Nom de l’auteur/autrice :sykorax

L’homme qui savait tout

Un vieil homme qui avait beaucoup étudié marchait sur un chemin de poussières dans la brume. Il marchait, marchait et son pas était lourd et son front était grave.

Où allait-il ? Le conte ne le dit pas, mais il arriva bientôt à un carrefour. Une vieille sorcière vint vers lui et lui dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieillard répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la vie ? » Le vieil homme répondit : « C’est une épine de rose plantée dans notre talon et qui nous empêche de dormir d’un sommeil divin. »

La sorcière se dissipa dans un brouillard et le vieillard continua son chemin. Sept jours passèrent et il se trouva bientôt à un autre carrefour.

C’est alors qu’une sorcière encore plus vieille que la précédente s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui sait toutes choses peut passer ce carrefour. » Le vieil homme répondit : « Je sais tout. »

La sorcière lui demanda : « Qu’est-ce que la mort ? » Le vieil homme répondit : « C’est une rose qui se fane avant d’avoir été aimée. »

La sorcière disparut emportée par la nuit. Le vieillard reprit son chemin et sept jours s’écoulèrent.

Au terme de ces sept jours, le vieil homme se trouva bientôt à un autre carrefour tout couvert de brouillard. Il entendit bientôt un pas derrière lui.

C’était une enfant.

L’enfant s’approcha de lui et dit : « Seulx cellui qui ne sait rien peut passer ce carrefour. » Le vieil homme dit : « Moi qui sais tout, comment pourrai-je passer ? » L’enfant répondit : « Voyons si tu peux répondre ou non à ma question. – Essaye toujours. »

L’enfant dit alors : « Qu’est-ce qu’une rose ? »

Le vieillard s’effondra les yeux remplis de larmes : « Je n’en sais rien, dit-il. Mes livres ne me l’ont pas appris. »

Le ciel au loin se fit lumière et l’enfant disparut pour laisser passer l’homme ; on ne l’a plus revu depuis.

contes

Une nuit d’hiver

Une vieille dame voulut un jour se faire un manteau d’ombre. Elle alla voir une couturière et lui dit : « Prends mon ombre, et fais-en un manteau. » Il se trouvait que la couturière en question était un peu fée. Elle arracha l’ombre de la vieille dame, et en fit un somptueux manteau couleur d’ombre.

La vieille dame voulut ensuite des perles de silence pour les nouer autour de son cou. Elle se rendit auprès d’une bijoutière et lui dit : « Prends mon silence, fais-en des perles et enfile-les autour de mon cou. » La bijoutière, magicienne elle aussi, s’exécuta et du silence de la vieille dame, elle fit des perles de silence.

La vieille dame voulut ensuite une écharpe de larmes chaudes pour se protéger de l’hiver. Elle alla voir une tricoteuse, et lui dit : « Prends les larmes chaudes de mes yeux, et tricote-moi une écharpe pour me protéger de l’hiver. » La tricoteuse, qui avait plus d’un tour dans son sac, cueillit les larmes chaudes dans les yeux de la vieille dame et les tricota en une belle écharpe.

La vieille dame rentra chez elle. La Mort était déjà là, assise près d’une cheminée éteinte : elle l’attendait. La vieille dame lui dit : « Je ne suis pas tout à fait prête, j’ai oublié quelque chose. Laisse-moi encore me préparer. » La Mort lui dit : « Tu as oublié le plus important : je te laisse aller t’en occuper. »

La vieille dame se rendit auprès d’une nourrice. Elle lui dit : « Prends l’enfant qu’il y a dans mes yeux, et berce-le cette nuit ; cette nuit-là sera longue : c’est une nuit d’hiver. » La nourrice prit l’enfant et la vieille dame rentra chez elle.

Elle dit à la Mort : « Tu peux m’emmener maintenant. »

contes

Coquelicots, neige, nuages

Quand vint la saison des coquelicots, Aki en cueillit un et le mit dans ses cheveux, entre l’oreille et le visage.

Il s’en revint au village. On se moqua de lui : « Tu fais comme les filles. Les hommes, ça ne porte pas de fleurs à la tête. — Bien tristes sont les têtes qui ne portent pas de fleurs », répondit Aki.

Et le coquelicot fana. Aki repartit dans les champs pour en cueillir un autre. Mais de nouveau, le coquelicot fana.

Il se désespéra.

La saison des coquelicots passa.

Et lorsque l’hiver vint, Aki voulut construire une maison de neige. Il s’y attela, la maison fut construite.

Le soleil vint, la neige fondit. Et la saison des neiges passa.

Au printemps, ce furent les giboulées. Aki regardait les nuages mais les nuages fuyaient. Les giboulées cessèrent et le printemps passa.

Aki devenu vieux et malade interrogea l’ancienne du village avant de mourir : « Quel était ce coquelicot que j’avais à la tête ? — Le coquelicot que tu avais à la tête, répondit l’ancienne, c’était ton esprit. — Quelle était la maison de neige dans laquelle je voulais m’abriter ? — La maison de neige dans laquelle tu voulais t’abriter, c’était ton corps. — Quel était le nuage que je regardais dans le ciel et que j’aimais plus que tout ? — C’était ta vie. »

contes

La jarre d’eau

Un jour, une femme dit à une autre : « J’ai attrapé la lune, et l’ai mise dans une jarre qui se trouve dans la cour de ma maison. » L’autre femme demanda à voir la lune capturée. Alors, la première femme fit venir l’autre dans la cour de sa maison, pendant la nuit, et lui montra la jarre : elle était remplie d’eau et on y voyait danser dans les courants d’air, un reflet de lune. Alors, l’autre femme dit : « Je vais emporter cette jarre chez moi. » Elle prit la jarre, la porta sur sa tête, mais quand elle la posa chez elle, dans son jardin, il n’y avait plus de lune.

