je suis folle
je suis folle et plus brûlante
qu’une ruée d’étoiles
tombant à balles perdues
errantes
en voie de trouver
peut-être
j’ai jeté ma lumière
par toutes les fenêtres
je suis folle et plus brûlante
qu’une ruée d’étoiles
tombant à balles perdues
errantes
en voie de trouver
peut-être
j’ai jeté ma lumière
par toutes les fenêtres
Il y a des tragédies mensongères. Celles qui se terminent à leur point culminant. Celles qui se terminent.
Le tragique est un sinistre manège, une horloge trop réglée, un parc d’attraction transformé en abattoir. On se résignera à dire : « Cela tourne ». On s’y résigne depuis le début. Notre espérance voudrait que le temps soit une flèche, une flèche qui ne se trompe pas de cible. La poésie nous demande elle d’errer comme si l’errance était déjà le Royaume. Reconnaître que la vie est un mensonge, un mensonge qui cache de la mort, c’est la vérité des mystiques.
Le plus inutile ne nous aide pas : il nous tue, il nous sauve.
Faire de la poésie, c’est créer des erreurs. Devenir fanatique, c’est les consacrer. Vivre, c’est en payer le prix.
L’enfer n’est pas devant nous. Nous sommes déjà dans le cercle. Ne pas vouloir en prendre conscience, c’est le propre des êtres qui souffrent : l’antichambre de l’enfer est bien pire que l’enfer lui-même.
Les figures tragiques ne sont pas coupables. On ne les juge pas, non pas parce que nous sommes des regards détachés, extérieurs, bien au contraire : on ne les juge pas parce que nous sommes dans la même barque qu’elles et nous le savons. Et nous sommes aussi bien Néron, Médée, Phèdre qu’Iphigénie. Et nous connaissons l’ombre de l’innocence, la lumière du poison ; il n’y a pas de bourreau dans le temps tragique : il n’y a que des complices.
Un juge qui oublie le sang sur ses mains n’est pas en droit de juger. Et c’est pourtant à lui qu’on le donne : le drame de la justice humaine.
Nous sommes un réseau de complices, aussi bien secret qu’évident. Si on reconnaissait nos masques, ils tomberaient : personne dans un théâtre ne s’amuse à dire « Le roi est vêtu ». Personne ne s’amuse à écouter la folie quand elle le dit. On croit davantage au tragique qu’aux caprices hasardeux de la folie.
Pourtant je crois que le salut est là, si il existe.
Le tragique qui croit aller vers la fin n’est pas tragique. Une fin éplorée comme un début de rêve : voilà qui est l’antithèse du tragique.
Car qu’y a-t-il après la fin ? Le tragique commence quand tout est déjà fini. Le temps de la fin est un temps qu’on étire et qu’on livre en pâture aux mensonges. Il faut beaucoup d’art, de mensonges et de complexité pour différer. La vérité nue est tellement simple qu’elle est la porte de la mort. Elle tient en une phrase. Une phrase lapidaire. Mortelle. La vie chrétienne oublie cela. La tragédie n’est pas sans retour, hélas : elle est sans rédemption. Pas de corps ressuscité. Pas même d’âme sauvée. Il n’y a pas de miracle, je veux dire pas de fin après la fin. Le miracle naît de l’impossible. Il est après l’impasse. C’est parce que l’on veut croire aux miracles que l’on s’abîme : on cherche la Comédie et la lumière après l’enfer, le fond. Mais le puits a-t-il un fond ? Peut-être : une profondeur qui se fait passer pour un mystère alors qu’elle n’est qu’une fausse promesse, un silence idiot.
La fin ignore les larmes : à la limite, c’est un rictus.
Il faudrait une pirouette : il faudrait faire de l’amphithéâtre un cirque. La tragédie manque d’imagination pour imaginer la dérobade, le pied-de-nez, d’où ses faux dilemmes. Choisir c’est ne pas choisir. Il faut inventer les termes mêmes du choix. Être ou ne pas être : le choix est sans alternative. On pense toujours par deux quand on se détruit. On veut le blanc, le noir. On oublie que la couleur hésite.
