À A. et aux gens qui regardent le ciel
En prison la folie ordinaire se promenait dans les jours.
Ses cheveux comme une brise,
doux.
Elle ouvrait les colombes.
Elle avait des sentiers, des mondes entiers, des choses
dans les mains.
Elle fixait le ciel comme une photo
sans faute,
vraie,
lumière !
Le sourire : une étreinte, un arc qui décoche des fleurs.
Elle disait : « Je cherche le temps qui commence,
le vestige qui vertige,
dis-je ».
Elle regardait la chair tendre des nuages sans visage,
les falaises fragiles,
les châteaux de cartes apatrides que le bruit d’un baiser un peu amoureux
suffit à boumpatraquer.
Les brumes aux pieds légers,
les aubes comme la peur doucement bleue d’ouvrir les yeux,
de voir.
Elle avait des lézards, des failles,
des hasards,
du bazar, des baisers,
des boucs, des brebis, des bouquets de nénuphars,
des gyrophares, la lumière, l’épiphanie,
l’épi fané,
la rose nouvelle avec ses jours roses, suaves,
une main qui sauve
– qui peut ?
qui peut ?
qui peut :
âmes et enfants d’abord !
Elle allait par les allées, les ailes et les venues et les visites
sans carte,
sans cardinal,
sans frontière et de plein front,
vent rebelle,
mystère, mistral,
et face à face – avant qu’on ne se lasse,
avant que le temps ne se défasse,
avant que nos paumes s’enracinent : pays trop proche,
trop ceci, cela.
Errer, semelles de vent, se mêler,
se mêler hors des cartographies.
« Ah ! disait-elle. Elle zézayait, elle zigzaguait, vague à lames,
couteaux de plumes,
rires pétillants sur les pierres des visages, virages,
rire viral :
la mer, la mer, la mer,
le cap,
la voile,
la cape,
le voile.
Carnaval nu,
apocalypse vêtue,
tête-à-tête.
Cap ou pas c…
Pâques ?
J’aimerais revoir l’été, l’entêté qui revient chaque matin après ma mort,
doux,
quand les nuits ne sont plus que de la poudre aux yeux,
et le jour une poudre solaire, un fruit au bord des dents,
du frein à moudre : prisons et horizons et Ô prison, et prières,
adieu.
Libre comme un avis, une lime sans limite, une clef,
une claire voix,
ma vie,
mon rêve : rêve, rêve, crée
ou crève ! Marre, marre, marre,
un pavé dans la mare,
une attente sans bombe :
la colombe.
Nous fuirons hors des tombes et des pluies,
et des barreaux,
et des cordes nouées comme des gorges amères.
Le paradis, le phare, le paradis, la dernière parade,
le dernier mot :
la grève ?
Je voudrais revoir l’automne,
ses violons, vies au long court qui se déhanchent dans le soleil sans borne,
musiques composites, feuilles rousses, cuivres décomposés,
chemins, chapelles, appels du bout des vents
entre les sombres châtaigniers,
les bouches criardes,
soupirs,
expire,
inspire
jusqu’à la boue.
Et l’hiver, et l’hiver, et l’ivraie
que l’on livre aux étreintes débordées de la neige, sa caresse qui glisse,
son auberge de montagne,
cantique des montées rapides, des torrents,
pagnes de neige presque éternelle,
presque…
et les berges en lambeaux comme le marbre qui pleure, qui meurt, l’iceberg,
la dernière bougie à souffler.
Le printemps, il fut un temps…
il fut un temps mais il sera.
Le glacier de nos dix ans et vanille fondue en larmes,
sans arme,
comme une enfance presque oubliée.
Il sera une fois, il sera deux fois, il sera, il sera, il sera.
Où allons-nous ? qui est la barque, le berceau,
et le sursaut ?
Jusqu’où iront-ils les talons d’Achille,
les pieds d’argile,
les fragiles,
les gens paumés et les pommes interdites,
et les marges du cahier.
Le cas hier était triste.
Le jardin avait des fruits fendus comme des rires
sans défense,
brise du soir.
Il y aura des aubes et des olives, la Provence, l’Italie sans livre,
une Rome sans chemin, des croisées d’ogive,
de lendemains quand les églises auront cessé leurs chœurs, leurs pierres,
leurs prières, leurs clefs sans songes, sans champs, leurs dos voûtés,
leurs cendres : nous cueillerons des orages d’Espagne,
des grenades,
des murs tombés.
Rien ne nous épargnera.
Rien du monde des comme-il-faut,
porte-à-faux,
porte-faux,
faux.
Sortons.