Nom de l’auteur/autrice :sykorax

La reine et lae démonx

Il était une fois une reine remplie de désir pour ane démonx au visage de serpent. Il s’agissait d’ane démonx hideuxe ; son visage inspirait la peur à quiconque le regardait face à face. Cette reine avait enfermé çae démonx dans une chambre de son palais, loin de la vue de toux ; elle allait lae voir tous les soirs, et son désir pour ellui ne cessait de redoubler. Mais çae démonx était si repoussantx et si venimeuxe que la reine à force de lae fréquenter tomba gravement malade.

Elle fit appeler les meilleurs médecins du royaume. Mais à aucun, elle n’osait dire son secret, qu’elle s’était entichée d’ane horrible démonx, qu’elle allait lae voir tous les soirs, et que c’était là la cause de sa maladie. Qui l’aurait encore respectée en tant que reine si elle avait révélé son affreux secret ?

Un jour néanmoins, se présenta au palais une guérisseuse, une femme remplie du savoir des astres, des plantes, de la religion, de ce qu’est l’être humain et de tout ce qui peut s’apprendre et dans les livres et par l’expérience. Cette femme vint voir la reine et devina aussitôt la cause de son mal. Elle n’osa rien dire cependant ; car elle savait que si elle parlait franchement à la reine, celle-ci la ferait pendre ou décapiter.

« Reine, lui dit-elle, si tu veux guérir de ton mal, il te faudra entreprendre un pèlerinage. Tu dois te rendre dans le sanctuaire qui se trouve sur la montagne la plus haute. L’air y est pur, et à peine l’auras-tu respiré que tu retrouveras la santé ; pense à n’emporter avec toi que le nécessaire, ainsi que des offrandes à déposer dans le sanctuaire. »

La reine répondit : « Comment marcherai-je jusque là-bas alors que je peux à peine sortir de mon lit ? — Tu te feras porter dans une litière. Fais trouver du millepertuis ; de ses pétales, je ferai une escorte pour t’accompagner. »

La reine fit cueillir du millepertuis et la guérisseuse transforma quatre des pétales de la fleur en quatre somptueux jeunes hommes, aussi resplendissants que la lumière du jour.

Avant de partir, la reine voulut emmener lae démonx avec elle. Elle se rendit à la nuit tombée dans la chambre reculée où ol se trouvait : « Démonx, je ne sais comment faire : la guérisseuse pour me guérir de mon mal m’a dit de quitter le palais et de me rendre jusqu’à la montagne la plus haute déposer une offrande. Mais je ne peux me résoudre à te quitter. » Lae démonx répondit : « Révèle- moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine s’écria : « Tu plaisantes ! Plutôt mourir que de montrer ma souillure à la lumière du jour. » Elle passa la nuit avec lae démonx ; elle

ne pouvait se résoudre à lae quitter ; elle dit à la guérisseuse le lendemain matin : « Je ne partirai pas. »

La guérisseuse lui répondit : « Si tu ne quittes pas le palais, ô reine, il t’arrivera de grands malheurs : ton royaume deviendra stérile, la sécheresse s’abattra sur les champs ; les troupeaux périront ; et de nombreux fléaux accableront ton peuple. Quant à toi, tu mourras. »

La reine se résolut alors à partir. Elle se rendit auprès de lae démonx et lui dit : « Cette fois-ci, je comprends que je dois bel et bien partir. Mais comment m’y prendrai-je ? » Lae démonx répondit :

« Révèle-moi à la lumière du jour, et je pourrai t’accompagner. » La reine hésita, fut tourmentée toute la nuit et le lendemain matin, elle revint voir la guérisseuse : « Je suis résolue à partir. Mais l’offrande que je veux porter sur la montagne doit rester secrète : elle sera portée par quatre autres porteurs dans une litière fermée. » La guérisseuse répondit : « Ô reine, fais-moi porter du pavot et de ses graines, je ferai quatre autre porteurs. »

La reine fit apporter du pavot, et la guérisseuse de quatre graines de pavots fit apparaître quatre porteurs au visage couleur de lune, aux cheveux plus sombres que minuit.

Le lendemain matin, la reine partit dans sa litière et fit porter l’autre litière fermée par une tenture sombre : dans cette litière se trouvait saon amantx, lae démonx. A chaque halte, la nuit, elle se rendait dans l’autre litière et passait la nuit aux côtés du monstre.