L’éternité n’est pas un temps qui s’étire : c’est un temps qui s’annule. C’est l’oiseau qui cherche le ciel et le ciel qui s’oublie.
C’est l’être humain à qui le temps n’appartient plus.
Le jugement vient de l’oubli qu’on a des causes possibles.
La condamnation vient de notre ignorance d’un possible lendemain.
Seulement des possibles.
Après Judas, l’Evangile est une tragédie corrigée.
Les Églises corrigent la vie. Et c’est ainsi qu’elles créent des malheurs médiocres, faute d’être incarnés.
Le sang d’un seul pour oublier que tout le monde saigne.
La liberté n’est jamais payée d’avance. Elle échappe aux échanges, à l’économie. Elle se donne, elle se vole.
Le poisson qui a cru posséder son bocal a le vertige quand il revient à la mer.
Et la liberté sans imagination n’est que dévoration de soi.
On sort souvent de nos maisons, on s’y ennuie souvent aussi : on travaille pour ces deux choses et on se drogue pour ces deux choses. On ne pense jamais à sortir pour ne pas revenir, rester face à soi-même pour ne pas en revenir.
Aller nulle part. Sans adieu.
L’incertitude est la seule liberté. Suspendre le choix. Suspendre. Pas par lâcheté. Ne pas agir en sachant que ne pas agir est agir. Ne pas tremper ses mains alors qu’on sait qu’on a l’eau jusqu’au front, et même au-delà.
Un carnaval sans imagination n’est rien d’autre qu’une boucherie de viandes sacrifiées. Chaque année le retour sans issue. Et la révolution des révolutions ? Existe-t-elle ?
Choisir de ne pas vivre quand on est dans la vie. Le courage est lucide jusque dans son angle mort. La fin du temps est là, quand l’oiseau sait que la terre est une demeure provisoire et « sans remède ».
Toute éternité est précaire comme un regard d’enfant qui voit le jour à travers son bandeau de colin-maillard, mais ne voit plus assez pour toucher les ombres.
On ne vit plus parce qu’il faut. Avec obéissance. On ne vit plus parce que c’est ainsi. Avec résignation. Le savoir est le refuge des imbéciles.
On vit comme on parie, avec malice. On ignore avec courage.
Là naît l’imagination.
On se prépare même à trahir.
Il était une fois ane jeune lumme qui cherchait le sens de la vie : iel décida donc de se rendre auprès d’ane sage réputae de son pays.
Lorsque lae jeune lumme fut devant la maison de lae sage, iel frappa à la porte ; une voix lui répondit : « Lae sage que tu viens voir est absentx pour le moment. Attends-lae sur le seuil, iel ne manquera pas d’arriver. »
Lae jeune lumme resta sur le seuil de la porte une heure, deux heures, trois heures : à la fin, iel s’impatienta. Iel frappa à la porte et on lui répondit : « Attends encore un peu, lae sage va bientôt arriver. »
Iel attendit encore une heure, deux heures, trois heures. Iel finit par tant s’impatienter qu’iel cria : « Quand arrivera lae sage ? » Une voix lui répondit : « Bientôt. »
Iel attendit encore un peu, mais à la fin, iel fut si impatientx qu’iel ouvrit la porte de la maison sans plus demander l’avis de personne, et là que vit-iel à l’intérieur ? Un vaste miroir qui lae reflétait, et la voix lui dit alors : « C’était ellui que tu attendais depuis le début. — Et toi qui parles, où es-tu ? demanda lae jeune lumme. — Derrière le miroir. »
Lae jeune lumme se débarrassa du miroir… Iel cessa dès lors de chercher le sens de la vie.
Qu’y avait-il derrière le miroir ? Toi qui me lis ou qui m’écoutes, sache que mon conte est ce miroir : il te faut t’en débarrasser maintenant pour voir au-delà de mes mots.
Dans un lointain pays, il y avait en lisière de forêt une petite maison dans laquelle vivaient une femme, son mari et leurs trois filles.
L’aînée avait deux yeux, la cadette deux yeux aussi et la benjamine trois yeux. L’aînée avait deux oreilles, la cadette deux oreilles aussi et la benjamine trois oreilles.
