Il arriva qu’un jour une vieille femme prétendit connaître la face cachée de la lune : « Je l’ai vue, de mes propres yeux vue ! et je m’y suis même rendue ! » criait-elle. « A quoi ressemble-t-elle ? » lui demanda-t-on. Et la vieille femme répondit : « Aucun mot ne peut la décrire. Mais je vais m’exprimer par métaphores : le lait y abonde, et le miel sauvage y coule ; ses palais sont d’ivoire et ses arbres de pierres précieuses ; neuf soleils brillent dans son ciel ainsi que sept petites lunes de toutes les couleurs. »
Aussitôt, toutes les jeunes personnes du village brûlèrent d’envie de connaître la face cachée de la lune ; elles quittèrent le village pour marcher jusqu’à elle.
L’une d’entre elles quelques mois plus tard revint au village et dit : « Je suis allée sur la lune ! Croyez-moi, je n’ai jamais rien vu de pareil : la face cachée de la lune est si belle que les mots humains sont insuffisants pour en parler. Je vais néanmoins m’exprimer par métaphores : la face cachée de la lune est un immense jardin, où des fontaines murmurent des paroles vraies à longueur de journée, à longueur de nuit ; ses arbres ont des branches qui ressemblent à des enluminures et l’on peut lire dans leurs méandres toutes les Écritures sacrées. La lune est belle comme les cheveux blancs d’une vieille femme qui porte dans son cœur toute la sagesse du monde. »
Aussitôt que la jeune personne eut terminé de parler, la vieille femme qui avait parlé de la lune s’exclama : « Engeance de vipère ! Ne sais-tu pas que la lune est inatteignable ? Comment oses-tu en parler alors que personne, non personne, n’a jamais vu la face cachée de la lune ? »
Les villageoix dirent à la vieille femme : « Mais alors toi aussi, tu as menti ? » La vieille femme répondit : « Non, je n’ai pas menti : pour qui me prenez-vous ? » Les villageoix incrédules insistèrent : « Alors, pourquoi prétends-tu que la lune est inatteignable ? » La vieille femme répondit : « Je sais qu’il est dans la nature de la lune d’être inatteignable : or, qui peut connaître la nature de la lune ? Ne sont-ce pas celleux qui la connaissent et qui s’y sont déjà renduz ? »