la vieille fileuse avait fermé le poing
elle avait les yeux chauds
de l’air hurlait
dans sa bouche
tu ne m’as pas appris disait-elle
tu ne m’as pas appris
à tuer ni le temps
ni les ondes que laisse
l’amour perdu sur les lèvres
ni le goût de la pomme froide
qui me remplit la bouche
de stupeur
comme un morceau de monde
sur le point
d’apparaître
tu ne m’as pas appris disait-elle
tu ne m’as pas appris
à tuer ni ce soleil de boue
qui me sert d’oeil lucide
(ai-je parfois espéré
tuer la lumière)
ni l’ombre que laisse le feu sur les mains
quand glisse le rideau le radeau
blessé
quand nos mains se dénouent
quand la rivière ronde
s’échappe
et devient un morceau de monde
combien ai-je rêvé
de la douleur comme d’une chanson triste
venue d’un monde
où j’étais enfant
tu ne m’as pas appris disait-elle
tu ne m’as pas appris
à tuer le ciel
ni les glycines mauves de mon sang
pressé de vivre
comme une violente fleur
mon cœur
la glycine est
urgente aujourd’hui
aujourd’hui chaque arbre pense
et les murs
ont oublié de m’emprisonner
tu ne m’as pas appris
à tuer un visage
ni le pont de feu d’un regard d’amour
aujourd’hui si je regarde en face le soleil
le feu pleure
comme un morceau du bout du monde
maintenant l’étoile
maintenant la neige
j’ai appris à marcher sur les nuages de neige
bien avant
ma première chute
la vieille fileuse avait fermé le poing
elle avait les yeux chauds
de l’air hurlait
dans sa bouche
pourquoi faut-il mourir
dit-elle enfin
– elle ne serrait plus le bois du lit –
je n’ai jamais appris à tuer