La reine et son escorte arrivèrent bientôt au pied de la montagne. Iels commencèrent à monter, mais l’autre litière, celle qui contenait lae démonx, pesait lourd, très lourd ; les porteurs s’épuisaient. La reine leur enjoignit de persévérer, mais bientôt, ils s’arrêtèrent, exténués, à bout de forces : pour sûr, ils ne pouvaient plus continuer à escalader le flanc de la montagne. La reine néanmoins continuait de vouloir garder lae démonx avec elle : elle ordonna aux porteurs de recommencer à porter, sans quoi elle les ferait condamner à mort à leur retour. Les porteurs remirent la charge sur leurs épaules, et tout à coup, leur fatigue étant telle, ils lâchèrent la litière : lae démonx en dégringola, on lae vit.

La reine fut alors stupéfaite. Au lieu d’ane horrible démonx, elle aperçut une femme resplendissante, aussi belle qu’une déesse. Elle l’interrogea : « Comment se peut-il que tu sois aussi belle, moi qui t’ai toujours connue d’une laideur à faire trembler ? » La femme ne répondit pas ; elle lui prit la main, et la reine, et elle-même montèrent en haut de la montagne sans l’aide de personne.

Quand elles furent là-haut, la femme apparue dit à la reine : « Une chose m’a rendue belle : ton regard. Tu ne m’avais jamais vue que dans l’obscurité. C’est quand tu m’as vue dans la lumière, au sommet d’une montagne, prête à être offerte au ciel que je suis devenue belle. »

Et la reine à ces mots sentit qu’elle avait guéri de son mal. Elle fit de la femme apparue sa compagne, et elles ne se quittèrent plus jamais.

contes

La face cachée de la lune

Il arriva qu’un jour une vieille femme prétendit connaître la face cachée de la lune : « Je l’ai vue, de mes propres yeux vue ! et je m’y suis même rendue ! » criait-elle. « A quoi ressemble-t-elle ? » lui demanda-t-on. Et la vieille femme répondit : « Aucun mot ne peut la décrire. Mais je vais m’exprimer par métaphores : le lait y abonde, et le miel sauvage y coule ; ses palais sont d’ivoire et ses arbres de pierres précieuses ; neuf soleils brillent dans son ciel ainsi que sept petites lunes de toutes les couleurs. »

Aussitôt, toutes les jeunes personnes du village brûlèrent d’envie de connaître la face cachée de la lune ; elles quittèrent le village pour marcher jusqu’à elle.

L’une d’entre elles quelques mois plus tard revint au village et dit : « Je suis allée sur la lune ! Croyez-moi, je n’ai jamais rien vu de pareil : la face cachée de la lune est si belle que les mots humains sont insuffisants pour en parler. Je vais néanmoins m’exprimer par métaphores : la face cachée de la lune est un immense jardin, où des fontaines murmurent des paroles vraies à longueur de journée, à longueur de nuit ; ses arbres ont des branches qui ressemblent à des enluminures et l’on peut lire dans leurs méandres toutes les Écritures sacrées. La lune est belle comme les cheveux blancs d’une vieille femme qui porte dans son cœur toute la sagesse du monde. »

Aussitôt que la jeune personne eut terminé de parler, la vieille femme qui avait parlé de la lune s’exclama : « Engeance de vipère ! Ne sais-tu pas que la lune est inatteignable ? Comment oses-tu en parler alors que personne, non personne, n’a jamais vu la face cachée de la lune ? »

Les villageoix dirent à la vieille femme : « Mais alors toi aussi, tu as menti ? » La vieille femme répondit : « Non, je n’ai pas menti : pour qui me prenez-vous ? » Les villageoix incrédules insistèrent : « Alors, pourquoi prétends-tu que la lune est inatteignable ? » La vieille femme répondit : « Je sais qu’il est dans la nature de la lune d’être inatteignable : or, qui peut connaître la nature de la lune ? Ne sont-ce pas celleux qui la connaissent et qui s’y sont déjà renduz ? »

contes

Celle qui cherchait le ciel

Une jeune femme du nom de Yahto errait dans le village : elle tournait en rond. Parfois, on s’arrêtait près d’elle et on lui demandait : « Que cherches-tu ? » A cela elle répondait : « Quelque chose que j’ai perdu. » On lui demandait encore : « Et ce quelque chose, de quoi s’agit-il ? » Ce à quoi elle répondait : « J’ai perdu le ciel. »

Elle continuait d’errer ainsi quand une vieille femme se présenta : « Ce n’est pas le nez en l’air que tu vas retrouver ce que tu as perdu ! »

Yahto regarda au sol.

