Lae bébé de verre

Jamil accoucha un jour d’ane enfant. Tout le monde le félicita, mais un méchant sorcier s’approcha de lui pendant son sommeil. Il mit du poison dans le cœur du jeune homme :

« Désormais, le corps de taon enfant te paraîtra de verre ; tu n’oseras plus lae prendre dans tes bras de peur de lae briser ; tu deviendras si craintif de casser en mille morceaux taon enfant que tu ne l’approcheras plus ; tu croiras même lae détester. Quant à toi, tu te verras dans le miroir comme un être monstrueux et effroyablement laid, venimeux, et contagieux. »

Aussitôt dit, aussitôt fait : à son réveil, le jeune homme quand il se leva pour aller voir le berceau, ne vit plus ane nouvelleau-nae de chair et d’os, mais ane bébé de verre. Il se mit à pleurer toutes les larmes de son corps, mais il n’osa rien dire à personne.

Et les jours passèrent. Jour après jour, il se mit à éviter saon enfant, à lae fuir, et à lae confier autant qu’il était possible aux autres. Jamil lui-même dépérissait, se morfondait de peur, et ne trouvait plus le sommeil. De mauvais rêves venaient le hanter ; il rêvait qu’il jetait sans le faire exprès l’enfant par la fenêtre ; ou qu’il lae piétinait.

Quand il se regardait dans un miroir, il voyait un homme énorme et monstrueux : « Comment pourrais-je prendre dans mes bras maon enfant, alors qu’iel est de verre et que moi, je suis si monstrueux ? Je lae broierais entre mes bras si je le faisais : mieux vaudrait que cela ne se produise jamais. »

Il gardait tout cela dans son cœur, quand un jour, il décida d’aller se confier à l’une de ses tantes, qui était connue pour être un peu magicienne. Cette dernière l’écouta attentivement et lui dit : « Un méchant sorcier t’a jeté un sort. Les choses ne sont pas telles que tu les perçois. Avant que tu puisses aimer convenablement taon enfant, il faut que je te montre quelque chose. »

La tante de Jamil montra à celui-ci un miroir. Le jeune homme détourna les yeux : « Je ne veux plus regarder de miroirs : tous m’insultent quand je les regarde. » La magicienne répondit : « Le miroir que j’ai est magique et n’insulte jamais, regarde-le. »

Jamil regarda alors le miroir et s’y vit enfant. L’illusion était si grande qu’il ne sut pas tout de suite que c’était lui qu’il voyait, et il conçut une grande affection pour son reflet. Il se mit à lui sourire, et à lui parler.

Il dit : « Si ce n’était pas un reflet, je prendrais cette enfant dans mes bras. »

Alors, la magicienne lui dit : « Prends-toi toi-même dans tes bras. Quand tu l’auras fait pour toi- même, tu pourras le faire pour taon enfant. »

Jamil se serra lui-même fort dans ses bras, puis courut jusqu’à chez lui : il prit saon enfant dans ses bras, lae berça, rit avec ellui ; la peur avait quitté son cœur, il n’avait plus peur que saon enfant tombe : il avait donné à saon enfant le droit de tomber.

contes

La femme sans ventre

Un jour, une jeune femme rencontra une fée. La fée, qui était déguisée en vieille dame — rien ne laissait deviner qu’il s’agissait d’une fée — demanda à boire et à manger à la jeune fille. La jeune fille lui donna tout ce qu’elle demandait ; et à ce moment-là, la fée, délaissant son apparence de vieille dame, montra son vrai visage : elle proposa à la jeune fille d’exaucer son vœu le plus cher.

La jeune fille après une brève hésitation, lui dit qu’elle aimerait bien ne plus avoir de ventre : « Fée, mon ventre me fait souffrir. Tous les mois, il se remplit de salamandres et de scorpions. — Que veux-tu dire par là ? demanda la fée étonnée. — De terribles bestioles viennent s’agiter dans mon ventre et du sang coule entre mes jambes, car elles me mordent et griffent de l’intérieur. Mais ce n’est pas tout… Il y a plus grave encore ! — Dis-moi donc ce qu’il y a de plus grave : je suis curieuse de l’entendre, répondit la fée. — Ce qu’il y a de plus grave, répondit la jeune fille, ce qu’il y a de plus grave, c’est que je ne supporte plus de manger et de boire. Je ne veux plus être obligée d’avaler et de tout évacuer dans les lieux d’aisance : cela me dégoûte. Fée, sais-tu pourquoi les êtres humains ne volent pas, comme toi tu peux voler ? — J’avoue ne pas le savoir, répondit la fée. — Si les êtres humains ne volent pas comme volent les fées, c’est parce qu’ils ont un ventre : leur ventre est si lourd qu’il les maintient cloués au sol. Si je cessais d’avoir un ventre, je serais ane ange ou une fée, je serais un être capable de voler dans les ciels les plus élevés. Aussi, mon vœu est le suivant : enlève-moi mon ventre. »

