Le sanctuaire

En haut d’une montagne se trouvait un sanctuaire aux portes d’or et de pierres précieuses. Mais on racontait qu’un dieu avait interdit qu’on entre dans ce sanctuaire sous peine de faire régner le chaos parmi les humanes : « Si vous franchissez les portes de ce sanctuaire, il n’y aura plus d’ordre sur la terre ; il n’y aura plus de divinités dans le ciel » avait-il murmuré à l’oreille des vivantz d’autrefois sous la forme d’une brise légère.

Deux grands sages avaient pour mission de garder le sanctuaire.

Un jour, une peste terrible ravagea le royaume dans lequel se trouvait la montagne. Le roi, sa famille et sa cour partirent s’abriter dans un autre pays.

Dans le village voisin de la montagne, qui venait d’être atteint par la peste à son tour, un conseil se tint. Après de nombreuses délibérations, il fut décidé d’aller s’abriter dans le sanctuaire en haut de la montagne ; seuls le chef du village et les prêtres s’y opposèrent, mais le peuple étant plus nombreux, on n’écouta guère leur avis.

« Doit-on y aller ensemble, se demandèrent-iels, ou faut-il envoyer ane éclairaire, ane représentantx veillant sur nos intérêts dans le sanctuaire en premier ? »

Une jeune bergère au cœur pur et courageux se présenta : « J’irai, dit-elle, dussé-je affronter seule la colère des dieux. »

On la désigna donc. Et la jeune fille s’éleva en haut de la montagne, armée d’un sabre. Quand elle fut arrivée en haut, le premier sage chargé de garder le sanctuaire se présenta à elle une épée à la main ; la jeune fille lui trancha la tête.

Le second sage alors d’une démarche courbe s’approcha d’elle : « Sais-tu bien ce que tu t’apprêtes à faire ? lui demanda-t-il. – Oui, et si je le fais, c’est pour le bien de mon peuple. – Pourquoi donc ? Le peuple souffre-t-il ? demanda le sage qui ignorait ce qui se passait en bas. – La peste ravage mon pays. – Qu’importe ? répondit le sage, puisque le bonheur ne dépend que de ce qu’il y a l’intérieur de nous, non pas de ce qui nous ronge de l’extérieur. »

La jeune fille hésita et ne sut que répondre.

Le sage poursuivit : « Si tu es bergère, c’est parce que tu n’as pas assez travaillé sur toi-même pour te hisser plus haut que ta condition. »

La jeune fille se tut encore.

Le sage dit alors : « Mais c’est peut-être aussi parce que cette épreuve est une occasion pour ton âme de grandir ; si tu abandonnes ton projet, je prierai pour toi. »

A ces mots la jeune fille le menaça de son sabre et lui dit : « Laisse-moi passer, je ne veux pas de ta sagesse. »

Le sage se voyant menacé jura par toutes les divinités et s’enfuit en courant.

Alors, la jeune fille pénétra dans le sanctuaire. A l’intérieur se trouvait une fleur de feu et un oiseau qui parle. L’oiseau dit : « Cette fleur de feu a le pouvoir de guérir ton peuple ; mais elle doit être cueillie à plus de deux mains. Si tu la cueillais seule, quel malheur arriverait ! »

La jeune fille n’écouta pas l’oiseau et cueillit la fleur. Alors, le sanctuaire se transforma en un magnifique palais rempli de servantes, de serviteurs, d’esclaves. La jeune fille voulut dans un premier temps rapporter la fleur dans son village, mais une brume lui alourdit les paupières.

Elle se coucha dans le palais et se fit servir.

Elle ordonna aussi à deux sages de surveiller le palais qui avait gardé de l’extérieur une apparence de sanctuaire ; elle arma l’un d’un glaive, et l’autre d’un livre de théologie.

Les jours s’écoulèrent et le conseil du village ne la voyant pas revenir, décida d’envoyer le plus pauvre des mendiantz du village en haut de la montagne, dans le sanctuaire. Il avait le cœur simple et généreux, et pour cette raison on l’avait choisi.

On l’arma d’un glaive et il se hissa sur les hauteurs. Le premier sage vint vers lui, armé d’une épée, et le jeune homme lui trancha la tête.

Le second sage armé de belles paroles lui dit : « Regarde en toi-même le mal plutôt que d’user de violence envers autrui. »

Le jeune homme hésita.

Le sage poursuivit : « Si tu veux changer le monde, change-toi toi-même. »

Le jeune homme s’apprêtait à laisser tomber son glaive, quand le sage lui dit encore : « Ne sais-tu pas qu’accepter l’adversité fera de toi le meilleur des hommes ? »

Le jeune homme alors le menaça de son glaive : « Je ne veux pas de tes mensonges, laisse-moi passer si tu ne veux pas mourir. »

Le sage à ces mots s’enfuit à toute allure.