Comme il avait beaucoup plu, elle n’eut pas fait trois pas qu’elle aperçut une flaque d’eau. Et dedans, elle vit le ciel.

contes

Serpent de vérité

Il y avait dans mon pays une fontaine aux rêves. Dans son eau se mirait le ciel d’en haut qui devenait le ciel d’en bas. Or, à cette époque, le ciel était habité : on y trouvait forêts, vallons, océans, montagnes et déserts ; on y trouvait aussi les animaux à quatre pattes et les animaux qui rampent, et les oiseaux, et les poissons.

On y trouvait aussi Diex, et les choses belles d’en haut n’étaient que son imagination qu’iel avait fait descendre sur terre pour la rendre vivante.

Un jour, Serpent s’approcha de la fontaine aux rêves. Il passa son visage dedans pour se rafraîchir, et l’eau se brouilla ; et le ciel devint tout trouble, et les humanes cessèrent de le rêver ; car la fontaine aux rêves le reflétait comme une chose trouble.

On accusa Serpent. Les humanes furent les premierz à vouloir le mettre à mort. Mais Serpent pleurant des larmes de serpent dit aux humanes : « Ne me tuez pas, car grâce à moi, grâce à moi… – Grâce à toi, grâce à toi ? demandèrent les humanes. Où veux-tu en venir ? – Grâce à moi, grâce à moi… » bredouillait le serpent en pleurs.

Soudain, l’idée lui vint. Il dit : « Grâce à moi, vous cesserez de comparer les choses d’ici aux choses d’en haut : vous n’aurez plus honte de votre chair ni de sa lie, ni des crachats et du vomi de vos enfants. Quelle est la vraie forêt entre celle qui prend racine dans la boue et celle qui prend racine dans le ciel ? Quelle est la vraie vie, celle éternelle ou celle qui se termine par la mort ? »

L’ane des humanes dit : « Il blasphème. » Et Serpent répondit : « Votre blasphème est pire que le mien. »

Il agita sa queue et glissant entre les mains de ses bourreaux, il parvint à s’enfuir.

On dit que la vérité depuis ce jour nous échappe comme Serpent des mains de ses bourreaux. Et il arrive parfois à cette vérité de parler entre ses larmes quand on veut la mettre à mort.

La vérité du ciel a-t-elle déjà pleuré ?

contes

La Vérité

Il était une fois un homme qui pensait avoir vu la Vérité. Il descendit de sa montagne et se rendit dans la ville la plus proche : « Je connais la Vérité. Ecoutez-moi et vous deviendrez sages. » On se moqua de lui et personne ne l’écouta.

Enfin, une vieille femme du nom de Sadhana s’approcha de lui : « Alors, comme ça tu as vu la Vérité ? » L’homme répondit : « Oui. »

Sadhana éclata de rire : « Si tu as vraiment vu la Vérité, tu devrais savoir que personne ici ne l’écoutera. Et supposons même qu’on t’écoute, ce serait parfaitement inutile : ces gens qui n’ont pas vu la Vérité, à quoi leur servirait-il de la connaître par ouï-dire ? A ta place, je retournerais dans la montagne, car tu n’as pas encore vu la Vérité. »

L’homme repartit dans la montagne.

Dix ans plus tard, il revint parmi les habitantz de la ville proche de la montagne. Là, on l’interrogea : « Qu’as-tu vu dans la montagne ? »

L’homme ne répondit rien.

Sadhana, maintenant très vieille et proche de la mort, dit alors : « Cet homme se tait ; c’est qu’il a vu la Vérité. N’écoutez pas les paroles des prophètex et des inspiraes : n’écoutez que leur silence. »

L’homme dit alors : « Oh non, je n’ai pas vu la Vérité. L’aurais-je vue que je serais resté près d’elle. Si je suis redescendu, c’est parce que j’ai échoué. N’écoutez pas les paroles des gens qui viennent vous enseigner : seulz les absentz ont raison. »

Sadhana répondit : « Triple idiot ! Dis plutôt que tu as bien fait de redescendre ! Crois-tu vraiment que la vérité se cache sur les montagnes ? Dis-moi : quel est l’intérêt d’une vérité qu’on ne trouverait que dans des hauteurs inatteignables ? »

contes
Retour en haut