La fée n’eut pas plus tôt entendu la jeune fille réitérer son vœu que d’un coup de baguette magique, elle l’exauça. La jeune fille perdit son ventre. Quelle joie céleste elle éprouva alors ! et comme elle se sentit légère et gracieuse !

Elle se promena longuement par les champs, dans les bois et dans les vallons, près des ruisseaux et des cours d’eau avec une joie qui ne se peut décrire. Elle marcha, marcha, vola peut-être, mais bientôt, sur son chemin, elle rencontra une autre vieille dame — qui était également une fée — et qui lui demanda aussi à boire et à manger. La jeune fille, qui avait oublié ce que cela faisait d’avoir faim et soif, et qui d’ailleurs, n’avait plus aucune nourriture sur elle, ne prit pas en compte la demande de la fée.

Celle-ci se mit dans une vive colère. Elle dit : « La fée qui t’a exaucée tout à l’heure était ma sœur et m’a tout raconté du vœu que tu as fait. Puisque tu t’es montrée injuste envers moi, je te lance une malédiction : désormais, quoique tu n’aies pas de ventre, tu auras toujours l’impression d’en avoir un. Tu ne feras que penser à la nourriture et à ton poids et à ton estomac tout au long de la journée. Tu croiras avoir un ventre et il te semblera même énorme, si énorme que tu ne verras plus rien d’autre. Quant au vœu stupide que tu as fait de ne plus avoir de ventre, sache qu’il te fera un jour mourir de faim. »

Aussitôt dit, aussitôt fait : la jeune fille se mit à se sentir terriblement lourde et triste. La fée était à peine partie que la jeune fille pensa à manger. Mais son ventre lui semblait si énorme qu’elle se l’interdit à elle-même.

Elle partit néanmoins en ville.

En ville, elle hanta les marchés, les échoppes, les boutiques ; elle parcourut tous les endroits où se vendaient fruits, légumes, graines, épices, fromages, viandes, poissons ; elle n’achetait rien, mais occupait tout son temps à renifler et humer les odeurs des différentes marchandises. Les semaines s’écoulèrent ainsi, et les gens du marché voyant qu’elle n’achetait rien, se mirent à refuser qu’elle s’approchât de leurs étalages.

Un jour, la jeune fille décida d’utiliser son argent pour acheter à manger aux personnes qu’elle voyait mourir de faim dans les rues : les mendiantz, les vagabondz, les pauvres gens, et les gens qu’elle jugeait misérables. Mais la malheureuse ! elle avait oublié ce qu’était une bonne nourriture, puisqu’elle-même avait cessé de se nourrir depuis longtemps, bien longtemps. Elle crut acheter la viande la plus délicieuse et la plus raffinée de la région en achetant des morceaux de charbons noirs à un marchand peu scrupuleux, et lorsqu’elle les présenta aux va-nu-pieds de la ville, elle n’eut droit qu’à des moqueries : « Toi, la va-sans-ventre, tu te permets de faire l’aumône ? tu n’as rien dans les tripes et tu crois pouvoir donner quelque chose aux autres ! Nourris-toi toi-même avant de nourrir les autres ! » Et la jeune fille comprit qu’elle n’était pas ane ange mais une pauvre personne.

Elle alla soupirer au bord d’une source d’eau, près de laquelle un pommier déployait ses branchages alourdis de fruits. Quelques heures s’écoulèrent pendant lesquelles elle pleura.

