Un vieil ermite vivait dans une caverne au fond du désert aride de sable et de rochers. Il priait chaque jour et dans ses prières il soupirait : « Ah ! Si je pouvais aimer l’humanité toute entière, si je pouvais étendre mon amour à toux ! »
Or, cet ermite avait le cœur sec ; il avait beau prier, prier, et même se mortifier, il était assailli de tentations démoniaques et de visions si hideuses qu’il avait pensé mille fois à se coudre les paupières et à se remplir les oreilles de sable pour ne plus rien entendre ni voir.
Un jour, ce fut lae diable en personne qui le visita. Ol lui dit : « Sors donc de ta caverne, ermite, tu ne réussiras à rien si tu restes cloîtré ici : même à l’amour tu n’auras pas droit. » L’ermite ne voulut rien entendre ; alors, ce fut Diex ellui-même qui lui apparut : « Arrête donc de me prier ; je n’en dors plus à force de t’entendre gémir ! Regarde comme tu es malpropre, comme tu sens fort ! Et tu t’étonnes qu’aucun ange ne veuille te visiter ! Ne sais-tu pas que le péché a lui-même son utilité ? »
L’ermite ne voulut encore une fois rien entendre. Quarante années passèrent au terme desquelles il eut tout à coup une envie violente de manger de la confiture de figue : « Je donnerai tout, s’écria-t-il, pour manger de la confiture de figue ! »
Il se leva donc de sa caverne poussiéreuse et marcha péniblement dans le désert. Il marcha, marcha, les jambes frêles, le cœur assoiffé et manqua d’y laisser la vie. Il arriva bientôt dans une ville aux portes du désert. La foule bruyante le pressait de toutes parts, il marchait les yeux baissés sans regarder autour de lui ; enfin, il se trouva au détour d’une ruelle devant une boutique d’où s’échappait une odeur de confiture de figue.
« Nous y voilà ! » s’exclama-t-il. Il entra dans la boutique, un vieil homme l’accueillit : « Te voilà revenu, mon amour. » L’ancien ermite leva les yeux ; il reconnut le visage de son amant.
Son cœur ne fut plus jamais sec et l’amour y coula comme une eau fraîche ; l’amour sans son visage n’est que mensonge.