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Une fleur en enfer

Un jour, ane malheureuxe vit une fleur à ses pieds : « Une fleur en enfer ! pensa-t-iel. Voilà bien quelque chose d’étonnant ! Les flammes et les démonz l’ont-ols donc épargnée ? »

Plus tard, iel entendit un oiseau qui chantait. « Qu’a-t-il à chanter en enfer ? », pensa-t-iel. Et iel décida d’aller interroger l’oiseau : « Pourquoi chantes-tu en enfer ? » L’oiseau ne répondit pas et continua de chanter.

Quelques temps plus tard, lae malheureuxe vit le ciel au-dessus de sa tête. « Nom de nom ! Une fleur, je veux bien… Un oiseau, passe encore ! Mais le ciel, que fait-il en enfer ? »

Iel s’interrogeait ainsi quand iel vit soudain ane enfant passer en jouant et riant. « Impossible que je sois en enfer ! pensa-t-iel. Une fleur, je veux bien. Un oiseau, passe encore ! Et le ciel, cela m’étonne bien, mais après tout, pourquoi pas ? Mais ane enfant qui rit et qui joue en enfer ! cela ne s’est jamais vu. »

Iel continuait ainsi à se creuser la tête quand saon adelphe aînae s’approcha d’ellui : « Grandx nigaudx, qu’as-tu à rêvasser ? va étendre le linge ! et n’oublie pas de laver les toilettes ! c’est ton tour ! »

Alors, l’adelphe cadetx comprit qu’iel était sur terre, nulle part ailleurs. S’iel s’en réjouit ou non, le conte ne le dit pas ; car il s’achève ici.

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Le grain de sable

Il était une fois une divinité toute entière faite de sable. Tout son corps était si fragile que le moindre murmure du vent menaçait de le briser. Un jour, ce qui devait arriver arriva : une bourrasque plus forte que les autres se leva et la divinité de sable fut dispersée, émiettée ; les autres déesses, diez et dieux pleurèrent mais il était trop tard…

L’un des grains de sable, minuscule — c’était un morceau de l’âme de la divinité — fut avalé par un oiseau. L’âme de la divinité entra dans l’oiseau et parcourut les ciels les plus élevés. Et lorsque l’oiseau fienta, l’âme de la divinité était dans les excréments de l’oiseau ; elle parcourut les torrents de boue les plus sales.

Et cette âme qui avait logé dans le ciel et dans la merde un jour se glissa entre les orteils d’une petite fille. La petite fille l’emporta jusque chez elle, le pas plus lourd que d’habitude.

Le soir, elle éprouva de la tristesse, son premier vrai chagrin. Elle dit à ses parentz : « Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? » Elle n’eut pas de réponse convaincante.

Pendant la nuit, la petite fille s’agita tant dans son sommeil que la petite poussière d’âme glissa sous sa peau et remonta dans son sang jusqu’à se loger dans son cœur.

Elle garda cette poussière, ce point noir, ce grain de nuit en elle. A la question « Qu’est-ce qu’il y a après la mort ? », personne n’avait jamais su répondre.

Les années passèrent. La petite fille devint adulte ; et d’adulte, elle devint vieille femme.

Le grain de sable frottait, frottait le cœur de la vieille femme : on disait qu’elle avait un souffle au cœur. Toute sa vie, il était resté là, comme une amertume.

Et il frotta, frotta tant le cœur de la vieille femme qu’un jour, il devint une petite perle.

La vieille femme sentit tout à coup une aurore se lever dans sa poitrine, une lumière de nacre. Ses yeux s’écarquillèrent, elle mourut.

On raconte que la Mort porte un collier de perles, un grand collier de perles, un collier de perles infini ; car chaque dernier instant d’ane mourantx est semblable à une perle de nacre. Ce collier de perles, ce sont les constellations et les étoiles du ciel.

Ce sont peut-être aussi les larmes qui coulent des yeux de celleux qui restent ; les perles se défont une par une, il y a autant de perles dans nos yeux que de mortz derrière notre regard.

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L’homme qui savait tout

Un vieil homme qui avait beaucoup étudié marchait sur un chemin de poussières dans la brume. Il marchait, marchait et son pas était lourd et son front était grave.

Où allait-il ? Le conte ne le dit pas, mais il arriva bientôt à un carrefour. Une vieille sorcière vint vers lui et lui dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieillard répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la vie ? » Le vieil homme répondit : « C’est une épine de rose plantée dans notre talon et qui nous empêche de dormir d’un sommeil divin. »

La sorcière se dissipa dans un brouillard et le vieillard continua son chemin. Sept jours passèrent et il se trouva bientôt à un autre carrefour.

