Le cul de Diex

Un homme dans une taverne s’était pris une cuite et on l’avait mis à la porte. Dans la rue, sous la lumière des étoiles, il vomit tout son soûl… Et là, à peine eût-il commencé à tout rendre qu’ane merveilleuxe bébé apparut, nae de la bile et de la bave du bonhomme. Aussitôt, ce dernier s’écria ivre de bonheur : « Par la Vierge Marie, j’ai donné naissance à ane enfant ! J’ai donné naissance à ane enfant ! » Et il rentra chez lui avec saon enfant, se promettant de ne plus jamais boire et d’élever lae bébé aussi décemment que possible.

Lae bébé vint à grandir — il s’agissait d’une fille ; à l’âge de ses vingt ans, elle était si belle que tous les garçons et toutes les filles et toux les garfis du village étaient amoureuxes d’elle. Mais impossible de la voir longtemps : elle ne sortait presque jamais de chez elle. Elle avait toujours peur de salir sa beauté. Elle ne laissait pas un grain de poussière frôler son visage, elle se lavait les mains plusieurs fois par heure, elle pleurait et était assaillie de terribles angoisses dès lors qu’un petit insecte venait se poser sur sa longue chevelure.

Son père lui dit un jour : « Ça suffit, ma fille ! Il te faut maintenant songer à te marier — Mon père, répondait-elle, laissez-moi encore un peu de temps : je ne supporterais pas que quelqu’ane me touche avec les mains sales. »

Les années passèrent, le père de la jeune fille mourut. Cette dernière fut bientôt contrainte de vendre tous les meubles, puis la maison, puis tous ses biens : il ne lui resta à la fin qu’un petit baluchon avec lequel elle partit sur les routes.

Sur son chemin, la jeune fille aperçut des fleurs : elle qui ne sortait jamais de chez elle, elle n’en avait pas vues depuis longtemps. Elle s’arrêta pour en cueillir une. Mais prenant la fleur dans ses mains, elle la déracina si bien qu’elle vit toutes ses racines couvertes de boue et humides : « Pouah ! Que cette fleur est laide et sale par en-dessous. »

Sur son chemin encore, elle entendit chanter une poétesse d’une voix douce et agréable. Elle s’approcha d’elle et lui demanda : « D’où te vient ton inspiration ? » La poétesse lui répondit :

« J’ai vu un crachat par terre qui m’a fait penser aux étoiles, et aux constellations, et au soleil, et à la lune. »

Plus loin, elle rencontra un prêtre qui allait en soutane par les chemins. Elle lui demanda : « Si Diex a créé l’être humain à son image, a-t-al un cul ellui aussi ? Si oui, à quoi lui sert-il ? » Le prêtre s’indigna, et ne voulut pas répondre ; mais une vieille femme qui passait par là, et qui avait tout entendu lui répondit : « Pour sûr, al en a un ! »

La jeune fille pensa : « Je ne me sentirai apaisée que lorsque j’aurai vu le cul de Diex. » Elle marcha, marcha longtemps, et sur son chemin, elle aperçut la pauvreté, la mort, la maladie, la vieillesse, la guerre et la faim ; les années s’écoulèrent.

Elle devint vieille femme elle-même ; elle avait acquis une réputation de sainteté, mais c’était bientôt l’heure pour elle de mourir.

Une jeune femme vint la voir en pleurs une nuit d’hiver : « Maon bébé est mortx ce matin car pauvre comme je suis, je ne pouvais plus l’allaiter. Que peux-tu faire pour lae ressusciter ? » Alors, la vieille femme répondit : « Je ne peux rien faire. »

La jeune femme rentra chez elle effondrée. Et à ce moment-là, la vieille sainte pensa : « Le voilà donc le cul de Diex. » Elle se leva de son lit, se mit en face du crucifix qu’il y avait dans sa chambre et d’un geste provocateur, elle tourna le dos au Crucifié et lui montra son cul.

« Quiconque ne dit pas merde à Diex n’est pas digne d’ellui ! » s’écria-t-elle toute seule dans sa chambre. A partir de ce jour, elle cessa de prier.

Lorsqu’elle mourut, son corps dégagea une odeur si forte et si puante que le prêtre s’exclama : « Ce n’était pas une sainte ! » Et l’une des fidèles de la paroisse de répondre : « Non, ce n’en était pas une. Elle était plus qu’une sainte : elle était un être humain. Et si son cœur pourrit maintenant, c’est parce qu’il a beaucoup battu. »

On la pleura un peu, et les années passant, ses ossements qui ne faisaient pas de miracles, furent jetés dans la fosse commune.

Retour en haut