse. Sa couleur était à la fois douce et violente, ses pétales tendres, sa tige fragile et couverte d’épines ; il fut si ému par tant de beauté que les larmes lui montèrent aux yeux. Il tendit la main pour la cueillir, mais il arrêta son geste avant même de toucher la fleur. Il essaya une fois, deux fois, trois fois, puis poussant un grand soupir d’amour ou de chagrin, ou des deux à la fois, il s’assit à trois coudées devant la rose. Il resta là, assis, jusqu’à sa mort.

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Une fleur en enfer

Un jour, ane malheureuxe vit une fleur à ses pieds : « Une fleur en enfer ! pensa-t-iel. Voilà bien quelque chose d’étonnant ! Les flammes et les démonz l’ont-ols donc épargnée ? »

Plus tard, iel entendit un oiseau qui chantait. « Qu’a-t-il à chanter en enfer ? », pensa-t-iel. Et iel décida d’aller interroger l’oiseau : « Pourquoi chantes-tu en enfer ? » L’oiseau ne répondit pas et continua de chanter.

Quelques temps plus tard, lae malheureuxe vit le ciel au-dessus de sa tête. « Nom de nom ! Une fleur, je veux bien… Un oiseau, passe encore ! Mais le ciel, que fait-il en enfer ? »

Iel s’interrogeait ainsi quand iel vit soudain ane enfant passer en jouant et riant. « Impossible que je sois en enfer ! pensa-t-iel. Une fleur, je veux bien. Un oiseau, passe encore ! Et le ciel, cela m’étonne bien, mais après tout, pourquoi pas ? Mais ane enfant qui rit et qui joue en enfer ! cela ne s’est jamais vu. »

Iel continuait ainsi à se creuser la tête quand saon adelphe aînae s’approcha d’ellui : « Grandx nigaudx, qu’as-tu à rêvasser ? va étendre le linge ! et n’oublie pas de laver les toilettes ! c’est ton tour ! »

Alors, l’adelphe cadetx comprit qu’iel était sur terre, nulle part ailleurs. S’iel s’en réjouit ou non, le conte ne le dit pas ; car il s’achève ici.

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Le grain de sable

Il était une fois une divinité toute entière faite de sable. Tout son corps était si fragile que le moindre murmure du vent menaçait de le briser. Un jour, ce qui devait arriver arriva : une bourrasque plus forte que les autres se leva et la divinité de sable fut dispersée, émiettée ; les autres déesses, diez et dieux pleurèrent mais il était trop tard…

L’un des grains de sable, minuscule — c’était un morceau de l’âme de la divinité — fut avalé par un oiseau. L’âme de la divinité entra dans l’oiseau et parcourut les ciels les plus élevés. Et lorsque l’oiseau fienta, l’âme de la divinité était dans les excréments de l’oiseau ; elle parcourut les torrents de boue les plus sales.

Et cette âme qui avait logé dans le ciel et dans la merde un jour se glissa entre les orteils d’une petite fille. La petite fille l’emporta jusque chez elle, le pas plus lourd que d’habitude.

Le soir, elle éprouva de la tristesse, son premier vrai chagrin. Elle dit à ses parentz : « Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? » Elle n’eut pas de réponse convaincante.

Pendant la nuit, la petite fille s’agita tant dans son sommeil que la petite poussière d’âme glissa sous sa peau et remonta dans son sang jusqu’à se loger dans son cœur.

Elle garda cette poussière, ce point noir, ce grain de nuit en elle. A la question « Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? », personne n’avait jamais su répondre.

Les années passèrent. La petite fille devint adulte ; et d’adulte, elle devint vieille femme.

Le grain de sable frottait, frottait le cœur de la vieille femme : on disait qu’elle avait un souffle au cœur. Toute sa vie, il était resté là, comme une amertume.

Et il frotta, frotta tant le cœur de la vieille femme qu’un jour, il devint une petite perle.

La vieille femme sentit tout à coup une aurore se lever dans sa poitrine, une lumière de nacre. Ses yeux s’écarquillèrent, elle mourut.

On raconte que la Mort porte un collier de perles, un grand collier de perles, un collier de perles infini ; car chaque dernier instant d’ane mourantx est semblable à une perle de nacre. Ce collier de perles, ce sont les constellations et les étoiles du ciel.

Ce sont peut-être aussi les larmes qui coulent des yeux de celleux qui restent ; les perles se défont une par une, il y a autant de perles dans nos yeux que de mortz derrière notre regard.

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L’homme qui savait tout

Un vieil homme qui avait beaucoup étudié marchait sur un chemin de poussières dans la brume. Il marchait, marchait et son pas était lourd et son front était grave.

Où allait-il ? Le conte ne le dit pas, mais il arriva bientôt à un carrefour. Une vieille sorcière vint vers lui et lui dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieillard répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la vie ? » Le vieil homme répondit : « C’est une épine de rose plantée dans notre talon et qui nous empêche de dormir d’un sommeil divin. »

La sorcière se dissipa dans un brouillard et le vieillard continua son chemin. Sept jours passèrent et il se trouva bientôt à un autre carrefour.

C’est alors qu’une sorcière encore plus vieille que la précédente s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieil homme répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la mort ? » Le vieil homme répondit : « C’est une rose qui se fane avant d’avoir été aimée. »

La sorcière disparut emportée par la nuit. Le vieillard reprit son chemin et sept jours s’écoulèrent.

Au terme de ces sept jours, le vieil homme se trouva bientôt à un autre carrefour tout couvert de brouillard. Il entendit bientôt un pas derrière lui.

C’était une enfant.

L’enfant s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui ne sait rien peut passer ce carrefour. » Le vieil homme dit : « Moi qui sais tout, comment pourrai-je passer ? » L’enfant répondit : « Voyons si tu peux répondre ou non à ma question. – Essaye toujours. »

L’enfant dit alors : « Qu’est-ce qu’une rose ? »

Le vieillard s’effondra les yeux remplis de larmes : « Je n’en sais rien, dit-il. Mes livres ne me l’ont pas appris. »

Le ciel au loin se fit lumière et l’enfant disparut pour laisser passer l’homme ; on ne l’a plus revu depuis.

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