Alors, une couleuvre vint se glisser près d’elle ; la jeune fille prit peur. Mais la couleuvre la rassura en ces termes — car elle savait parler le langage des êtres humains : « Les serpents ont le don de guérir aussi bien que de perdre. Moi, je suis venue pour te guérir. Dis-moi ce qui te chagrine et je tâcherai de trouver une solution pour y remédier. » La jeune fille lui raconta alors toute son histoire et ajouta : « Comme j’aimerais que mon ventre soit comme autrefois ! » La couleuvre répondit :

« Si tu veux retrouver ton ventre d’autrefois, mange les pommes du pommier que tu vois ; bois à l’eau de la source. — Hors de question, répondit la jeune fille. Je suis déjà bien assez énorme comme cela. Je me suis interdit de manger quoi que ce soit. — Dans ce cas, dit la couleuvre, tu ne me laisses pas le choix. » A peine la couleuvre eut-elle prononcé ces mots que sans rien demander à la jeune fille, elle grimpa sur son corps, et se faufila dans sa bouche, dévala sa gorge et s’enroula dans l’espace vide qui était autrefois le ventre de la jeune fille : ainsi la jeune fille eut de nouveau des intestins.

Alors, la couleuvre s’agita dans le corps de la jeune fille avec une telle violence que celle-ci pensa tout à coup : « J’ai une faim terrible, épouvantable : il faut absolument que je me nourrisse. »

Elle tendit la main et attrapa une pomme du pommier. Elle la mangea avec un appétit féroce, puis elle prit une autre pomme qu’elle mangea de la même manière, puis une autre et encore une autre. Elle trempa aussi sa bouche dans l’eau de la source ; elle en but un nombre incalculable de gorgées. A la fin, elle eut une furieuse envie de tout évacuer. Lorsqu’elle se rendit dans l’un des buissons pour se vider, elle s’aperçut que ses jambes étaient rouges de sang. Mais cette fois-ci la jeune fille n’éprouvait plus le moindre dégoût pour ses parties basses, ni pour l’urine, ni pour la merde, ni pour le sang de ses menstruations : elle se réjouit au contraire d’avoir retrouvé la santé et l’appétit.

contes

Le ruisseau et l’arbre

Il était une fois une jeune fille malheureuse, malheureuse mais si malheureuse qu’elle songeait à donner son cœur à manger aux chiens.

Quand elle passait quelque part, les gens du village lui disaient : « Va te jeter dans la rivière. Va chercher un arbre où te pendre. » Et la jeune fille répondait : « Je ne serais pas si malheureuse si vous m’acceptiez telle que je suis. Je n’aurais besoin ni d’arbre où me pendre ni de rivière où me jeter. » Et on lui répondait : « Cesse donc alors de dire que tu es une fille, car tu n’en es pas une. »

On lui interdisait de franchir les portes des maisons et ses épaules étaient couvertes des marques de la pluie ; car elle n’avait nul endroit où dormir.

Il arriva qu’un jour où elle pleurait près d’un ruisseau sur son malheur, elle vit dans l’eau le visage d’une belle jeune fille : elle fut bien étonnée. Alors, elle tendit ses mains vers le visage, l’arracha de l’eau ; elle arracha aussi son propre visage et le mit à la place du reflet, et le reflet à la place de son ancien visage. Elle saisit l’eau du ruisseau qui était remplie des rayons du soleil et s’en fit une belle robe qu’elle passa le long de sa taille ; quant à ses haillons couleur de boue, elle les mit à la place de l’eau du ruisseau. Elle prit ensuite le chant du ruisseau et le fit entrer dans sa gorge ; quant à sa propre voix, qui avait toujours sonné faux jusqu’à présent, elle la jeta jusqu’au fond du ruisseau, et un poisson l’avala.

De retour dans son village, personne ne la reconnut. Mais elle, elle ne cessait de dire : « Ne vous souvenez-vous pas de la malheureuse qui voulait donner son cœur à manger aux chiens ? C’était moi. » Et comme personne ne se souvenait de la malheureuse qui voulait donner son cœur à manger aux chiens, on lui répondait non de la tête. Elle était désormais si belle que tout le monde parmi les jeunes hommes du village songeait à l’épouser. Mais elle, elle continuait de dire « Ne vous souvenez-vous pas de la malheureuse qui voulait donner son cœur à manger aux chiens ? C’était moi. » Or, c’était inutile car personne ne se souvenait de la malheureuse qu’elle avait été autrefois. Seul le ruisseau pouvait s’en souvenir encore ; mais l’eau du ruisseau avait passé depuis bien longtemps, et le visage de la jeune fille, et les haillons couleur de boue, et la voix qui avait toujours sonné faux jusqu’à présent avaient été emportés par le courant jusqu’à l’océan.

