Il était une fois Eau-tranquille qui vivait chez son père. Elle était si belle qu’on disait d’elle que ses cheveux étaient remplis de soleil levant, et ses yeux tout pleins de ciel d’avril.
Un jour, une étrangère arriva près de la maison d’Eau-tranquille ; elle s’appelait Eau-courante : son vêtement bleu était brodé des vagues de l’océan ; et sa peau était sombre, ses cheveux et ses yeux couleur de nouvelle lune.
Eau-courante s’approcha d’Eau-tranquille et lui dit : « Sais-tu à quel point il est bon de dévaler les rocs et les pentes escarpées dans le gel des montagnes ? » Eau-tranquille, acquiesça de la tête : elle se mit à rêver de montagnes. Alors, Eau-courante ajouta : « Sais-tu à quel point il est bon de courir entre les champs de lavande, en répandant ses rires et ses larmes dans la boue ? » Eau-tranquille acquiesça de la tête : ses yeux distraits étaient devenus tout remplis des lavandes rêvées. Eau- courante dit encore : « Sais-tu à quel point il est bon de se jeter dans la mer, toute nue et toute hésitante pour se fondre en elle ? »
Eau-tranquille dit alors : « Emmène-moi avec toi, et nous dévalerons ensemble les montagnes ; nous passerons à travers les champs de lavande ; nous nous fondrons ensemble dans la mer et nous serons heureuses. »
Eau-courante voulut emmener Eau-tranquille avec elle ; mais le père d’Eau-tranquille refusa : il ne voulait pas qu’Eau-tranquille parte avec une étrangère. Les années passèrent. Eau-tranquille rêva tant du monde et d’Eau-courante que ses eaux atteignirent parfois le ciel, s’évanouissant en nuage ; devenue nuage, elle versait ses larmes de désir dans l’océan, sur les champs de lavande, sur le sommet des montagnes et même sur le corps d’Eau-courante.
C’est ainsi que naquit la pluie.