Le jeune homme entra alors dans le sanctuaire et y vit une fleur de feu et un oiseau qui parle. L’oiseau lui dit : « Cette fleur de feu a le pouvoir de guérir ton peuple ; mais elle doit être cueillie à plus de deux mains. Si tu la cueillais seul, quel malheur arriverait ! »

Le jeune homme n’écouta pas son conseil et il se passa la même chose qu’avec la jeune fille devenue reine dont il prit la place en tant que roi.

Deux sages furent de nouveau postés devant le palais qui avait l’apparence d’un sanctuaire.

Les jours s’écoulèrent et le village s’inquiéta de ne pas avoir de nouvelles du garçon : « Il ne nous reste plus assez de temps pour survivre si nous ne nous abritons pas toux ensemble dans ce sanctuaire. »

Alors, femmes, lummes, hommes de bonne volonté et enfants se hissèrent au sommet de la montagne. On désarma le premier sage, on fit taire le second.

Tout le monde pénétra dans le sanctuaire en même temps. Tout le monde aperçut en même temps la fleur de feu et l’oiseau qui parle. Tout le monde entendit en même temps ces mots : « Cette fleur a le pouvoir de toux vous sauver ; cueillez-la ensemble et vous serez délivraes de tous les malheurs du monde, excepté ceux contre lequel l’être humain n’a aucun remède. »

Les gens du village cueillirent ensemble la fleur de feu. Une grande lumière se fit et malgré la mort que nulx ne peut chasser, le bonheur régna sur toute la terre.

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Mélimalmiel

Il était une fois un peuple qui ne voulait plus obéir aux puissantz. Un saint homme vint rendre visite aux gens de ce peuple et dit aux prêtres : « C’est lae démonx Mélimalmiel qui s’est emparae des gens de ce peuple. Je l’ai faitx sortir de leur corps et je vais lae mettre dans une jarre. Si quelqu’ane ouvre la jarre, lae démonx sortira et ayant gagné en puissance, ol fera surgir le malheur dans le monde entier. »

Le saint homme fit ce qu’il avait dit : il mit lae démonx dans une jarre et en referma le couvercle. Il ordonna ensuite qu’on enterre la jarre.

Les années, les siècles, les millénaires s’écoulèrent. Or, à l’endroit où la jarre était enterrée, la terre ne cessait de trembler et de tressaillir.

Un jour, ane jeune lumme par curiosité décida de creuser. Iel prit une pelle, creusa, creusa, creusa, et iel trouva la jarre. A peine l’eût-iel entre les mains qu’iel voulut l’ouvrir : alors une fumée jaillit et au milieu d’elle ane horrible démonx.

« Qui es-tu ? demanda lae jeune lumme nullement intimidae. – Je suis l’injustice, l’iniquité, la cruauté et le malheur du monde. – Laisse-moi une chance pour réparer mon erreur, dit encore lae jeune lumme. – Très bien, réponds à mon énigme, dit alors lae démonx.

Une chaîne dans une chaîne,

et une plaine de brume et de peines,

que tu ne voudrais jamais quitter.

Qui suis-je? »

Lae jeune lumme répondit immédiatement : « Je suis la vie. – Tu as répondu faux. Je m’en vais hanter les mortelz. – Laisse-moi encore une chance, dit alors lae jeune lumme. – D’accord, répondit lae démonx. Voici une autre énigme :

Un lien dans un lien,

qui te tient, te retient,

et qui te fait dire “C’est le mien, c’est le tien.

Qui suis-je ? »

Lae jeune lumme répondit alors : « Je suis la conscience de soi. – Tu as tout faux. Maintenant laisse-moi accomplir mon travail. – Laisse-moi une dernière chance, dit alors lae jeune lumme. – Ce sera la dernière, répondit lae démonx. Voici l’énigme la plus difficile :

Un fil dans un fil,

et un péril qui semble sans péril,

l’habile comme lae malhabile s’y fait piéger.

Qui suis-je ? »

Lae jeune lumme répondit alors : « Je suis l’amour. – Tu as encore répondu faux. Maintenant, je vais me rendre parmi les humanes et accomplir mon devoir. J’ai été prisonnierx trop longtemps de cette jarre et je veux maintenant ma liberté. »

Lae jeune lumme s’écria avant que lae démonx ne s’envole : « Démonx, j’ai trouvé la réponse à tes trois énigmes. – Dis toujours. – La réponse aux trois énigmes est : la servitude. »

Iel ajouta encore : « Maintenant, je te laisserai aller parmi les humanes, car j’ai compris qui tu étais : tu n’es ni l’injustice, ni l’iniquité, ni la cruauté, ni le malheur du monde. – Qui suis-je alors ? – Ane éveillae, ane éveillaire, cellui qui montre l’injustice, l’iniquité, la cruauté et le malheur du monde, rien de plus. »

Lae démonx s’envola avec un sourire de malice et lae jeune lumme repartit le front lourd.

