Le sel du regard

Lorsque les animaux et l’humane apparurent sur la terre, Diex leur dit : « De tout, il vous est permis de manger mais ne goûtez pas au noir des épis : ce sont des flèches trempées de venin que Lucifer a tirées sur la terre ; si vous les mangiez, alors vous prendriez ma place. »

A peine les animaux et l’humane eurent-iels entendu cela qu’iels n’eurent plus qu’une seule idée en tête : manger le noir des épis.

Et Diex qui le savait décida de leur tourner le dos.

Alors, chacun des animaux, et l’humane aussi, en profita pour cueillir un épi : iels mangèrent sa partie la plus sombre et furent alors brûlaes de part en part.

Dans leurs yeux, ce fut du sang et dans leur cœur un feu ardent. Diex dit alors : « Puisque vous m’avez désobéi, vous n’avez plus besoin de moi ; je vais me laisser mourir de faim et vous prendrez ma place. »

Les animaux et l’humane supplièrent Diex de rester avec elleux dans cette nuit insupportable, tout ébranlaes, tout ébrûlaes par leur malheur ; mais Diex encore une fois leur tourna le dos : quarante jours passèrent, Diex se laissa mourir de faim et la terre fut sans lumière.

Pendant ce temps, à cause du noir des épis, les animaux et l’humane ne cessaient d’avoir des visions de toutes sortes, toutes plus terribles les unes que les autres ; et c’est ainsi que la laideur, la maladie, la mort et la pourriture apparurent sur la terre ; car toutes leurs visions devenaient créations, à elleux qui avaient pris la place de Diex.

Iels supplièrent : « Diex, Diex, reviens ! » Mais Diex était mortx depuis longtemps.

Alors, iels l’insultèrent : « Pourquoi n’es-tu plus là, salaudx ? » Diex ne répondit pas.

Iels pensèrent toux à se laisser mourir de faim à leur tour, mais au bout de trente-neuf jours de jeûne, un serpent s’écria : « A-t-on vraiment besoin de Diex pour être heureuxes ? – Bien sûr, répondirent les autres animaux, regarde comme le monde est laid sans présence divine ! »

Le serpent dit alors : « Il y a un feu de rage qui brûle, brille dans nos corps. Pourquoi ne pas s’en servir pour enluminer le monde ? »

L’araignée à ces mots tissa sa toile et l’abeille créa une maison de lumière ; le scarabée fit une sphère parfaite de la merde du monde ; le castor arrêta les pleurs des rivières ; les oiseaux bercèrent les fleurs, nouvelle-nées du printemps ; et l’humane, l’humane ellui qui n’avait rien à faire, s’émerveilla de tout cela.

Et l’on raconte que si l’on pleure parfois d’émerveillement ou d’éblouissement, c’est parce que nos larmes sont le souvenir salé de cette époque où la terre entière a failli mourir de faim par désespoir de ne jamais connaître la beauté.

Sans cette trace de sel dans nos yeux, pourrait-on goûter la saveur du monde ?

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