L’aînée avait un cœur, la cadette un cœur aussi et la benjamine deux cœurs.
Tout cela en plus faisait que la benjamine marchait péniblement et avait le corps lourd. Elle était lente dans ses mouvements et on disait d’elle qu’il y avait du vent vide dans sa tête. On l’appelait
« Cloche » à cause de l’épaisseur de son corps.
Le père et la mère ne cessaient de se moquer d’elle et de l’humilier.
Quand vint le temps du printemps blanc, les trois filles dirent à leurs parentz : « Laissez-nous partir découvrir le monde. »
Et les parentz n’eurent pas le temps d’avoir ne serait-ce qu’entendu leur requête qu’elles étaient déjà parties loin, très loin dans la forêt.
Elles virent au bout de quelques heures de marche une clairière parsemée de fleurs dans un rayon de soleil. Les deux premières sœurs sourirent, s’amusèrent dans la clairière, mais Cloche leur dit alors :
« Qu’avez-vous donc à rire ? » Et ses sœurs répondaient : « Cloche, Cloche, qu’est-ce qui cloche chez toi ? »
Elles continuèrent leur chemin longtemps ; leurs cheveux blanchirent, tandis que Cloche avançait péniblement, et bientôt elles entendirent pour la première fois le chant du rossignol, et les deux premières sœurs s’émerveillèrent. Quant à Cloche, elle leur demandait : « Qu’avez-vous donc à trouver cela si beau ? » Et ses sœurs répondaient : « Cloche, Cloche, qu’est-ce qui cloche chez toi ? »
Elles avancèrent encore jusqu’à la lisière de la nuit. Et leurs mains n’étaient plus que squelette. « Il fait froid, dirent les deux premières sœurs. Quand donc rentrerons-nous ? » Cloche leur dit alors :
« Je connais un chemin pour traverser la nuit. Quant à revenir en arrière, cela est impossible. »
Les sœurs refusèrent de traverser la nuit disant entre leurs pleurs « Encore un petit moment ! » et elles tombèrent en poussières.
Quant à Cloche, elle avança, avança et se retrouva bientôt face à la femme qui garde le royaume des mortz.
Cloche lui demanda : « Pourquoi n’ai-je pas ri avec mes sœurs dans les clairières ensoleillées ? »
La gardienne du royaume des mortz, qui connaissait toute vérité, lui répondit : « Tu n’as pas ri avec tes sœurs dans les clairières ensoleillées car tu avais trois yeux, ce qui t’empêchait de voir la lumière de ce monde. »
Cloche lui demanda encore : « Pourquoi n’ai-je pas été émue avec mes sœurs quand le rossignol chantait ? »
La gardienne du royaume des mortz lui répondit alors : « Tu n’as pas été émue avec tes sœurs quand le rossignol chantait car tu avais trois oreilles, ce qui t’empêchait d’entendre la beauté de ce monde. »
Cloche lui demanda, la voix remplie de larmes : « Est-ce parce que j’avais deux cœurs au lieu d’un seul que j’ai pu traverser la nuit alors que mes deux sœurs sont restées sur le seuil ? »
La gardienne du royaume des mortz lui répondit : « Tout ce que j’ai dit jusqu’à présent était faux. Ce ne sont pas tes trois yeux ni tes trois oreilles qui t’ont empêché de connaître ce monde, mais ce sont les mauvais traitements que t’ont valu tes différences qui t’ont éloignée des joies et des rires. Si tu as traversé la nuit, c’est parce que tu n’avais plus rien à perdre. »
Cloche comprit alors qu’elle avait fait fausse route. Elle assomma la gardienne du royaume des mortz, la ligota et repartit vers la lumière du monde.
Elle y vécut heureuse jusqu’à ce que la gardienne du royaume des mortz, ayant usé ses liens, vînt la chercher de force.
Et lorsque cela arriva, on raconte que Cloche retourna son visage avec regret vers le soleil et le rossignol qui la regardait, perché sur sa branche ; avant d’être empoussiérée par la nuit, elle eut le temps de dire : « Encore un petit… »
Et ce fut tout.