je tuerai le prince et je te tuerai
il était une fois un prince dont le monde n’avait vu qu’un cheveu. ce cheveu était long comme le vent, si fin que comme un nuage dans la lumière du matin, il n’avait pas de couleur qu’on puisse nommer. bien des peintrez, des poètez et des rêveurz, à partir de ce cheveu, avaient imaginé un visage au prince et un corps, et même une voix.
il était beau, à n’en pas douter. mais son palais était haut et ses salles profondes et ses pierres ne tremblaient jamais ; la demeure était entourée de jardins, et ces jardins étaient toujours noirs, à l’ombre des tours du palais, ses étangs béants comme des anémones, ses cyprès taillés comme de longues épées, et il s’y trouvait tant de colonnes et de statues dressées que même en se penchant sur la rose au printemps, on sentait un parfum de marbre.
il y eut un jour une grande famine dans le royaume, mais le prince ne se montrait pas, alors on décida de le tuer.
« qui ira le tuer ? » demanda-t-on. il y eut une femme vêtue de rouge qui dit : « je le ferai. » alors on lui demanda : « es-tu prête à rougir ton vêtement rouge ? » elle dit : « non. » une autre femme se présenta, les mains mouillées de parfum : « je le ferai » dit-elle. et on lui demanda : « es-tu prête à mouiller tes mains mouillées de parfum ? » elle répondit que non. enfin, une autre femme se présenta avec un morceau d’or sur la bouche et dit : « je parlerai. » et on lui demanda : « es-tu prête à parler sans ce morceau d’or sur ta bouche ? » elle répondit : « oui, voici mon morceau d’or, prenez-le : je ne veux pas mourir dans l’or de mon silence. donnez-moi une nuit et préparez la tombe du prince. »
elle partit vers le palais. et quand elle ouvrit les portes du jardin, elle appela : « prince de mille feux presque morts et de mes yeux presque vivants, où te caches-tu ? je tuerai le prince et je te tuerai, je découperai ta peau et je ferai du pain avec tes os. montre-toi, montre-toi, avant qu’il ne fasse nuit et que la faim de toute la terre mange la lumière dans le jardin. »
il n’y eut aucune réponse.
alors, elle ouvrit les portes du palais et dit : « prince de mille feux presque morts et de mes yeux presque vivants, où te caches-tu ? je tuerai le prince et je te tuerai, je broierai tes bras dans mes bras et je ferai du sel avec tes yeux. montre-toi, montre-toi, avant qu’il ne fasse nuit et que les ombres du soir posent des murs entre tes murs. »
toujours aucune réponse. le crépuscule tombait.
la femme à la bouche d’or avança entre les couloirs froids, commença à ouvrir la porte de la chambre du prince et dit : « prince de mille feux presque morts et de mes yeux presque vivants, où te caches-tu ? je tuerai le prince et je te tuerai, je taillerai tes entrailles comme des sarments et je boirai dans ta douleur. montre-toi, montre-toi, avant qu’il ne fasse nuit et que… », mais quand elle eut ouvert la porte elle vit que le prince était mort au fond de la terre ; elle remonta au monde et dans le ciel, il y avait un nuage et le vent du soir ; c’était une nuit à la fois grise et bleue et pâle et autre chose, et cette couleur ne se dit pas.
