Les disparuz

La pluie laisse tomber ses dents de lait
sur le fragile roseau de mes os,
dans l’herbe bleue.
J’ai entendu les anges pleurer :
cela ne faisait pas plus de bruit que les poussières
que l’on voit plus légères que des âmes sauvées, onduler
dans un rayon de soleil.
J’ai aperçu peut-être les cerisiers voler en éclats, en cendres
comme des squelettes blancs et brisés ;
j’ai vu le charnier du printemps
et le magnolia qui perd ses paupières roses ;
j’ai vu la dentelle délicate des toiles d’araignée
vibrer comme un cœur
ou une voile tendue vers un continent invisible ;
j’ai vu palpiter les petits poumons pourpres
de la rose que le vent essouffle ;
j’ai vu osciller doucement dans les courants d’air,
tintinnabuler
tel un pendule tendre et vert
ce maëlstrom emmêlé de pétales plus léger
que le nombril d’un nouveau-né
et que l’on appelle camélia.
S’il y a de la rosée dans l’herbe des sentiers,
c’est qu’un Petit Poucet a semé ses pleurs pour retrouver
sa route.
J’ai vu les lumières scintiller dans une goutte d’eau comme dans des lampions
et l’herbe folle tenait la rosée de lumière avec autant de précaution
qu’une main appliquée d’enfant :
je me suis souvenue que le printemps me bouscule parfois
et que la transverbération de la pluie tranquille
fait expirer mon cœur dans un cercueil de roses cueillies, coupées
et fraîches comme l’herbe qui s’épanche en chuchotements
au-dessus des tombes muettes.
Je me suis souvenue que le printemps est toujours
ce coup de balai que le vent passe sur le menton blanchi
des disparuz.

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