un jour, une fille rencontra une fée près des sources troubles. la fée demanda à boire et à manger à la fille : « remplis ma cruche et mon panier. » la fille lui donna tout ce qu’elle demandait ; et à peine le temps d’un oiseau passé, la fée proposa à la fille d’exaucer son vœu le plus cher.
la fille après avoir rêvé lune et soleil, lui dit qu’elle aimerait bien ne plus avoir de ventre : « fée des sources troubles, fée des cruches vides, mon ventre me fait souffrir méchamment. tous les mois, il me mord et se raz-bordise de lions et de scorpions. — que veux-tu dire par là ? demanda la fée étonnée. — des bestioles tourneboulent dans mon ventre et du sang coule entre mes jambes immenses. je ne veux plus être obligée d’avaler et de tout évacuer par l’arrière ou par l’avant. fée des sources troubles, sais-tu pourquoi les êtres humains ne volent pas, comme toi tu peux voler ? — j’avoue ne pas le savoir, répondit la fée. — si les êtres humains ne volent pas comme volent les fées, c’est parce qu’ils ont un ventre : leur ventre est si lourd qu’il les maintient cloués au sol, dans la mousse et dans les boues de mars. aussi, mon vœu est le suivant : enlève-moi mon ventre. »
la fée l’exauça et partit. et la fille perdit son ventre et sa lourdeur.
elle se promena longuement par les champs, dans les bois et dans les vallons, près des ruisseaux et des cours d’eau avec la joie aux joues. mais bientôt, dans la forêt noire, elle rencontra une autre fée qui lui demanda aussi à boire et à manger : « remplis ma main et mon gosier. » la fille alors répondit : « fée des forêts noires, fée des mains vides, qu’est-ce que la faim ? je n’ai pas de manger ni de boire. »
la fée eut la rage à la bouche. elle dit : « la fée qui t’a exaucée tout à l’heure était ma sœur et m’a tout raconté du vœu que tu as fait. puisque tu t’es montrée injuste envers moi, je te lance une malédiction : désormais, dans ta chair, tu auras un trou. et ce trou, tu ne le rempliras pas avant de tomber dans le dernier trou. »
aussitôt dit, aussitôt fait : la fille eut un trou à la place de la chair. elle avait faim mais le trou, qui pouvait le remplir ?
le temps passa, ses cheveux blanchirent, ses os se creusèrent jusqu’à poussière.
elle alla soupirer au bord d’un ruisseau, près duquel un pommier rougissait. quelques heures s’écoulèrent pendant lesquelles elle pleura.
alors, blanche-vipère le serpent, vint se glisser près d’elle ; la fille prit peur. mais blanche-vipère dit : « blanche-vipère tue, blanche-vipère soigne. » la fille lui raconta alors toute son histoire. blanche-vipère répondit : « si tu veux être libre, mange les pommes du pommier que tu vois ; bois à l’eau du ruisseau. — hors de question, répondit la fille. mon vide est trop lourd et trop grand. — dans ce cas, siffla blanche-vipère, tu ne me laisses pas le choix. » à peine blanche-vipère eut-elle sifflé que sans rien demander à la fille, elle enleva sa peau, elle grimpa sur son corps, elle se faufila dans sa bouche, dévala sa gorge et s’enroula dans l’espace vide qui était autrefois le ventre de la fille sans ventre.
mais la fille dit alors en vomissant :
« boyau de froid, boyau d’écailles, sors de mon corps, tu n’es pas mien. »
s’échappa alors de sa bouche un chemin longé de peupliers de sapins très hauts. la fille laissa derrière elle la peau blanche du serpent après avoir craché trois fois dessus. au bout du chemin, elle trouva un palais où une couronne attendait sa tête ; c’est ainsi qu’elle devint reine et festoya jusqu’à trépas.