La jeune fille se lamentait encore, car elle ne souhaitait pas se marier, et elle n’avait pas de famille ni de bien. Elle se rendit donc au pied d’un arbre et y trouva une trappe ; elle ouvrit la trappe et elle vit alors un trésor. Elle s’en empara, mais l’arbre lui dit : « Qui es-tu, toi qui oses te rendre heureuse, belle et riche par tes propres mains ? — Ce n’est pas par mes propres mains que je fais cela, dit la jeune fille. Le ruisseau m’a donné son aide, et ton ombre m’a montré la trappe. Et les gens du village m’ont dit : “Va te jeter dans la rivière. Va chercher un arbre où te pendre.” : tu vois bien que je n’ai rien réussi par moi-même. »

Elle jucha le trésor sur ses épaules, et se rendit au village où elle vécut des jours heureux et paisibles.

contes

Le poids de l’ange

Il était une fois une femme pauvre, étrangère, qu’on surnommait Margot la Folle et qui travaillait dur chaque jour dans les champs pour subvenir à ses besoins.

Dans le pays où elle vivait régnait un monarque puissant et cruel qui ne lui laissait presque rien du fruit de son labeur.

Un jour, Margot fut lasse : elle partit dans la forêt chercher un arbre où se pendre.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à glisser son cou dans la corde, ane ange la retint par l’épaule. « Qui es-tu ? lui demanda Margot. – Je suis taon ange, lui dit-il. Bénis ce jour, car désormais si tu fais preuve de bonne volonté, tu n’auras plus de quoi te lamenter. – Que dois-je faire ? lui demanda Margot. – Porte-moi, assume-moi jusqu’au bout et je te rendrai bienheureuse. »

Margot essaya de soulever l’ange : « Comme ce bonheur pèse lourd ! » s’écria-t-elle. Elle s’y reprit à plusieurs fois ; et en fin de compte, elle parvint à hisser l’ange sur ses épaules. L’ange lui dit : « Sache que désormais tu es gardienne de ta joie : porte-moi toujours sur tes épaules et tu deviendras telle que tu ne t’es jamais connue auparavant. »

Margot acquiesça et pendant des années, elle s’épuisa à porter l’ange partout où elle allait, chez elle, aux champs ou dans son village.

Mais le bonheur ne venait pas. Elle dit à l’ange : « Qui es-tu véritablement ? – Je suis le visage de la perfection, lui répondit l’ange. – Non, réponds-moi pour de bon, lui dit alors Margot. Qui es-tu véritablement ? – Je suis l’envoyae de Diex sur cette terre et je suis là pour ton bien, si tu fais preuve de bonne volonté. – Non, ce n’est pas cela, dit Margot. Qui es-tu véritablement ? »

L’ange fit la grimace une fois, deux fois, trois fois et répondit : « Je suis ta solitude. »

Margot enleva l’ange de ses épaules et s’aperçut bientôt que toux les paysanz, les serfs, et les va-nu- pieds de son village portaient ane ange sur leur dos. Quand les autres virent qu’elle s’en était libérée, iels firent de même.

Iels se rendirent ensuite au château du roi et le détrônèrent.

Une ère de joie commença alors sans qu’il n’y ait besoin d’ange ou de ciel à supporter toux seulx sur ses épaules ; car chaque fois que la solitude se finit, le monde commence.

Et si l’ange n’a jamais appris à dire non, qui d’autre que nous le fera à sa place ?

contes

Le silence de la déesse

Il était une fois une jeune fille qu’on appelait Lunette — car son visage et son humeur ressemblaient à la lune. Elle n’était ni bonne ni mauvaise, ni belle ni laide, ni savante ni ignorante, ni spirituelle ni idiote.

Elle aimait par-dessus tout les animaux et passait son temps dans la forêt avec ses amiz. En revanche, elle détestait la chasse et piégeait dans des pièges à colle les chasseurs plutôt que les animaux eux-mêmes.

Elle rendait grâce aux déesses d’avoir fait la forêt si belle.

Un jour, son père lui annonça qu’il voulait la marier. Lunette n’eut pas plus tôt entendu son père lui annoncer la nouvelle qu’elle lui dit : « Plaisantes-tu ? Il est hors de question que l’on me mette un jour la bague au doigt ; plutôt mourir. »

Le père de Lunette se mit en colère : « Si c’est ainsi, tu te consacreras à la déesse de la lune froide jusqu’à la fin de tes jours, et tu ne sortiras jamais de son temple. »

Lunette accepta la seconde proposition de son père, pensant qu’elle pourrait fuir la vie consacrée quand l’occasion s’en présenterait.

