je suis (dit la parole)
je suis
la parole
de douleur
défaite
repliée comme un drapeau
vierge
une cargaison de flingues
au fond
des mers
après une bataille
qui n’a pas eu lieu
personne chez moi
n’attend
après
moi
ni
non plus (ajoute-t-elle)
après ma mort
je suis (dit la parole)
je suis la parole
de douleur
et les vaincues ont bien des mots
(avons-nous dit)
mais nous
les invisibles
quel mot peut se souvenir
d’avoir pleuré
avec nous
quand dans l’ombre
nous n’avions presque que des impasses
en guise de
pourquoi
quel bras de mère
de père
d’amie
ou de maison hospitalière
dort sans étreindre
encore un peu
et moi
la mère du monde (dit le silence)
quand il me réveillait par ses cris
ne l’ai-je pas assez
consolé
ma bouche n’est-elle pas assez chaude
dites-moi
ma voix n’est-elle pas assez sûre
et mes douleurs ne sont-elles pas
assez
vraies
comme l’amour seul le peut
pour qu’un mot
vienne en moi
juste une seule fois
m’attendrir
demander crier pleurer attendre
attendre
dire
j’ai nourri les bouches les trous
les amours
les derniers yeux des mortes
les peurs
la chambre dans le noir
l’attente
(disait le mot peut-être)
et même l’espérance
mais il y a sur cette terre écorchée vive
des océans de nuit
où ma voix
tombe
tombe à jamais
et au fond de cette eau rêveuse
sur le sable sans fond
le temps
d’hésiter
ne peut pas s’allonger
sans disparaître