les disparues

8 mars
ou plutôt printemps
ou plutôt chaque jour
hélas
elles sont mortes
et je m’en souviens
la pluie laisse tomber ses dents de lait
sur le fragile roseau de mes os
dans l’herbe bleue
j’ai entendu les ancêtres pleurer
les femmes aux racines grises et à la mèche blanche
toujours vive
cela ne faisait pas plus de bruit que les poussières
que l’on voit tourner en rond jusqu’à la chute
dans un rayon de soleil
je n’oublie pas vos servitudes
j’ai aperçu peut-être les cerisiers voler en éclats en cendres
comme des squelettes blancs et brisés
j’ai vu le charnier du printemps
et le magnolia qui perd ses paupières roses
elles sont mortes
j’ai vu la dentelle délicate des toiles d’araignée
vibrer comme un cœur
ou une voile tendue vers un continent invisible
où nous serions là
exactement
présentes
j’ai vu palpiter les petits poumons pourpres
de la rose que le vent essouffle
j’ai vu osciller doucement dans les courants d’air
tintinnabuler
tel un pendule tendre et vert
ce maëlstrom emmêlé de pétales plus léger
que le nombril d’une nouvelle-née
et que l’on appelle camélia
s’il y a de la rosée dans l’herbe des sentiers
c’est qu’une toute petite poucette a semé ses pleurs pour retrouver
sa route
j’ai vu les lumières scintiller dans une goutte d’eau comme dans des lampions
et l’herbe folle tenait la rosée de lumière avec autant de précaution
qu’une main appliquée de gamine
je me suis souvenue que le printemps me bouscule parfois
et que la transverbération de la pluie tranquille
fait expirer mon cœur dans un cercueil de roses cueillies coupées
et fraîches comme l’herbe qui s’épanche en chuchotements
au-dessus des tombes muettes
ou plutôt encore
inaudibles
je me suis souvenue que le printemps est toujours
ce coup de balai que le vent passe sur le menton blanchi
des disparues

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