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Une leçon d’ogresse

Il était une fois une méchante ogresse d’une laideur à faire trembler. Si laide que mieux valait ne pas la regarder trop longtemps ; et gare à cellui qui respirait son haleine ! Quant à ses mœurs, on ne pouvait faire à ce qu’on disait, plus relâché ; elle mangeait et buvait comme un trou, et racontait-on, elle vivait avec douze vieillards chez elle, qui étaient ses fidèles serviteurs. Elle était d’après les rumeurs, à la fois avare et prodigue ; pingre quand il s’agissait de donner à l’indigentx ; prodigue quand il s’agissait de s’adonner à la jouissance. Elle vivait au milieu de la forêt ; et nul n’osait s’aventurer chez elle.

Or, il se trouva qu’un jour, une jeune fille vint frapper à sa porte.

« Que me veux-tu ? lui demanda l’ogresse d’une voix terrible, en ouvrant la porte. — Ogresse, lui répondit la jeune fille, je viens ici car tout le monde me trouve niaise chez moi. Ma mère m’a chassée de ma maison, et je ne sais comment faire pour y revenir ; car on me trouve si bête que plus personne ne veut de moi nulle part. »

L’ogresse lui demanda : « Sais-tu combien il y a d’oiseaux dans le ciel ? — Je ne sais pas, ogresse. Peut-être dix, peut-être mille : je ne les ai pas comptés ! — Pourquoi te dit-on idiote ? Tu n’es pas plus idiote qu’une autre. Une idiote aurait essayé de répondre. Mais voici une autre question : combien penses-tu que j’ai d’orteils ? — Dix, répondit la jeune fille. — Effectivement, j’en ai dix. Maintenant, je suis convaincue que tu n’es pas aussi bête qu’on le prétend. Une idiote aurait cru que je lui tendais un piège avec ma question et aurait répondu à côté. — Veux-tu bien m’apprendre d’où te vient tant de savoir, ogresse ? demanda la jeune fille. — Pas tout de suite, répondit l’ogresse. Je vais d’abord t’embaucher pour que tu travailles chez moi ; si tu réussis à bien me servir comme je le veux, je te transmettrai un peu de ma sagesse, qui est réputée dans le monde entier. Si tu échoues, je te mangerai. »

La jeune fille accepta et entra dans la maison de l’ogresse. Cette dernière lui dit : « Désormais, je vais te demander de prendre ce balai et de balayer le brouillard qu’il y a devant la maison jusqu’à ce qu’il parte ; quand tu auras fini cela, tu devras coudre des toiles d’araignée, et préparer le repas. C’est tout ce que je te demande. » A ces mots, l’ogresse partit de la maison en claquant la porte.

La jeune fille se reposa toute la journée et le soir venu, peu avant que revienne l’ogresse, elle prépara à manger avec entrain. A son retour, l’ogresse lui demanda : « As-tu bien fait tout ce que je t’ai dit de faire ? — Oui, répondit la jeune fille. Le brouillard n’est plus là. Quant aux toiles d’araignée, en voici partout dans les coins de ta maison. — Tu te moques de moi, lui répondit l’ogresse. Le brouillard n’est plus là, car le beau temps est revenu, et non pas parce que tu l’as balayé. Quant aux toiles d’araignée, elles étaient là partout dans la maison avant même que je parte. Si demain tu ne fais pas ce que je t’ai demandé, je te mangerai. »

Quand elle eut dit cela, l’ogresse s’empiffra et mangea une quantité de nourriture qui aurait pu rassasier dix personnes vigoureuses. Elle but également beaucoup d’eau-de-vie, puis partit se coucher dans une pièce reculée de la maison.

Le lendemain matin, l’ogresse partit de bonne heure. La jeune fille encore une fois se reposa toute la journée, et le soir venu, elle prépara à manger pour l’ogresse. Quand celle-ci fut de retour, elle l’interrogea : « As-tu bien fait tout ce que je t’ai demandé de faire ? — Non, répondit la jeune fille. Ce que tu m’as demandé de faire était inutile : le soleil a dissipé le brouillard ; quant aux toiles d’araignée, elles sont déjà nombreuses. Mieux vaudrait les enlever que d’en ajouter de nouvelles ! — Décidément, répondit l’ogresse, tu es plus idiote que ce que j’avais présumé au début. C’est par pitié pour ton idiotie que je ne te mange pas tout de suite. Mais demain, je serai sans pitié ; si tu ne fais pas ce que je t’ai demandé de faire, je te mangerai ! »

L’ogresse mangea ce soir-là comme vingt personnes en bonne santé puis quand elle fut rassasiée, elle partit ronfler dans sa chambre.