C’est alors qu’une sorcière encore plus vieille que la précédente s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieil homme répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la mort ? » Le vieil homme répondit : « C’est une rose qui se fane avant d’avoir été aimée. »

La sorcière disparut emportée par la nuit. Le vieillard reprit son chemin et sept jours s’écoulèrent.

Au terme de ces sept jours, le vieil homme se trouva bientôt à un autre carrefour tout couvert de brouillard. Il entendit bientôt un pas derrière lui.

C’était une enfant.

L’enfant s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui ne sait rien peut passer ce carrefour. » Le vieil homme dit : « Moi qui sais tout, comment pourrai-je passer ? » L’enfant répondit : « Voyons si tu peux répondre ou non à ma question. – Essaye toujours. »

L’enfant dit alors : « Qu’est-ce qu’une rose ? »

Le vieillard s’effondra les yeux remplis de larmes : « Je n’en sais rien, dit-il. Mes livres ne me l’ont pas appris. »

Le ciel au loin se fit lumière et l’enfant disparut pour laisser passer l’homme ; on ne l’a plus revu depuis.

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Une nuit d’hiver

Une vieille dame voulut un jour se faire un manteau d’ombre. Elle alla voir une couturière et lui dit : « Prends mon ombre, et fais-en un manteau. » Il se trouvait que la couturière en question était un peu fée. Elle arracha l’ombre de la vieille dame, et en fit un somptueux manteau couleur d’ombre.

La vieille dame voulut ensuite des perles de silence pour les nouer autour de son cou. Elle se rendit auprès d’une bijoutière et lui dit : « Prends mon silence, fais-en des perles et enfile-les autour de mon cou. » La bijoutière, magicienne elle aussi, s’exécuta et du silence de la vieille dame, elle fit des perles de silence.

La vieille dame voulut ensuite une écharpe de larmes chaudes pour se protéger de l’hiver. Elle alla voir une tricoteuse, et lui dit : « Prends les larmes chaudes de mes yeux, et tricote-moi une écharpe pour me protéger de l’hiver. » La tricoteuse, qui avait plus d’un tour dans son sac, cueillit les larmes chaudes dans les yeux de la vieille dame et les tricota en une belle écharpe.

La vieille dame rentra chez elle. La Mort était déjà là, assise près d’une cheminée éteinte : elle l’attendait. La vieille dame lui dit : « Je ne suis pas tout à fait prête, j’ai oublié quelque chose. Laisse-moi encore me préparer. » La Mort lui dit : « Tu as oublié le plus important : je te laisse aller t’en occuper. »

La vieille dame se rendit auprès d’une nourrice. Elle lui dit : « Prends l’enfant qu’il y a dans mes yeux, et berce-le cette nuit ; cette nuit-là sera longue : c’est une nuit d’hiver. » La nourrice prit l’enfant et la vieille dame rentra chez elle.

Elle dit à la Mort : « Tu peux m’emmener maintenant. »

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Coquelicots, neige, nuages

Quand vint la saison des coquelicots, Aki en cueillit un et le mit dans ses cheveux, entre l’oreille et le visage.

Il s’en revint au village. On se moqua de lui : « Tu fais comme les filles. Les hommes, ça ne porte pas de fleurs à la tête. — Bien tristes sont les têtes qui ne portent pas de fleurs », répondit Aki.

Et le coquelicot fana. Aki repartit dans les champs pour en cueillir un autre. Mais de nouveau, le coquelicot fana.

Il se désespéra.

La saison des coquelicots passa.

Et lorsque l’hiver vint, Aki voulut construire une maison de neige. Il s’y attela, la maison fut construite.

Le soleil vint, la neige fondit. Et la saison des neiges passa.

Au printemps, ce furent les giboulées. Aki regardait les nuages mais les nuages fuyaient. Les giboulées cessèrent et le printemps passa.

Aki devenu vieux et malade interrogea l’ancienne du village avant de mourir : « Quel était ce coquelicot que j’avais à la tête ? — Le coquelicot que tu avais à la tête, répondit l’ancienne, c’était ton esprit. — Quelle était la maison de neige dans laquelle je voulais m’abriter ? — La maison de neige dans laquelle tu voulais t’abriter, c’était ton corps. — Quel était le nuage que je regardais dans le ciel et que j’aimais plus que tout ? — C’était ta vie. »

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