Le lendemain matin, elle se leva de bonne heure, au moment de l’aurore, et vit dans la jarre des nuages couleur or : elle voulut faire cadeau de ces nuages à son amie, et décida de les emporter chez elle. Elle posa donc la jarre sur sa tête, mais quand elle fut chez son amie, et quand elle eut posé la jarre dans la cour de sa maison, elle se rendit compte que les nuages couleur or avaient disparu. A la place des nuages se reflétait dans la jarre un ciel tout bleu. Son amie lui dit : « Voici que tu me donnes un ciel tout bleu en échange de la lune que je t’ai donnée hier ! »

Et la femme qui la veille s’était vantée d’avoir capturé la lune, le lendemain matin, retourna voir la jarre dans la cour de sa maison pour y retrouver le ciel bleu. Mais elle vit alors dans la jarre une brume claire et grise. « Comme cette brume est belle ! pensa-t-elle. Je vais en faire cadeau à mon amie en échange du ciel bleu qu’elle m’a donné hier. » Elle se rendit chez son amie, avec la jarre d’eau sur la tête, la posa sur le sol mais la brume grise avait disparu ; il pleuvait désormais, il y avait aussi de l’orage et des cercles d’eau se dessinaient dans la jarre remplie d’eau. L’amie fut si heureuse de recevoir ces cercles d’eau qu’elle offrit le lendemain à l’autre femme une jarre remplie de soleil.

Et tous les jours, elles continuèrent de se renvoyer la jarre l’une à l’autre ; et chaque jour, la jarre avait un visage différent ; les deux femmes vieillirent, mais le ciel qu’elles portaient sur leur tête ne prit jamais une ride.

contes

Quel corps avec quelle tête ?

Il était une fois une princesse si belle que son visage ressemblait à un miroir poli tendu vers le soleil, du moins était-ce comme cela qu’on la voyait ; et ainsi, on l’appelait « la princesse du soleil. »

Un jour, son père voulut la marier.

« Me marier ? dit-elle. Mon père, je le veux bien mais à une condition. — Une condition ? dit son père. Laquelle ma fille ? »

La princesse dessina alors deux têtes de cheval et deux corps de cheval séparés les uns des autres ; l’une des têtes était blanche, l’autre tachetée ; l’un des corps était blanc, l’autre tacheté de la même manière. Elle dit : « Que les prétendants viennent ! Celui qui pourra assembler convenablement les têtes et les corps que j’ai dessinés, celui-là sera mon époux. »

Les prétendants vinrent. Ils se présentaient un par un. Tous disaient : « La tête tachetée va avec le corps tacheté ; la tête blanche va avec le corps blanc », ce à quoi la princesse répondait : « Faux ! Faux ! Vous avez tout faux : vous n’êtes pas dignes de moi. »

Vint à se présenter un jour au palais une reine ; elle se disait maîtresse du royaume de la nuit.

Elle se rendit auprès de la princesse du soleil et lui dit : « La tête tachetée va avec le corps blanc ; la tête blanche va avec le corps tacheté ; la tête ne s’accorde jamais au corps, ni l’esprit à ce qui le soutient, ni la logique au monde. »

Et la princesse du soleil dit : « Tu as dit vrai. C’est toi qui seras ma femme. » Le roi son père s’indigna : « Une princesse avec une reine, cela ne s’est jamais vu. — Cela existe pourtant, répondit sa fille, puisque les chevaux avec un corps blanc et une tête tachetée existent. »

Et les prétendants indignés dirent : « Comment pouvions-nous deviner la réponse de l’énigme ? La raison commandait le contraire. Quant aux analogies de ta prétendante, on pourrait bien les retourner et dire l’inverse : que chez l’homme de bien, la tête s’accorde au corps, l’esprit à ce qui le soutient ; et que dans la pensée droite, la logique s’accorde au monde. — Peu m’importent vos raisonnements ! répondit la princesse. Vous m’avez crue assez idiote, transparente et simple pour être incapable d’imaginer cette réalité plus obscure : que les chevaux à tête tachetée et à corps blanc existent ! L’intelligence ne tient pas dans les raisonnements, mais dans notre capacité à voir cette intelligence rayonner chez celleux qu’on aime. — Nous te croyions intelligente ! lui répondirent les prétendants. Nous voyons maintenant que tu as l’esprit subtil et tordu. — Eh bien, dit la princesse, vous ne me méritez pas si vous ne vous attendez pas à être surpris par moi. Ne seriez-vous pas des prétendants ennuyés mariés à une princesse ennuyeuse si j’avais bel et bien dit : “ La tête blanche va avec le corps blanc ; la tête tachetée avec le corps tacheté ?” », ce à quoi les prétendants furent bien obligés d’acquiescer.

Elle s’en fut dans le royaume de la nuit avec la reine, et elles vécurent heureuses loin des yeux de toux.

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