Le lendemain matin, la jeune fille décida de quitter la maison de l’ogresse : « Qu’a-t-elle à m’apprendre que je ne sache déjà ? pensa-t-elle. On ne balaye pas le brouillard, on ne coud pas de toiles d’araignée, encore moins quand il y en a déjà dans la maison. Si je reste encore ici aujourd’hui, je me ferai dévorer toute crue. »

La jeune fille quitta donc la maison de l’ogresse. Sur le chemin qui devait la conduire jusqu’au village, elle croisa justement l’ogresse, l’air mécontent : « Que fais-tu ? demanda l’ogresse. Ne t’avais-je pas demandé de balayer le brouillard, de coudre des toiles d’araignée et de préparer le repas ? — Ogresse, dit la jeune fille, tu m’as appris une chose essentielle qui me servira toute ma vie : j’ai appris qu’il faut partir d’une maison où il y a une ogresse qui veut nous dévorer si on ne balaye pas le brouillard et si on ne coud pas de toiles d’araignée. Désormais, je ne serai plus jamais niaise, je te le promets. »

L’ogresse eut un grand éclat de rire et les deux femmes se quittèrent.

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Les conseils

Un jeune homme consacrait tous ses efforts à l’étude de la religion ; il s’était donné pour but de devenir un parfait croyant. Un jour, il se rendit auprès d’un sage et lui demanda : « Que dois-je faire pour devenir l’homme le plus vertueux du monde ? » Le sage lui répondit : « Quoi de plus simple ? maltraite ton corps, dors à même le sol et mange du pain sec tous les jours. Puis, invite les pauvres chez toi. » Le jeune homme s’exécuta les jours, les semaines, les mois suivants : il devint maigre comme un clou.

Il invitait les pauvres chez lui, mais ces dernierz riaient : « On ne veut pas de ton pain sec ! Tu vis comme un chien, et tu veux faire l’aumône ! »

Le jeune homme dépité s’en revint voir le sage. Ce dernier dit au jeune homme : « Tu as parfaitement bien agi. Mais je sens de la colère en toi ; flagelle-toi chaque fois que tu éprouveras des sentiments impurs : ainsi tu atteindras la plus haute vertu. »

Le jeune homme fit ce que le sage lui avait dit. Or, il éprouvait de la colère si souvent que son corps devint bientôt tout rouge de sang, tout meurtri et tout endolori. Il s’en revint voir le sage, qui lui dit :

« Je vois que tu as bien appliqué mes conseils. Le seul défaut que je vois chez toi, c’est que tu n’agis pas avec ton cœur malheureusement, mais seulement pour t’enorgueillir. — Que faire alors ? demanda le jeune homme. — Le mal est inexpugnable, tant que tu resteras toi-même. Il faut donc que tu cesses entièrement d’exister. — Et comment m’y prendre ? demanda le jeune homme. — Chaque fois que te viendra la pensée : “Je veux faire ceci ”, fais l’inverse », dit le sage. Par exemple, s’il te vient la pensée : “Je veux danser”, reste immobile ; ou si tu penses “Je veux être au chaud”, plonge-toi dans un lac gelé. Et souviens-toi toujours que tu es le pire des fils de chien, que tu ne mérites même pas de respirer, que tu es un trou rempli d’ordures. »

Le jeune homme rentra chez lui. Il était en colère, il pensa à mettre fin à ses jours.

Finalement, il prit l’argent qu’il lui restait et fit un délicieux festin. Ensuite, il se remit à dormir dans son lit. Puis, le lendemain matin, il pansa son corps et le parfuma ; il mit de beaux vêtements et sortit dans la rue.

Les gens lui dirent : « Que t’est-il arrivé ? Le sage ne t’avait-il pas dit de faire l’inverse ? » Le jeune homme répondit : « Il faut désobéir aux conseils idiots et dangereux. La désobéissance est une vertu, peut-être la plus belle et la plus précieuse d’entre toutes. »

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Le poing levé

Un jour, on demanda à une théologienne noire ce qu’était la foi. Et cette dernière répondit :

« Une femme fut saisie par une cohorte d’horribles démonz et jetée dans un lac de feu. Au moment où elle s’apprêtait à être engloutie, elle leva son poing vers le ciel.

Le poing continua à flotter à la surface du lac. On raconte même que lorsque le ciel menace de s’effondrer, ce poing le soutient encore. »

On lui demanda alors le sens de cette anecdote. Et la théologienne dit : « Ce poing levé, c’est la foi. La foi a toujours dit non. »

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