Elle revêtit le voile, elle coupa ses cheveux.

Une fois arrivée dans le temple, elle s’en alla prier la déesse de la lune à plusieurs reprises pour lui demander de l’aider à s’enfuir. Mais la déesse ne répondait pas.

Lunette continua de prier jour et nuit, mais la déesse ne répondait toujours pas de telle sorte qu’à un moment donné, elle en fut agacée ; elle perdit même la foi.

Et lorsqu’elle l’eut perdue, elle quitta le temple : elle en força les portes et sortit à la brune, et elle jeta son voile derrière elle, et elle marcha, marcha par les forêts jusqu’à une petite cabane.

Elle frappa à la porte de la cabane : toc toc toc.

Un vieillard lui ouvrit : « Que veux-tu ? » Alors, la jeune fille raconta toute son histoire. Et le vieillard lui dit : « Si tu te mets à mon service, je te donnerai gîte et couvert, et tu n’auras rien à craindre de ton père. »

Lunette qui était effrayée par les bois obscurs et les bêtes sauvages, accepta. Or, il se trouvait que le vieillard était un peu sorcier : il avait pris son âme, et la retenait captive dans une cage à oiseau, tandis qu’il demandait à la jeune fille d’accomplir chaque jour des tâches impossibles.

A la fin, il lui dit : « Si tu n’acceptes pas de te marier avec moi, je dirai tout à ton père. Maintenant que j’ai ton âme dans ma cage à oiseau, tu es tenue de m’épouser devant les divinités. »

Lunette répondit : « Laisse-moi un peu de temps, que je choisisse quel parti prendre. »

Elle s’en alla dans le petit galetas qui lui servait de chambre, et se mit à prier la déesse de la lune encore une fois. Sa peur était telle que la foi lui était revenue. Elle pria, elle pria toute la nuit ; mais la déesse de la lune ne lui répondit pas.

Elle perdit donc la foi une seconde fois. Et ayant perdu la foi, elle décida de reprendre son âme dans la cage à oiseau, de forcer la porte de la cabane du sorcier et de s’enfuir à la brune, par les forêts et par les bois jusque là où ses pas voudraient bien la guider.

Elle arriva bientôt devant un somptueux palais qu’habitait disait-on, un prince aux yeux d’or que l’on appelait Orion.

Lunette s’aventura dans le jardin clos du palais, sous les rayons de la lune alors que le soleil n’était pas encore levé. Or, il se trouvait que le prince, qui était un être mélancolique, errait dans le jardin à ce moment-là. Il vit Lunette à moitié cachée par un pommier ; à peine la vit-il qu’il lui dit : « O toi plus belle que la lune, voudrais-tu te marier avec moi ? », ce à quoi Lunette répondit le dévisageant : « Il est hors de question que je me marie avec toi, prince aux yeux d’or ; plutôt mourir. »

Le prince alors se mit dans une colère terrible. Il appela ses gardes et fit enfermer Lunette dans une tour de son palais. Or, Lunette n’était pas la seule prisonnière ; d’autres femmes étaient là, que le prince dans sa colère avait enfermées. Le prince dit à Lunette avant de refermer la porte : « Sache femme impie que si tu ne changes pas ta résolution, tenue que tu es par les divinités d’obéir à ton monarque, tu seras damnée. »

Lunette voulut s’enfuir de la tour, et sa peur fut si grande qu’elle recommença à prier la déesse de la lune. Elle pria, pria, éclata en sanglots, se tordit les mains, défit ses cheveux mais ce fut sans succès : la déesse de la lune ne répondait pas.

Alors, Lunette et les autres femmes décidèrent de casser la pierre de la tour. Elles y consacrèrent tout leur temps, toutes leurs forces de telle sorte qu’elles creusèrent bientôt une brèche, et elles purent s’en enfuir.

Lunette s’exclama alors : « Grâce soit rendue à la déesse de la lune qui a su si bien ne pas répondre à mes prières quand je l’appelais ! »

Les femmes l’entendant la prirent pour une insensée et lui demandèrent : « Pourquoi remercies-tu la déesse de la lune, alors qu’elle ne t’a pas exaucée ? », ce à quoi Lunette répondit : « Je me suis libérée d’un temple, d’une cabane de sorcier, et de la tour d’un prince ; mais grâce au silence de la déesse de la lune, je me suis libérée de davantage encore : je me suis libérée de la religion », et elle disait cela tout en continuant à prier et à remercier sa déesse.

contes
Retour en haut