Il était une fois un prêtre du nom de Jean qui voulait anéantir le mal dans le monde. Il était toujours armé de son crucifix et on l’appelait dans le pays « le tueur de démonz » car il n’était jamais effrayé de rien et à ce qu’on racontait, il écrasait les diables comme des mouches.
Une nuit, un voyageur, besace sur le côté, vint frapper à la porte de Jean: « Je connais lae pire diable du monde, monsieur le curé. Voulez-vous que je vous le montre ? » Jean prit son eau bénite et répondit : « Oui.»
Le voyageur sortit alors un petit miroir de sa besace et le tendit à Jean.
Jean regarda : il se vit.
« Est-ce donc lui, lae pire démon du monde ? Comme ol est laidx ! » s’écria-t-il.
Le voyageur était parti.
Jean serra alors les poings : « Puisque tu es lae pire démon du monde et que tu es laidx, il faut t’anéantir. » Il voulut frapper son reflet mais ce dernier au moment où il allait en finir dit : « Apporte-moi à boire : j’ai soif. »
Jean répondit : « Puisque c’est ta dernière volonté, je vais l’accomplir. » Il prit du vinaigre et le versa sur le miroir : « Ne sais-tu donc donner que du vinaigre à tes semblables, Jean ? Donne-moi de l’eau. » Jean apporta de l’eau et fit boire le reflet comme il put.
Le reflet dit alors : « Merci, Jean. Mais il fait froid : tiens-moi chaud. » Jean prit le miroir et l’approcha du feu, très près du feu : « Ne sais-tu donc que brûler tes semblables, Jean ? Prends-moi entre tes bras. » Jean prit le miroir entre ses bras : « Est-ce bon maintenant ? – Pas tout à fait, je veux tout ton amour. – Non, ça, ce n’est pas possible, répondit Jean. Je le dois à Diex. Et puis… Tu es si laidx ! Prépare-toi à mourir. »
Jean s’apprêtait à abattre le poing sur le miroir en criant ; il essaya une fois, deux fois, trois fois sans y parvenir. Alertaes par les cris, les villageois, torches à la main, se ruèrent dans le presbytère.
Alors Jean vit dans le miroir des visages : il y avait des enfants, des femmes, des hommes de tout âge, de toute condition. « Que vous arrive-t-il, monsieur le curé ? pouvons-nous vous aider ? »
Et Jean desserrant le poing répondit : « J’ai failli anéantir ane démonx. Çae démonx, c’est mon visage : soixante-dix-sept enfants, soixante-dix-sept femmes, soixante-dix-sept hommes, soixante-dix-sept personnes. Je leur ai pardonné et j’espère qu’iels me pardonneront. »